L’ abandon d’une position de classe de la direction de la CGT est un problème qui concerne tous les travailleurs (PRC-31/03/25)

Retour sur une interview de la principale dirigeante de la CGT1

La secrétaire générale de la CGT, pour la troisième fois, dans une interview au journal L’Humanité vient de livrer ses positions sur la situation internationale. Dans deux précédents articles, nous avions évoqué, non sans inquiétude pour l’avenir du syndicalisme de classe, son rapport à la réunion du 4 février de la commission exécutive confédérale de la CGT2 et son intervention, le 6 février, au congrès de la FSU. Mais ce qui est dit dans l’édition de fin de semaine (14, 15 et 16 mars) de L’Humanité donne à penser que la ligne défendue se confirme et s’affirme. Rien de bon pour les travailleurs, c’est pourquoi nous présentons une analyse sommaire de cette interview. Nous nous contenterons d’y traiter deux thèmes, à nos yeux les plus importants, celui des paravents idéologiques empêchant l’analyse du système capitaliste et l’éclairage sur son fonctionnement et celui de la soi-disant défense de la démocratie et de ce que cache cette défense. Les positions défendues dans cette interview sont bien celles de la direction confédérale de la CGT.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de souligner la position de l’ancien journal communiste poussant la complaisance jusqu’à utiliser des termes même du langage de la dirigeante de la CGT dans certaines questions et surtout, qui réalise le tour de force :  poser 10 questions sur 12 traitant de la situation internationale sans en poser une seule sur le conflit colonial en Palestine !

Comment éviter d’analyser le fonctionnement du système capitaliste

La réponse à la première question (Quel regard portez-vous sur le contexte international bouleversé par le retour de Donald Trump au pouvoir ?) commence par cette affirmation forte qui est en quelque sorte, l’une des trames de la position confédérale : « Nous sommes face à une accélération profonde de l’histoire. ». Ainsi donc, un changement de tactique des grands capitalistes qui commandent à l’impérialisme dominant sans changer de nature le système capitaliste, encore moins son stade impérialiste, serait une accélération profonde de l’histoire. Voyons ce qui étaye cette affirmation.

Avec l’élection de Donald Trump « se concrétise l’alliance entre l’extrême droite et les milliardaires, incarnés par Elon Musk ». Cette thèse, souvent répétée depuis le rapport à la CEC du 4/02 d’une alliance entre les capitalistes (désignés par le terme plus convenable de milliardaires) et un courant idéologique parmi les fondés de pouvoir possibles du Capital ne permet absolument pas de comprendre le fonctionnement du système capitaliste. Il n’existe jamais d’alliance entre le Grand Capital et tel ou tel courant politique bourgeois, voire du mouvement ouvrier. C’est le Capital qui décide quels seront ses fondés de pouvoir. Ils lui sont toujours subordonnés.

La vraie question serait : pourquoi le Grand Capital a choisi Trump ? A celle-là, nous ne trouvons aucune réponse dans la totalité de l’interview, parce que les contradictions internes aux capitalistes, les mécanismes sur lesquels reposent le système, n’y sont jamais évoqués.

Au contraire, et c’est finalement le thème central de la réponse à cette première question, la direction de la CGT pense que l’idéologie est première face à l’économie. Cette thèse est récurrente chez les philosophes idéalistes, nous ne saurions donc y adhérer en tant que matérialistes. Mais sa relance depuis quelques décennies, notamment de la part de la gauche française  permet d’effacer les rapports de classes et de trouver une explication idéologique coupée du réel de la domination bourgeoise. L’utilisation du terme « extrême droite », d’ailleurs jamais défini, est au même titre que celui de « libéral » un paravent empêchant de parvenir à l’essence du système, les rapports de classes et l’existence d’une classe dominante.

Ainsi, la secrétaire-générale de la CGT nous parle de l’existence d’une « internationale d’extrême-droite » qui comprendrait Trump, Poutine et Netanyahu, mais manifestement ni Biden, ni Macron. La fixation sur « l’extrême droite », largement répandue dans la direction de la CGT et ailleurs à gauche prend ici une tournure nouvelle. C’est encore faire fi du réel de la phase impérialiste que de mettre par exemple, sur le même plan Trump et Netanyahu, alors que les USA commandent à Israël. Également, Trump et Poutine sont les fondés de pouvoir de leurs capitalistes, chacun défend les siens et les BRICS sont un ensemble impérialiste distinct et concurrent du bloc occidental. Les impérialistes US et russe peuvent avoir, à un moment donné, des intérêts communs, il n’en reste pas moins que, fondamentalement, ils sont rivaux.

Il est intéressant à ce sujet, de citer le rapport au congrès de l’Union Départementale CGT du Tarn-et-Garonne, qui s’inscrit en faux contre les thèses de la direction confédérale de la CGT. « Parler d’internationale réactionnaire de Moscou à Washington nous parait mensonger et trompeur. Les États-Unis et la Russie sont deux puissances impérialistes rivales qui ne sont pas alliées et qui, jusqu’à preuve du contraire avec des actes réels comme un cessez-le-feu, s’affrontent en Ukraine. Parler « d’internationale réactionnaire » contre laquelle il serait, au fond, « légitime » de s’armer nous parait rentrer dans une logique de bloc impérialiste contre bloc impérialiste là où le seul camp que nous devons défendre est celui des travailleurs, de France comme du monde. D’ailleurs, ce discours fait aussi, et c’est peut-être le plus grave, l’impasse sur la nature impérialiste de l’État français, héritier de l’Empire colonial, et de l’Union européenne, puissance nucléaire et qui a encore la capacité de mener des opérations militaires extérieures. ».

Plus loin dans l’interview, en réponse à la troisième question (N’est-ce pourtant pas l’extrême droite qui semble dicter l’agenda politique ?), un autre volet de la position de la direction de la CGT nous est présenté : « La paix et la liberté, ce n’est pas le droit du plus fort ou du plus riche, comme le défend Donald Trump ». C’est contraire à toute réalité objective, à toute l’histoire du système capitaliste. Dans le monde capitaliste, c’est ainsi et ça ne date pas de Trump. Les guerres impérialistes se terminent toujours selon la loi du plus fort ou alors par une révolution, comme ce fut le cas dans la Russie de 1917. Mais la paix de Brest-Litovsk en mars 1918 se fit au prix de larges pertes territoriales. Mettre cela sur le seul dos de Trump c’est dédouaner les autres, à commencer par le génocidaire Biden. La suite est encore plus éclairante : « La paix passe par le respect du droit international […] . Il n’existe aucune paix durable sans justice sociale ». Rappelons que comme le droit en général, le droit international n’est jamais que le résultat d’un rapport de force. Aujourd’hui, le droit international, c’est le droit de l’impérialisme, et même celui de l’impérialisme dominant. Quand aux paix sans justice sociale, elles sont pléthore.

La défense de la « démocratie » est une défense de son propre impérialisme

Dans les réponses à plusieurs questions sur le sujet, nous est livrée la vision qu’a la direction de la CGT de Macron. On y apprend, à propos de la surenchère guerrière de notre président de la République, que la « vision politique du président français sert le capital, qui essaye de profiter de la situation de façon totalement opportuniste ». Et pourtant, le Capital n’est pas opportuniste, Macron est, par essence, son serviteur. Il ne le sert pas occasionnellement, mais en permanence, son rôle est d’appliquer sa feuille de route. Il est quand même incroyable qu’après 8 ans de pouvoir de Macron, la direction de la CGT n’ait toujours pas compris cet état de fait. Quant au Capital, il a besoin de taper sur le travail vivant et au besoin de faire la guerre à cause de la baisse tendancielle du taux de profit. Plus loin, nous apprenons : « ils refusent d’affronter le capital, ils se limitent à la surenchère militaire » ou « ils » désignent les dirigeants politiques français et union-européens. De quoi tomber là encore des nues. Comment Macron et Von der Leyen pourraient combattre le Capital ? Ce sont ses fondés de pouvoir !!!

Mais ceci est le prélude à un traitement différent de Macron ou ses amis de l’UE par rapport aux dirigeants précédemment qualifiés d’extrême droite. Ainsi, nous apprenons que « Trump et Poutine travaillent activement pour déstabiliser nos démocraties ». D’une part, parler de la déstabilisation de Trump et Poutine est factuellement erroné en oubliant toute l’œuvre de la CIA depuis sa création, en oubliant Soros et ses révolutions de couleur. Qui a déstabilisé l’Ukraine en 2014 ? Ensuite le mot « démocratie » interpelle. En quoi la société capitaliste de France est-elle plus démocratique que celle des USA ou de la Russie ? La mise à l’écart des media des opposants au discours dominant n’est-il pas la norme ? Le sort réservé à ceux qui soutiennent la lutte du peuple palestinien3 aujourd’hui ou ceux qui disent la vérité sur la colonisation de l’Algérie4 est-il une preuve de « démocratie » ? D’ailleurs vers la fin de l’interview, émerge la capacité de la direction de la CGT à reprendre sans état d’âme le discours de l’idéologie dominante : « Le réchauffement climatique ne se discute pas, c’est une situation avérée par les scientifiques ». Cette affirmation totalement gratuite fait partie de l’arsenal du scientisme théorisant une science absolue, qui ne se discuterait ni ne se prouverait qu’il faudrait simplement admettre, pauvres incultes que nous sommes. D’abord, tous les scientifiques sont loin d’être d’accord, mais on fait taire ceux qui ne le sont pas. Ensuite, la vérité scientifique ne peut être portée par le GIEC, un organisme politique, créé par Reagan et Thatcher(5).

Le pot aux roses nous est découvert plus tard. Nous notons l’utilisation du mot « Europe » et non « Union européenne », à l’instar du discours dominant, pour nous dire que « L’Europe doit affirmer ses valeurs. ». Ses valeurs sont les mêmes que celles des autres impérialismes, les capitalistes de l’UE veulent aussi les ressources de l’Ukraine. Ainsi par exemple, Niel qui n’est pas considéré comme « d’extrême-droite » possède nombre de parts dans des entreprises ukrainiennes. Cependant lui, elle n’en parle pas. C’est pourtant un milliardaire patron de presse comme Bouygues, Saadé ou Kretinsky. Seulement eux ne sont jamais cités par la direction de la CGT, qui ne vilipende que Bolloré et Stérin, parce que « d’extrême-droite » ; là encore, pas d’attaque contre le Capital mais contre l’une des idéologies à son service, permettant d’en dédouaner une autre. Comme le disait l’extrait cité plus haut du rapport d’actualité au congrès de la CGT du Tarn-et-Garonne, ce discours fait l’impasse sur la nature impérialiste de l’État français et de la supranationale UE.

Le clou est ensuite enfoncé : « Comment en sortir ? En se dotant d’une stratégie européenne pour protéger les médias, la liberté de la presse et sortir de la dépendance des Gafam ». Ce que cela dit de la pensée des dirigeants de la CGT est extrêmement grave. L’UE comme seul horizon, avec l’Europe fédérale en filigrane. La France est passée à la trappe, la défense de la « démocratie » ne peut relever que de l’Union européenne, signe que la direction de la CGT accepte le rapport de force inter impérialiste et, dans cet affrontement, qu’elle le veuille ou non, au lieu de dire, comme dans l’Internationale : « Paix entre nous, guerre aux armées », au lieu de soutenir les déserteurs ukrainiens et russes, elle choisit son camp.

Derrière cette rhétorique la direction confédérale de la CGT défend notre propre impérialisme. Le fait de défendre plutôt l’échelon supranational de l’UE que l’État français ne change rien à l’affaire. C’est une redite de la CGT de 1914, avec l’Union sacrée. Comme Léon Jouhaux, secrétaire-général de la CGT en 1914, la direction de la CGT choisit son camp plutôt que d’appeler à empêcher la guerre voulue par Macron, choisit son propre impérialisme, alors que la CGT devrait s’opposer à tous les impérialismes, y compris et d’abord le nôtre.

En conclusion

Si tant est que Poutine ou Trump soient des fascistes, rappelons les mots prononcés par Maurice Thorez à la chambre des députés6 après le 6 février 1934, pendant que les émeutiers fascistes tentaient leur coup d’État : « Il n’y a pas de différence de nature entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Ce sont deux formes de dictature du Capital. Le fascisme naît de la démocratie bourgeoise. Entre le choléra et la peste, on ne choisit pas. ». Notons que les députés des partis bourgeois présents à la Chambre ont hué Thorez et l’ont empêché de terminer son discours, CQFD.

Comme le dit le rapport déjà cité au congrès de l’UD CGT du Tarn-et-Garonne : « Il n’y a pas d’axe du mal, ni de combat entre les bons et les méchants. Il n’y a que des capitalistes assoiffés de profits. Nous assistons à la reconfiguration des rapports de force entre blocs impérialistes, non pas pour sauver les peuples, ou pour sauver les démocraties mais pour préserver le système capitaliste et les intérêts des milliardaires. ».

Le Parti Révolutionnaire Communistes est profondément attaché à l’existence d’un syndicalisme de lutte des classes, non par principe, mais parce qu’il s’agit d’un instrument indispensable à la construction du rapport de force pour faire reculer les capitalistes et faire gagner les salariés dans leurs revendications légitimes et aller vers l’objectif d’une société sans classe et donc débarrassée du capitalisme et établir une société socialiste. Nous avons largement développé notre conception du syndicalisme de classe dans un document7 intitulé :  » syndicalisme et lutte de classe ». L’abandon d’une position de classe de la direction de la CGT est un problème qui concerne tous les travailleurs, il est de notre devoir de le dire. Nous l’avons dit, nous le disons, et nous le redirons à chaque fois que cela sera nécessaire.

Notes

1 https://www.humanite.fr/social-et-economie/abrogation-loi-retraites/sophie-binet-les-profiteurs-de-guerre-sont-a-laffut

2 https://www.sitecommunistes.org/index.php/france/syndicats/3261-face-a-trump-quand-la-cgt-ne-voit-que-leurope-comme-acteur-democratique-dans-le-monde

3 https://www.sitecommunistes.org/index.php/france/luttes/3292-solidarite-avec-alex-presume-coupable-suspendu-de-son-travail-avant-son-jugement-pour-avoir-soutenu-la-palestine

4 https://www.sitecommunistes.org/index.php/france/politique/3262-trop-ca-suffit

https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d%27experts_intergouvernemental_sur_l%27%C3%A9volution_du_climat

https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/maurice-thorez-15-juin-1934

7 https://www.sitecommunistes.org/index.php/publications/documents/1169-syndicalisme-et-lutte-de-classe

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Source: https://sitecommunistes.org/index.php/france/syndicats/3307-labandon-dune-position-de-classe-de-la-direction-de-la-cgt-est-un-probleme-qui-concerne-tous-les-travailleurs

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/l-abandon-dune-position-de-classe-de-la-direction-de-la-cgt-est-un-probleme-qui-concerne-tous-les-travailleurs-prc-31-03-25/

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