
Depuis 2015, ces salariés d’EDF, syndiqués à la CGT, ont défendu un projet de reconversion de la centrale à charbon de Cordemais. Après le feu vert donné par l’État pour la relance du projet, en janvier, ils reviennent sur ces années de désillusions, de combat et de soulagement.
On les avait rencontrés, il y a cinq ans, posant pour la photo, devant les cheminées de la centrale de Cordemais, sous un ciel de cendre. Les visages fermés, les poings et les mâchoires serrés reflétaient leurs inquiétudes sur l’avenir de leur « cathédrale » .
La centrale de Cordemais, carburant au charbon, était condamnée à fermer, à l’horizon 2022. Le président Emmanuel Macron l’avait décidé. « Trahison », « gâchis », murmuraient-ils, assommés par cette énième péripétie du « feuilleton de Cordemais », comme l’évoquent les habitants de cette commune de 3 800 âmes.
Ce vendredi de février, les mines renfrognées ont disparu. « Vous allez avoir des sourires sur votre photo, blague Alexandre Terrien, 37 ans, chargé d’affaires en robinetterie chez EDF. C’est plus facile de parler maintenant. » Attablés au restaurant O fil de l’O, à quelques encablures du stock de charbon, ces sept salariés, tous syndiqués à la CGT, savourent leur café et ce futur redevenu désirable.
Après cette rencontre, ils se retrouvent, une bonne petite cinquantaine, dans une salle à Savenay pour déguster une roborative carbonade. « Un moment convivial pour fêter l’usine » : voilà ce qui est noté sur le carton d’invitation. Ils ne sablent pas le champagne, mais trinquent pour célébrer la nouvelle espérée depuis des semaines : le ministère de la Transition écologique a validé, le 20 janvier, la construction d’une usine de fabrication de black pellets, sur le site de la centrale.
Ces pellets, issus de déchets de bois d’ameublement remplaceront le charbon comme combustible. « On est tellement soulagés », confie Yann Le Dreff, 54 ans, électricien. « Cette usine, c’est l’assurance que l’activité industrielle sera maintenue à Cordemais, pour longtemps. Je suis confiant », se rassure Alexandre Terrien.
Travailler dans cette centrale : ce sont des montagnes russes
L’État vient de ressusciter le projet qu’il avait enterré le 7 juillet 2021. Alors, totalement sereins ? « Les politiques sont retors et des menteurs patentés », tranche, cinglant, Noël Josse, 52 ans, spécialiste en logistique. Sans craindre de faire des généralités.
Pendant huit ans, ils ont porté à bout de bras cette reconversion de la centrale de Cordemais, ce gigantesque chauffage d’appoint de l’Ouest de la France. « En dents de scie, c’est ça l’histoire de Cordemais. À l’image de nos carrières : quand on entre chez EDF, on a la garantie de l’emploi, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête », souffle Sébastien Féret, 37 ans, technicien automatisme.
Yann Le Dreff se rappelle son embauche, en 1992, quand son chef l’avait prévenu : « Tu ne feras jamais toute ta carrière à Cordemais. » Travailler dans cette centrale, ce sont des montagnes russes qui n’en finissent jamais.
« Le 7 juillet 2021, quand EDF a annoncé que le projet de reconversion de la centrale était abandonné, on s’est pris une grosse calotte, se souvient, encore un peu amer, Fabien Deschamps, délégué syndical CGT. Une claque avec, en retour des flammes, des reproches acerbes des collègues et des « on vous l’avait bien dit » qui blessent ».
Arrêts maladie en cascade
Après « ce coup de massue » et des vacances « bousillées », un climat délétère s’insinue à la centrale. Arrêts maladie en cascade et « file d’attente » devant le service médical. « Certains ont avoué qu’ils auraient pu commettre l’irréparable », confie Fabien Deschamps.
Dans les couloirs, les rumeurs vont bon train sur les déménagements des uns, les mutations des autres. Toutes ces vies suspendues au souffle de la centrale, comme au chevet d’une industrie mourante. « On se demande si on va acheter une maison, si on fait des enfants, explique Alexandre Terrien, un gars de la Brière qui ne veut pas bouger. Est-ce que notre conjointe doit reprendre un nouveau boulot ? Sans compter les parents et les amis qui se tracassent. »
Avec la direction, les relations se tendent. « Le turn-over n’arrêtait pas. Quand un nouveau directeur arrivait, on se disait : tiens, un nouveau fossoyeur qui vient fermer Cordemais » , balance Fabien Deschamps. En privé, ces salariés souffrent de l’image qui leur colle à la peau, aussi tenace que des résidus de charbon sur du linge frais. « Ça pollue, c’est sale, on coûte cher, on est en grève, fulmine Yann Le Dreff. L’opinion publique nous décrie sans cesse. »
« Ils nous ont pris pour des cinglés »
« Nous sommes de bons techniciens », se défend Fabien Deschamps. Fiers de produire de l’électricité, de chauffer des maisons et d’allumer les lumières. « Quand les gens appuient sur l’interrupteur et que ça marche, c’est grâce à nous », renchérit Alexandre Terrien.
Ce bras de fer qui a duré huit ans les a-t-il dégoûtés ? « Au contraire, ça nous a confortés dans la nécessité de se battre, souligne Yann Le Dreff. Ils nous ont pris pour des cinglés, mais on leur a montré qu’on avait raison d’aller jusqu’au bout. »
Ils ont connu le plus dur de la tempête, un temps où chaque salarié se recroquevillait sur son avenir. Aujourd’hui, l’horizon s’éclaircit et ils renouent avec l’espoir, la solidarité. « Il y a cinq ans, EDF avait des gamins en face d’eux, résume Alexandre Terrien. Maintenant, ils ont des hommes et des femmes. On n’est pas près de la laisser fermer, notre centrale. »
Ils avaient quitté la centrale de Cordemais, quelques-uns reviennent
Naval group, Airbus, Tan, terminal méthanier de Montoir, d’autres encore. Au fil de ces dernières années, des agents de la centrale thermique ont choisi de quitter, non sans mal parfois, la centrale de Cordemais. Une vague de départs qui n’a pas surpris le délégué cégétiste Fabien Deschamps.
Quand il fait le compte des départs, il recense « vingt à trente collègues » qui ont choisi de quitter la centrale. Épuisés par l’incertitude des lendemains. Vaincus par l’angoisse mais pas prêts à rendre les armes.
Des collègues qui ont choisi de migrer vers d’autres boîtes de la région plutôt que d’endurer le supplice chinois de l’incertitude permanente pesant sur l’avenir de la centrale, donc sur eux, sur leurs familles, sur leurs projets. Ils sont partis, parfois le cœur lourd. « Je pense à Tony, un collègue, raconte Alexandre Terrien, 37 ans, originaire de la région et très attaché à la centrale. Il n’a passé qu’un an ici, mais je sais qu’il regrette Cordemais. »
D’autres ont essayé de monter leur propre boîte. « Des procédures d’accompagnement pour la création d’entreprises avaient été mises en place, rappelle Gwenaël Plagne. Au bout de cinq ans, les agents pouvaient revenir à EDF si ça ne marchait pas. » Enfin, certains ont tout simplement changé de crémerie tout en restant dans l’industrie énergétique mais en rejoignant une centrale nucléaire. « Pour tous, constate Fabien Deschamps, c’est la menace de la fermeture qui fait qu’ils sont partis. »
Et puis, il y a ceux qui ont fait leurs valises, et qui reviennent désormais à Cordemais, « rassurés sur l’avenir de la centrale », persuadés que l’État ne pourra plus faire volte-face, qu’il est allé trop loin dans ses engagements et que le projet lui-même est suffisamment costaud. Ceux qui reviennent sont moins nombreux. Mais ces retours au bercail sont symboliques d’un attachement à Cordemais. On ne quitte pas la centrale si facilement.
10 millions de tonnes de CO²
C’est le nombre de tonnes de CO 2 générées par les quatre dernières centrales à charbon (Cordemais, Saint-Avold, Le Havre et Gardanne). Soit plus du quart des émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique en France, selon un rapport en janvier 2020, du ministère de la Transition écologique.
Agnès MÉTAYER et Philippe ECALLE.
URL de l’article: https://lherminerouge.fr/la-centrale-de-cordemais-44-cest-un-feuilleton-en-dents-de-scie-ils-racontent-huit-ans-de-lutte-of-fr-2-03-23/