
© ISA HARSIN/SIPA
Alors que la CGT quitte le « conclave » voulu par François Bayrou, l’avenir des discussions sur la réforme de 2023 est plus que jamais posé. Le gouvernement porte une large part de responsabilité.
Par Cyprien BOGANDA.
Requiem pour un conclave ? Du dispositif conçu par François Bayrou mi-janvier, il ne reste plus grand-chose. En à peine trois semaines, les négociations ont enregistré trois défections – après celle de FO et l’U2P (organisation patronale), c’est celle de la CGT qui a été annoncée par sa secrétaire générale, Sophie Binet, ce mercredi soir au JT de France 2 –, si bien que l’avenir du conclave s’écrit en pointillé.
Il faut dire que le premier ministre a tout fait pour plomber l’ambiance, à coups de déclarations fracassantes qui ont déboussolé jusqu’aux syndicalistes les plus conciliants. Même s’il est encore un peu tôt pour administrer l’extrême-onction, il est temps de faire la genèse d’un fiasco annoncé.
14 janvier : un conclave mal-né
Suspendra, suspendra pas ? Ce 14 janvier, tous les parlementaires attendent le nouveau premier ministre au tournant, qui doit prononcer un discours de politique générale dans lequel il dira ce qu’il compte faire de l’encombrante réforme des retraites de 2023 (recul de l’âge légal de 62 à 64 ans), massivement rejetée par les Français.
Au lieu de prendre parti, Bayrou botte en touche : il demande aux « partenaires sociaux » (syndicats et patronat) de renégocier le texte de la réforme pour l’améliorer, et promet qu’en cas d’accord, ce dernier sera transféré dans un texte de loi. En cas d’échec, la réforme continuera de s’appliquer.
Mais, dès le départ, rien ne va. Le nom, déjà. La référence religieuse (un conclave est une réunion des cardinaux pour élire le nouveau pape) fait dresser des cheveux sur la tête à certains syndicalistes. « C’est le côté catho de Bayrou, se marre un négociateur. Mais le mot est quand même très mal choisi : une organisation syndicale négocie pour améliorer les droits des travailleurs, pas pour élire le Saint-Père… »
Étymologiquement, un conclave signifie « pièce fermée à clé » : un aveu implicite de la volonté gouvernementale de « verrouiller » les discussions ? « La CGT ne participera à aucun conclave, recadre sèchement Sophie Binet sur LCI. C’est une question de laïcité mais aussi de principes : qui dit conclave dit secret. Nous ne faisons aucune négociation secrète. »
20 février : la Cour des comptes entre dans la danse
Pour assurer de la pureté de ses intentions, François Bayrou a promis qu’il n’avait, sur la question des retraites, ni « totem ni tabou ». Une formule fourre-tout et surtout très floue. En réalité, cet obsédé de l’endettement public a une idée derrière la tête : dramatiser la question des déficits publics, pour rendre caduc tout retour à 62 ans.
De toute façon, il sait pertinemment que le « conclave » a toutes les chances d’échouer, avec un patronat farouchement hostile à l’abandon de la réforme de 2023. Cette proposition de « conclave » a été pensée par Bayrou comme monnaie d’échange, contre la promesse du Parti socialiste de ne pas censurer le gouvernement en janvier.
Pour cadrer les discussions, il commande à la Cour des comptes un rapport sur l’état financier des régimes de retraite. Sans surprise, la Cour rend un rapport très orienté idéologiquement, le 20 février. « Les perspectives sont préoccupantes malgré la réforme de 2023 », écrit-elle. Dès 2025, le déficit (tous régimes compris) devrait atteindre 6,6 milliards d’euros, puis 15 milliards en 2035, et environ 30 milliards en 2045.
Surtout, elle écarte d’emblée toute proposition de hausse du taux de cotisations pour équilibrer le régime, au motif – peu étayé – qu’une telle hausse détruirait des dizaines de milliers d’emplois. À la place, elle suggère encore d’allonger la durée de cotisations ou de repousser l’âge légal.
27 février : première réunion et première défection
Les négociations commencent fort mal. La veille du coup d’envoi, un haut responsable syndical nous confiait son amertume : « Honnêtement, je ne vois pas de sortie. Je suis de très près ce type de négociations depuis plus de dix ans, et c’est la première fois depuis longtemps que je suis aussi pessimiste : le patronat ne veut rien lâcher. Et si, à l’arrivée, les négociations échouent, on nous fera endosser la responsabilité de cet échec. »
Peu de temps après le début des réunions, coup de théâtre : FO décide de claquer la porte, dénonçant une « mascarade ». Le début d’une série de défections.
16 mars : la semaine du coup de grâce
C’est François Bayrou qui décide lui-même de planter le deuxième clou dans le cercueil. En se déclarant personnellement opposé à tout retour aux 62 ans, ce dimanche 16 mars, le premier ministre tombe le masque : les négociateurs débattent en pure perte de l’âge légal, puisqu’un retour à 62 ans ne sera pas inscrit dans la loi. Deux jours plus tard, la confusion est à son comble. Alors que plusieurs poids lourds du gouvernement sortent les rames pour assurer que ce sont bien les « partenaires sociaux » qui auront le dernier mot, le premier ministre en rajoute une couche : il maintient ses positions.
Consternation chez les organisations syndicales. Le 18 mars, la CGT lance une consultation auprès de ses structures internes (unions départementales et fédérations), pour savoir si elles souhaitent que la confédération quitte les négociations. Verdict : la piste du départ l’emporte largement.
La CFDT, elle, compte participer à la réunion du « conclave » prévue ce jeudi, mais pour exiger un changement complet de ses règles : Marylise Léon, secrétaire générale de la centrale, se dit prête à « s’affranchir de la lettre de cadrage » et à négocier « avec ceux qui ont envie vraiment de travailler » pour ouvrir « un autre conclave ».
En attendant, syndicalistes et députés se perdent en conjectures pour expliquer le jusqu’au-boutisme de Bayrou. « Aujourd’hui, il doit faire le pari que les députés n’oseront pas déposer une motion de censure en raison du contexte international, suppute Régis Mezzasalma, en charge des retraites à la CGT. Son message implicite est le suivant : “L’urgence économique, c’est de financer l’effort de guerre, pas un retour aux 62 ans.” »
Un pari hasardeux pour Stéphane Viry, député Liot pourtant peu client d’un retour à 62 ans : « Je rappelle que ce gouvernement n’a pas de majorité. François Bayrou joue avec le feu : il suffit que le PS dépose une motion de censure soutenue par le reste de la gauche et le RN, et le gouvernement sautera. »
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/la-cgt-quitte-le-conclave-sur-les-retraites-comment-le-gouvernement-a-envoye-les-negociations-dans-le-mur-h-fr-19-03-25/