
Un rapport de la Cour des comptes accable la gestion d’EDF, qui n’a plus les moyens de ses ambitions, notamment nucléaires. L’entreprise publique compte plus de 50 milliards d’euros de dettes, qui limite ses marges de manœuvre.
Par Laure NOUALHAT.
La Cour des comptes a publié le 24 septembre son diagnostic sur EDF et son constat est implacable : l’entreprise, redevenue propriété à 100 % de l’État en 2023, n’a plus les moyens de ses ambitions. Son modèle est miné par une exposition excessive aux aléas nucléaires, des objectifs d’investissement hors de portée et un mécanisme de régulation bricolé, qui socialise les risques tout en promettant des miracles (mirages ?) industriels.
Pendant longtemps, EDF a cru tenir la poule aux œufs d’or : ses 57 réacteurs assuraient une électricité abondante et bon marché. Mais l’illusion a pris fin en 2010, quand la création de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), devait « ouvrir à la concurrence » le marché français de l’électricité.
Traduction : forcer EDF à vendre une partie de son courant nucléaire à ses rivaux privés, à prix cassé. Fixé à 42 euros le mégawattheure (MWh) en 2011, le tarif n’a jamais été révisé. Or, dans un marché où le MWh se négocie parfois au-delà de 200 euros, cela revient à brader la rente atomique construite par des décennies d’investissements publics.
Mur de dettes et pertes abyssales
Selon la Cour des comptes, le mécanisme a vidé les caisses du groupe : 5,3 milliards d’euros de manque à gagner entre 2011 et 2020, et jusqu’à 26,5 milliards en 2022, quand EDF a dû racheter du courant hors de prix sur les marchés. L’entreprise se bat depuis le début des années 2020 contre un mur de dettes, tout en affichant des pertes abyssales.
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Bonne nouvelle : l’Arenh expire à la fin 2025. Que met-on à la place ? Un autre sigle barbare, inspiré des contrats pour différence (CfD). L’idée : les revenus d’EDF seront encadrés par une fourchette tarifaire et, en-dessous d’un certain seuil, le groupe recevra une compensation pour ne pas sombrer. Au-dessus de 78 €/MWh, l’État ponctionnera 50 % de la rente. Et au-delà de 110 €/MWh, EDF ne gardera que 10 %, tandis que 90 % partiront dans les caisses publiques.
En théorie, c’est un compromis : l’entreprise est protégée des prix trop bas et les consommateurs sont censés profiter d’une redistribution quand les prix flambent. En pratique, c’est un montage alambiqué pour financer en douce le gigantesque programme nucléaire promis par Emmanuel Macron.
Car au menu du groupe, il y a le futur nucléaire, qu’il faut faire sortir de terre. En février 2022, le président de la République a promis quatorze nouveaux EPR2. Facture officielle : 115 milliards d’euros, soit à peine 8 milliards par réacteur. Un montant déjà plusieurs fois réévalué à la hausse — 13 à 14 milliards d’euros par réacteur — en attendant le nouveau devis du groupe.
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Toute l’économie du programme EPR2 dépend de la production de devis réalistes, une compétence qu’EDF semble avoir perdue au fil des expériences des EPR1. D’après EDF, la « standardisation » des EPR2 fera baisser la facture. Comme si les chantiers titanesques, la pénurie de compétences et l’inflation magique des devis allaient, cette fois, obéir au doigt et à l’œil à Bercy.
En parallèle, EDF doit investir massivement dans les réseaux, les renouvelables et le prolongement de ses vieux réacteurs jusqu’à 60 ans, histoire que leurs remplaçants, les fameux EPR2, aient le temps de sortir de terre. Au total, l’entreprise fait face à 460 milliards d’investissements d’ici à 2040, dont 200 milliards pour le nucléaire seul et 100 milliards pour la modernisation des réseaux électriques.
Qui paiera l’addition ?
Tous les regards se tournent donc vers l’État. Pour financer les futurs EPR2, des pistes baroques sont explorées : avances remboursables de l’État, cessions d’actifs, voire mobilisation des provisions destinées au démantèlement et aux déchets nucléaires. La Cour s’inquiète de ce bricolage permanent et pose la vraie question : qui paiera l’addition ? EDF, l’État, ou les consommateurs ?
Les magistrats de la Cour des comptes demandent très poliment à EDF de rendre tout cela transparent et digeste : « Le partage des coûts de financement du programme d’investissements entre EDF, l’État et les clients du groupe gagnerait à être clarifié. » Sans quoi l’équation financière d’EDF demeurerait « insoutenable », alors que l’entreprise était endettée de plus de 53 milliards d’euros fin 2024.
Avec « l’ensemble des investissements projetés par ailleurs par EDF, le financement du programme des quatorze EPR2 au coût prévu conduirait à un quadruplement insoutenable de l’endettement financier net, c’est-à-dire à près de 220 milliards d’euros fin 2040 », soulignent les rapporteurs.
« Voilà un rapport très utile qui éclaire sur la vérité des chiffres et des activités d’EDF. Je partage toutes ses interrogations, mais pas forcément ses recommandations, qui s’inscrivent dans l’ère actuelle de la relance du nucléaire », commente Maxime Laisney, député La France insoumise de Seine-et-Marne.
Ce document vient grossir la collection de rapports consacrés au nucléaire (coûts de la filière, démantèlement, déchets, filière EPR…) qui, tous, dessinent les contours d’une filière infinançable. Au cœur de ces questionnements, la place du consommateur est essentielle : sera-t-il la vache à lait d’EDF, forcé de payer des factures toujours plus élevées à cause d’investissements pharaoniques ?
Les pouvoirs publics ont toujours eu pour objectif d’assurer aux clients finals des prix de l’électricité reflétant les coûts de production du mix français… mais que se passera-t-il quand ceux-ci s’envoleront vers des niveaux inconnus jusqu’alors ? Personne, à ce stade, n’ose avancer de réponse claire.
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Source: https://reporterre.net/La-dette-d-EDF-remet-en-cause-ses-projets-nucleaires
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