La FNSEA fait pression sur un projet ambitieux de préservation de l’eau (reporterre-31/07/25)

Le futur Sage a pour ambition de préserver l’eau dans la région. (Photo d’illustration) – © Jean-François Fort / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Courriers mensongers, interruption des conseils municipaux… Des membres du syndicat productiviste la FNSEA font pression pour éviter la révision de la gestion de l’eau en Bretagne.

Par Chloé RICHARD.

Préserver davantage l’eau entre la Bretagne et la Loire-Atlantique ne semble pas du tout plaire à la FNSEA, le syndicat majoritaire et productiviste. Et certains adhérents de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles l’ont bien fait comprendre, en usant de pressions.

L’idée, pourtant, a tout pour assurer une agriculture plus durable. Interdire la destruction des zones humides dès le premier m², protéger les haies, assurer une eau de qualité et en quantité suffisante… Dans le bassin de la Vilaine, les 70 membres de la commission locale de l’eau (CLE) bûchent depuis trois ans sur ce nouveau Sage, le Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau.

Alors que seulement 8 % des cours d’eau sont jugés « en bon état écologique » sur ce bassin — contre une moyenne de 24 % pour le bassin Loire-Bretagne —, le futur Sage propose une mesure inédite : interdire les herbicides de maïs… mais sur un territoire restreint.

Seul 1,4 % du bassin versant sera concerné par cette règle, notamment les zones les plus sensibles au ruissellement et à l’érosion, comme l’a déjà récemment expliqué Reporterre. Et soumis à dérogation selon la météo notamment, la pluie remettant en cause le désherbage mécanique.

Initialement, il avait été proposé d’interdire les herbicides de maïs sur toutes les aires de captage d’eau prioritaires, soit 3,5 % du territoire. Ce schéma de gestion de l’eau, qui est aussi le plus grand de France, s’étend sur 11 000 km², 6 départements, 2 régions (la Bretagne et la Loire-Atlantique) et plus de 500 communes.

« [Le nouveau Sage] est une mesure consensuelle proposée par les délégués de la chambre d’agriculture eux-mêmes », dit Michel Demolder, président de la CLE Sage Vilaine depuis 2010 et maire de Pont-Péan, commune de Rennes Métropole. Ces mêmes chambres d’agriculture siégeant également au sein de la CLE en tant que représentantes de la profession.

Les FDSEA en campagne contre le Sage

Pour autant, les antennes locales de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA) ne l’entendent pas de cette oreille. Depuis quelques mois déjà, ces syndicats qui défendent une agriculture intensive ne cachent pas leur désamour pour ce projet visant à préserver la qualité de l’eau sur un territoire où celle-ci est déjà mal en point.

Il y a d’abord eu une manifestation : la première, le 3 décembre 2024, devant la sous-préfecture de Redon (Ille-et-Vilaine) ayant réuni d’après la presse locale une soixantaine d’agriculteurs. Suivie d’une contre-manifestation en février par les soutiens au Sage — une dizaine d’associations citoyennes et environnementales telles que Eau et Rivières de Bretagne et le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest — ayant réuni plus de 1 500 personnes d’après les organisateurs.

Puis, le 21 mars 2025, la commission locale de l’eau a approuvé le nouveau Sage Vilaine avec 39 voix pour, 0 contre et 18 abstentions. Une centaine de membres de la FNSEA étaient présents pendant le vote. Le projet est ensuite entré en phase de consultation administrative, et les opposants au Sage sont passés à la vitesse supérieure.

Courriers à l’attention des élus

Le 25 avril, les élus du Morbihan ont été les destinataires d’un courrier émis par la FDSEA 56 (la branche locale de la FNSEA), les JA 56 et la chambre d’agriculture 56 (cette dernière siégeant pourtant au sein de la CLE) avec comme objet : « Appel à vigilance sur consultation du Sage Vilaine. » Même chose dans les Côtes-d’Armor le 2 mai, le tampon de la chambre d’agriculture locale en moins.

Le 15 mai, ce fut au tour des élus d’Ille-et-Vilaine de recevoir un courrier d’un Conseil départemental agricole, dont la composition et les contours de ce groupe non officiel restent flous, mais qui regrouperait, sans détail donné dans la lettre, « les organisations professionnelles agricoles, la coopération agricole, les établissements de service, banque, assurances, mutualités ». Le courrier est toutefois signé au nom de Cédric Henry, élu à la tête de la FDSEA 35. Contactées, ni les FDSEA des départements ni la chambre d’agriculture régionale n’avaient répondu aux questions de Reporeterre à la publication de cet article.

À chaque fois, dans ces missives, les mêmes arguments reviennent : l’interdiction d’herbicides de maïs au profit du désherbage mécanique entraînerait, par exemple, une baisse de rendement, c’est pourquoi les auteurs réclament des dérogations pour pouvoir traiter chimiquement le maïs si besoin. Autre argument : les agriculteurs seraient peu représentés dans la CLE. Ou encore, le projet manquerait d’une étude d’impact économique sur les agriculteurs et l’agro-industrie. Un comité de financement actuellement en création devrait toutefois en avoir la charge.

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Les dérogations afin de traiter malgré tout le maïs sur le 1,4 % de territoire concerné par cette mesure inédite sont en réalité déjà proposées par le Sage. « Quant au désherbage mécanique, celui-ci n’a pas d’impact sur le rendement [celui-ci ne fait pas l’objet d’étude précise, toutefois les avantages de cette technique sont documentés], dit Pascal Hervé, élu à Laillé (Ille-et-Vilaine), siégeant au CLE et ancien agriculteur en vaches laitières, qui s’est converti au bio dans les années 90. Le maïs, s’il est biné, a d’ailleurs un meilleur comportement quand il pleut car il retient mieux l’eau. Ça a des avantages. »

Entre les représentants de la profession — dont Agrobio 35, le groupement des acteurs bio d’Ille-et-Vilaine, que la FNSEA omet volontairement d’évoquer dans ses courriers — et les élus, « la CLE abrite en réalité une quinzaine de personnes en lien avec le monde agricole », rappelle Pauline Pennober, chargée de mission politiques de l’eau pour l’association Eau et Rivières de Bretagne, siégeant également au sein de la CLE.

« On a toujours précisé que la règle sur le maïs passera si financement il y a. Un comité a d’ailleurs été constitué à ce sujet, mêlant services de l’État, agences de l’eau, régions et l’ensemble des syndicats producteurs d’eau potable pour voir comment accompagner les agriculteurs », ajoute Christophe Danquerque, responsable du service animation de la politique du bassin de la Vilaine au sein d’Eaux et Vilaine, un établissement public territorial de bassin.

« Quant au manque d’étude d’impact économique, il serait en effet intéressant de la faire, en prenant en compte également le coût sur la santé et la biodiversité », remarque Michel Demolder. Rien qu’à l’échelle des eaux du bassin rennais, « on estime à 1 million d’euros le surcoût du traitement de l’eau », ajoute le président de la CLE. La dizaine d’associations qui soutient le projet de Sage a également écrit aux élus pour contredire les arguments de la FNSEA.

Coup de pression pendant les conseils municipaux

L’opposition des tenants de l’agriculture intensive ne s’arrête pas à l’envoi de missives. À plusieurs reprises, des agriculteurs — portant parfois le même t-shirt vert forêt floqué du logo de la FNSEA — se sont montrés présents aux conseils municipaux lorsque la délibération autour du Sage avait lieu. Interrompant même parfois la séance.

Ainsi, lors du conseil municipal de Plémet (Côtes-d’Armor), le 10 juillet, une délégation de la FNSEA est intervenue au moment du vote sur le Sage. Ces derniers ont exprimé leur point de vue, sans contradicteur, alors que le public n’a pas vocation à y participer. À Pontivy, le 24 juin, les élus de la communauté de communes ont émis un avis favorable au Sage avec une réserve sur l’interdiction des herbicides de maïs, le tout en reprenant les éléments de langage de la FNSEA.

« Toute la délibération autour du Sage n’a été qu’agricole »

D’autres fois, les opposants au projet sont directement invités par les élus eux-mêmes. C’est le cas de Vitré Communauté (Ille-et-Vilaine). « Deux agriculteurs de la FNSEA sont intervenus en amont du vote. Un agriculteur bio a été invité mais il ne pouvait pas venir. Nous, on n’a pas été invités, regrette Jacques Le Letty, président de l’association environnementale Vitré Tuvalu, association membre du réseau France Nature Environnement. Toute la délibération autour du Sage n’a été qu’agricole. »

Dans un communiqué envoyé à Reporterre le 31 juillet, le président de Vitré Communauté, Teddy Régnier, précise n’avoir « jamais convié les associations ni les syndicats, qu’ils soient favorables ou défavorables, à venir s’exprimer au nom de leurs structures ».

Dans un contexte de changement climatique, mais aussi de loi Duplomb qui facilite notamment l’extension d’élevages intensifs, la pression sur l’eau risque de s’accroître. De leur côté, les élus locaux sont tenus de fournir une eau potable à leurs administrés. « Il s’agit de santé publique. C’est de notre responsabilité, en tant qu’élu, de protéger les populations », rappelle Pascal Hervé.

Les municipalités et intercommunalités avaient jusqu’au 31 juillet pour donner leur avis sur le Sage de la Vilaine. Place ensuite à la consultation publique. Le projet doit être définitivement bouclé avant les municipales de 2026. Aux préfets d’avoir le dernier mot, puisqu’ils peuvent délimiter le périmètre du Sage. Reste à savoir jusqu’où les détracteurs sont prêts à aller pour défendre leurs intérêts privés.

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Source: https://reporterre.net/La-FNSEA-fait-pression-sur-un-projet-ambitieux-de-preservation-de-l-eau

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