
À l’occasion de l’Unoc, le sommet mondial pour les océans, le ministère de la Transition écologique a fait la promotion de CMA CGM. Ce colossal groupe maritime français, fort polluant, est même partenaire de l’événement. Son PDG, Rodolphe Saadé, est un proche de Macron.
Par Lorène LAVOCAT.
C’est un détail qui aurait pu passer inaperçu. Mercredi 21 mai, en amont du sommet mondial pour les océans, l’Unoc, le ministère de la Transition écologique adressait à tous les médias une « liste de recommandations de sujets » sur la préservation des mers.
Jusqu’ici, tout allait bien. Mais parmi les « interlocuteurs » mis en avant par l’exécutif, au milieu d’ONG comme Surfrider ou d’organismes de recherche tels l’Ifremer, figure une giga-entreprise, CMA CGM. Le groupe, troisième compagnie maritime mondiale, est également le principal sponsor de l’événement onusien : d’après les chiffres fournis à Reporterre par le service communication, CMA CGM a signé un chèque de 2 millions d’euros pour soutenir le sommet.
De l’argent contre de la com’ ? Car l’entreprise est citée trois fois dans le document du ministère — un traitement de faveur unique. D’abord pour son projet « piloter l’impact carbone en temps réel grâce à l’intelligence artificielle », puis pour son investissement dans les « carburants bas carbone » (des biocarburants controversés sur le plan environnemental) et enfin pour son engagement « pour la préservation de la biodiversité marine ».
Un géant maritime très polluant
L’armateur est pourtant loin d’être un champion en matière d’écologie. Le transport maritime est à l’origine de pollutions marines, atmosphériques et d’émissions de gaz à effet de serre. Le secteur est responsable de près de 3 % des émissions mondiales, soit autant que l’aviation.
Pour réduire son empreinte carbone, le groupe maritime français de transport de conteneurs et de fret mise tout sur le gaz naturel liquéfié (GNL), un gaz pourtant très néfaste pour le climat.
Sans oublier la faible participation du géant maritime au budget national : selon une mission de l’Assemblée nationale sur les profits exceptionnels liés notamment au Covid-19, le taux effectif d’imposition de CMA CGM était… de 2 % en 2021. En 2024, l’entreprise a réalisé 5,71 milliards de dollars de bénéfices (5 milliards d’euros), en hausse de 56,9 % par rapport à l’année précédente.
La fortune du patron de CMA CGM, Rodolphe Saadé, a septuplé grâce à la crise du Covid, selon une enquête de Mediapart. Le milliardaire se vante également de sa proximité avec Emmanuel Macron, comme le relate le média d’investigation : « Nous avons de très bonnes relations avec le gouvernement, nos discussions sont fréquentes sur des sujets importants et notre dialogue est très positif. Certaines de nos opérations sont réalisées en bonne intelligence avec lui », a-t-il assuré lors d’une audition au Sénat en 2022.
Des ONG contrariées
De quoi interroger François Chartier, qui suit l’Unoc pour Greenpeace. « Voir des entreprises qui contribuent au changement climatique et à l’hypercirculation des marchandises sur l’eau être mises en avant, c’est étonnant », indique-t-il à Reporterre.
« Que les acteurs économiques participent aux discussions internationales, au même titre que la société civile, c’est normal, ajoute-t-il, mais de là à avoir une place centrale dans le sommet… ça pose question. » Pour l’écologiste, il est essentiel que les États prennent des engagements clairs et des mesures strictes pour protéger les océans. « On ne peut pas juste s’en remettre à la bonne volonté des entreprises », rappelle-t-il.
Même mal de mer du côté de l’ONG Transport & Environment. « CMA CGM investit dans la décarbonation, donc ils ont une certaine légitimité sur ce sujet, précise Fanny Pointet, qui suit le transport maritime au sein de l’organisation. Mais ils ne sont pas du tout les seuls ! » D’après l’experte, d’autres entreprises françaises agissent en faveur de la propulsion à la voile et de la réduction de la vitesse des navires — des leviers très efficaces pour réduire le poids écologique des cargos. « Pourquoi ne pas les mettre aussi en avant ? » s’interroge la spécialiste.
CMA CGM partenaire de l’Unoc
L’armateur a-t-il joui d’un traitement privilégié en échange de son soutien financier ? Le 26 mai dernier, CMA CGM annonçait être « partenaire mondial » de la Conférence des Nations unies sur l’océan. Autrement dit, il fait partie des sponsors du sommet mondial, comme Coca-Cola avait financé la COP27.
Un mécénat scandaleux selon Hélène Granouillac, conseillère d’opposition à la ville de Nice où se tient le sommet, qui nous indique « avoir interpellé les autorités [la Ville de Nice et la Métropole Nice Côte d’Azur] sur ce partenariat très sujet à caution ». « Pourquoi choisissez-vous, comme partenaire de l’Unoc, le logisticien de fret maritime le plus avide, le plus profitable qui étend aussi sa flotte d’avions ? a-t-elle ainsi dénoncé lors du dernier conseil municipal, le 23 mai dernier. Ce bluewashing [soit du greenwashing appliqué à l’océan] est incompatible avec les défis à relever. »
On sait que le sommet mondial peinait à boucler son budget : outre les 52 millions d’euros d’argent public déjà actés, il manquait encore, selon une enquête de Mediapart, quelque 10 à 15 millions d’euros, que les organisateurs comptaient combler grâce au mécénat d’entreprise. Le chèque de CMA CGM est donc plus que bienvenu.
Sollicités pour une réaction, le ministère de l’Écologie et CMA CGM ne nous avaient pas répondu à l’heure de publier l’article.
°°°
Source: https://reporterre.net/La-France-fait-sponsoriser-l-Unoc-par-un-milliardaire-du-transport-maritime
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/la-france-fait-sponsoriser-lunoc-par-un-milliardaire-du-transport-maritime-reporterre-4-06-25/