
Un des exemples les plus nets de guerres contre-révolutionnaires a été l’intervention de puissances coalisées contre la jeune République des soviets à partir de 1917.
Par Jean-Marc SCHIAPPA .
La guerre est un outil. Elle permet, parfois, à des nations révolutionnaires de se souder contre l’ennemi extérieur et intérieur (France, 1792, par exemple) mais elle est aussi un moyen de régler des problèmes de concurrence entre impérialismes (les deux guerres mondiales, par exemple).
Elle peut enfin être utilisée par la réaction contre des poussées révolutionnaires. Un des exemples les plus nets de guerres contre-révolutionnaires a été l’intervention de puissances coalisées contre la jeune République des soviets à partir de 1917.
Une guerre contre la république des soviets
« Les Alliés doivent provoquer la chute des soviets », écrit Clemenceau le 23 octobre 1918. Outre les Russes blancs (tsaristes) aidés par les mencheviks et autres socialistes « modérés », ce sont plus de dix armées étrangères qui interviennent tour à tour ou simultanément pour essayer de renverser le pouvoir révolutionnaire ; Japonais, Américains, Serbes, Finlandais, « légion tchèque », Anglais, Polonais, Italiens, Allemands (avant la paix de Brest-Litovsk), Roumains, Grecs, Turcs, Bulgares, Austro-Hongrois et, bien évidemment, Français. Si certaines interventions sont symboliques, ce n’est pas le cas des armées anglaises et françaises.
Il ne s’agit pas, dans ce court article, de dresser l’histoire de la guerre civile et étrangère contre la Russie soviétique mais d’insister sur un point.
Pour battre cette offensive réactionnaire, la technique militaire a été indispensable. Ce fut le rôle de l’Armée rouge, fondée par Trotsky (et devenue, après la mort de Lénine et l’élimination de Trotsky, une force au service de la bureaucratie stalinienne contre la révolution). Mais la technique militaire, si élaborée soit elle, est toujours au service d’une politique.
La politique des soviets était, en un mot, l’internationalisme prolétarien en vue du socialisme par l’union des ouvriers et des paysans, peu importe leur nationalité, contre l’impérialisme et ses alliés. La dislocation des armées ennemies, ayant enrôlé par la force ou par la trahison des « chefs » ouvriers de nombreux paysans et ouvriers, était une obligation. Elle traçait à l’intérieur des armées coalisées contre la révolution une ligne de classe entre la caste des officiers, souvent monarchistes dans la marine, et les marins, souvent ouvriers qualifiés.
Fraternisation et mutineries le refus des soldats français de combattre
Le 17 décembre 1918, à la demande des généraux tsaristes, les troupes françaises débarquent à Odessa, appuyées par une flotte importante comprenant notamment trois cuirassés et huit croiseurs.
Officiellement, il n’y a aucune déclaration de guerre contre la Russie. La vie quotidienne est dure, le moral est bas, la nourriture manque, la discipline est lourde. Les marins ne comprennent pas que, alors que l’armistice est signé, pour eux, la guerre continue. Dès février et mars 1919, à plusieurs reprises, des régiments refusent de combattre et même parfois fraternisent avec les troupes de l’Armée rouge fondée par Trotsky. L’historien Pierre Broué écrit dans son Histoire de l’Internationale communiste : « C’est peut-être en Ukraine que se cristallise à cette époque le premier élément véritablement militant de la IIIe Internationale, dans un combat qui fait plusieurs victimes… Citons parmi ces jeunes gens le secrétaire des Komsomols d’Odessa, plus tard grand historien de la Révolution française, Viktor Daline, et l’historienne Anna Pankratova sous le nom de Nioura Paiitch. Le travail pour la “fraternisation” avec les militaires français est considéré comme essentiel. Il est dirigé par un ancien ouvrier du Livre de Paris, où il était l’ami proche de Lénine, Vladimir Degott. Le PC va y être sérieusement appuyé par le groupe communiste français de Russie et le bureau du Sud de l’Internationale communiste. »
En effet, dans le cadre de la construction de la IIIe Internationale, s’est formé le groupe communiste de langue française en août 1918 avec l’institutrice française, native de l’Allier, vivant en Russie, la bolchevik Jeanne Labourbe. Elle part à Odessa où elle rédige tracts et journaux à destination des soldats et marins français. Elle arrive à en rencontrer quelques-uns. Le 2 mars 1919, elle est faite prisonnière avec dix camarades ; tous sont immédiatement fusillés par les Blancs, aidés par les troupes françaises commandées par le général d’Anselme. Ce dernier sera décoré grand officier de la Légion d’Honneur en 1920.
La colère éclate dans les navires français stationnés à Sébastopol (du 19 au 21 avril) et Odessa (du 26 au 28 avril). C’est la répétition de corvées pénibles et stupides qui va pousser l’équipage du cuirassé France à se révolter le premier. Le mouvement touche par la suite le Jean-Bart, le Vergniaud ou encore le Waldeck-Rousseau.
Sur ce dernier, c’est l’annonce de l’arrestation d’André Marty le 16 avril, le seul des mutins à avoir rang d’officier, qui met le feu aux poudres. Chef mécanicien de la marine nationale sur le torpilleur Protêt, celui-ci préparait depuis plusieurs semaines un mouvement sur son navire.
On hisse le drapeau rouge, on chante l’Internationale, Ah ! Ça ira ou encore Gloire au 17e, hymne en l’honneur des soldats révoltés de 1907. Partout, on scande le slogan, « A Toulon ! à Toulon ! ». À Sébastopol, les révoltés défilent aux côtés des travailleurs russes.
Sur le Waldeck-Rousseau des délégués sont élus et, face au commandant, avec l’équipage, réclament un retour immédiat vers la France. Le commandant annonce que le navire change de destination et qu’aucune sanction ne sera prise (il n’en sera rien).
D’autres mutineries ou révoltes auront lieu au mois de juin, dans des navires ou dans des ports (Brest, Lorient, Toulon…). Les marins refusent d’être envoyés en Russie.
Malgré les promesses, après l’arrêt des mutineries, près d’une centaine de condamnations sont prononcées, le plus souvent des travaux forcés avec envois aux bagnes en Afrique. Après une intense campagne de soutien, en 1922, une amnistie générale est proclamée sauf pour André Marty qui sera finalement libéré en 19231.
La subversion de l’armée a porté ; non seulement, l’intervention militaire a été freinée dans l’immédiat mais devant le risque de contagion révolutionnaire, les Alliés doivent renoncer à la poursuivre.
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