
La lutte contre la réforme de 2023 tant décriée reprend dans l’Hémicycle, ce jeudi. Le Nouveau Front populaire entend abroger l’âge de départ à 64 ans dans le cadre de la niche parlementaire insoumise. Mais le texte pourrait ne pas être voté face à l’obstruction de la droite et des macronistes, qui ont déposé 1 000 amendements.
Par Gaël De SANTIS.
C’est un combat dont ce n’est ni le début, ni la fin. La gauche va batailler, ce jeudi, à l’Assemblée nationale pour abroger la réforme des retraites de mars 2023. En concertation avec le Nouveau Front populaire (NFP), la France insoumise a inscrit une loi de suppression du texte qui porte l’âge légal de départ de 62 à 64 ans dans sa niche parlementaire. L’an passé, la représentation nationale n’avait pu s’exprimer sur le fond du texte : l’ancienne première ministre Élisabeth Borne était passée en force, en dégainant l’article 49.3 de la Constitution.
Cette fois-ci, sur le papier, la gauche a ses chances pour faire valoir ses arguments. Entre ses élus et ceux du Rassemblement national (RN), il existe depuis les législatives anticipées du 7 juillet une majorité pour redonner deux années de vie hors travail aux Français. En commission des Affaires sociales le 20 novembre, le texte a d’ailleurs été adopté sans problème et avec très peu d’amendements, avec 35 voix pour, 16 contre et 3 abstentions.
La niche parlementaire, nouveau champ de bataille politique
Mais ce jeudi, ce sera une autre paire de manches. Les élus Droite républicaine (DR, ex-LR) de Laurent Wauquiez, Modem de François Bayrou, Ensemble pour la République de Gabriel Attal et Horizons d’Édouard Philippe ont déposé 956 amendements en vue de freiner les débats. De la pure obstruction parlementaire, sachant que les députés n’auront que jusqu’à minuit pour examiner et adopter le texte. Droit dans ses bottes, le « socle commun », qui appuie le gouvernement, ne veut appliquer que son programme, tout son programme et rien que son programme.
« La Macronie a craqué », tranche Ugo Bernalicis, rapporteur FI de la proposition de loi. Si certains amendements sont sérieux, d’autres n’ont d’utilité que de faire traîner le débat. Marc Fesneau, président du groupe Modem, a cosigné 32 amendements cherchant à… modifier le nom du projet de loi. L’élu EPR Ludovic Mendes propose, lui, de dénommer ce texte : « Réformer les retraites ? Pourquoi se fatiguer quand on peut abroger et gagner des voix en un clin d’œil ! » Une autre proposition de modification transforme 167 trimestres travaillés en « 364 060 heures de travail », etc.
La volonté est clairement de jouer la montre afin que le vote n’ait pas lieu. En conférence des présidents, la majorité a refusé de diminuer le temps d’examen de chaque amendement de deux à une minute afin d’accélérer la lecture du texte. La députée Gauche démocrate et républicaine de La Réunion, Karine Lebon, dénonce une « obstruction parlementaire certaine ». « La stratégie est que le texte n’aboutisse pas », assume même Marc Fesneau.
« Les macronistes sont en train d’inventer une sorte de 49.3 à l’intérieur du Parlement », dénonce Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Écologiste et social. Depuis 2022, date à laquelle la Macronie est minoritaire au Palais Bourbon, elle a inventé une nouvelle pratique : l’obstruction gouvernementale. Les niches parlementaires ne sont plus ce « moment sacré » où les groupes parlementaires, notamment ceux de l’opposition, ont la main libre sur l’ordre du jour et où le débat est sanctuarisé : il est de coutume que, dans ce temps, les députés n’opposent pas de motion de rejet, comme ils le font contre un projet de loi d’origine gouvernementale, afin de laisser les parlementaires défendre leurs idées dans le respect du pluralisme. Ce temps semble révolu.
Les macronistes font barrage
« Il y a une dérive depuis le mandat précédent. Nous avions porté un texte sur l’indexation de la dotation globale de fonctionnement des communes (en mai 2023 – NDLR), dénonce le communiste André Chassaigne. Deux ministres avaient tenu le crachoir pendant une heure pour qu’on ne puisse pas voter à la fin. On aimerait bien que, pendant cette journée, on puisse tenir les débats jusqu’au bout. » Ironie du sort, alors qu’un ministre faisait de même lors de la niche communiste en mai 2024, un certain Patrick Hetzel, désormais ministre de l’Enseignement supérieur, avait dénoncé le long discours de Franck Riester en criant dans l’Hémicycle : « C’est de l’obstruction gouvernementale ! »
Pour justifier leurs multiples amendements, les députés macronistes estiment qu’il faut le temps du débat et renvoient leurs collègues de gauche aux 20 000 amendements déposés par les élus de la Nupes contre la réforme Borne de 2023. « Il s’agissait de faire respecter la souveraineté populaire », rappelle la présidente du groupe FI, Mathilde Panot. « On voulait ralentir le débat afin de laisser la possibilité au mouvement social de s’exprimer », abonde Benjamin Lucas.
« Rien n’obligeait à l’époque madame Borne de limiter le temps de débat sur les retraites. Elle avait la volonté d’aller vite, sachant qu’elle utiliserait le 49.3 », précise-t-il. Karine Lebon met donc au défi le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, qui trouve une journée de débat trop courte pour un sujet aussi important : il a tout le loisir de le mettre à l’ordre du jour lors « d’une semaine gouvernementale ».
Le « socle commun » est fébrile car c’est l’avenir du macronisme qui est en jeu. Si la réforme Borne était abrogée, « ce serait un symbole pour dire aux gens que nous ne sommes pas condamnés à vivre toujours plus mal, qu’il est possible de faire des politiques qui changent en bien la vie des gens », avance Mathilde Panot. Ce serait « le symbole que le temps du passage en force des politiques contre le peuple est terminé. La fin du macronisme serait actée », insiste-t-elle.
Le besoin de mettre un coup d’arrêt à la fuite en avant libérale est crucial. Car, sur les bancs du centre et de la droite, on ne compte pas s’arrêter à la réforme de 2023. « Il y a une question : comment finance-t-on notre système des retraites ? » explique Laurent Marcangeli, patron du groupe Horizons, pour justifier l’obstruction parlementaire. « Est-il finançable et financé ? À terme, en 2040, malgré la réforme faite, je ne sais pas où l’on trouve l’argent pour y arriver », précise-t-il, rappelant que la réforme promue par le fondateur de son parti, l’ancien premier ministre Édouard Philippe, allait plus loin que la seule mesure d’âge de la réforme d’Élisabeth Borne. « Le débat sur les retraites n’a pas été tranché définitivement par le vote de la loi de 2023 », prévient-il, estimanttoutefois que toute nouvelle réforme doit faire l’objet d’un débat lors d’une campagne présidentielle.
Du côté du Modem, les élus souhaitent utiliser le temps de débat pour enfoncer un coin au sein du NFP : la proposition de loi insoumise abroge non seulement la réforme Borne, mais aussi la réforme Touraine votée sous François Hollande et qui porte la durée de cotisation à 42 annuités. Marc Fesneau appelle les socialistes « à la constance ». Tout en exprimant un désaccord sur ce point, le groupe socialiste votera la proposition insoumise.
Ce qui fait paniquer la droite. « Ils démolissent le système des retraites et on ne va rien dire ? Ils plaisantent ! » s’emporte le président du groupe Modem, Marc Fesneau, pour justifier les 193 amendements déposés par son groupe. « Si ça dure vingt-cinq heures, quand bien même ça ne leur plaît pas, ça durera vingt-cinq heures, lâche-t-il. Ils retrouveront un temps de niche. »
« Le chemin le plus sûr pour parvenir à l’abrogation des retraites est un gouvernement du NFP »
Malgré l’obstruction prévue, le débat est loin d’être clos. En cas d’échec, l’examen de la proposition de loi « pourra être repris à l’Assemblée dans le temps de débat d’un autre groupe de gauche. On arrivera au final à faire voter cette assemblée », espère le président du groupe GDR, André Chassaigne, qui signale que le texte peut aussi être repris « au Sénat dans la niche CRCE-K ».
Le gouvernement lui-même a conscience que la réforme de 2023, adoptée dans la violence malgré des millions de manifestants et l’opposition de 70 % des Français, ne peut être laissée en l’état. Mardi, il a invité les représentants des salariés et du patronat à négocier à la marge sur le système de retraite afin de tenir compte de l’usure professionnelle, de l’égalité femmes-hommes et de la lisibilité du système de retraite pour les polypensionnés. Une façon de noyer le poisson. « Le chemin le plus sûr pour parvenir à l’abrogation des retraites est un gouvernement du NFP », insiste Benjamin Lucas.
Pour cela, « nous avons une arme : faire tomber le gouvernement de Michel Barnier avant la trêve », prévient-il. Ce pourrait être le cas dès la semaine prochaine, si ce dernier déclenche le 49.3 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Car, même si la réforme n’a jamais été soumise au vote dans l’Hémicycle, même si Lucie Castets a été écartée de Matignon par un Emmanuel Macron qui méprise le résultat des urnes, et même si la droite parvient à faire ce jeudi de l’obstruction, le combat n’est en réalité pas terminé.
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