
À la chasse au Mélenchon, il n’y a pas de hors-saison. C’est toute l’année, tous les jours, à chaque heure et chaque instant. On recommandera de préférence du gros calibre : l’animal est coriace. Après des années d’un acharnement dont les derniers mois ont vu sortir artillerie lourde et napalm, il est toujours debout. Las, à court d’idées, ils s’essaient à la (…)
Par Plinthe CONTREX.
Coup sur coup, à peine à quelque jours d’intervalles, un reportage de l’émission “ Complément d’enquête ’ et un livre-enquête, La Meute, ont le même exact objet : faire voir ce qu’il y a derrière la brume qui entoure La France Insoumise et surtout la tyrannie qu’exerce sur elle son chef, Jean-Luc Mélenchon. Ces deux « enquêtes » ne partagent pas seulement le même objectif, elles usent et abusent aussi de la même méthode. Un doublon qui cache mal ses véritable motifs : remplir l’espace médiatique et redynamiser une campagne anti-Mélenchon inopérante.
Les procédés sont variés mais le plus simple est de faire parler d’ex-collaborateurs et collaboratrices qui ont un besoin irrépressible de vider leur sac. Le bord de la route politique grouille d’ambitieux déçus, de carriéristes frustrés, d’adorateurs éconduits, de perdants jaloux. Des qui en ont gros sur la patate, qui ont une mâchoire complète contre le Vieux, ça doit se bousculer au portillon ! Ils veulent donner leur version des « faits » aux seuls qui les écoutent encore : les journalistes. Entre gens peu scrupuleux, on se comprend. Relayer les commérages, les médisances et les on-dit est une méthode vieille comme le monde. Elle se passe très bien de preuves en plus. Seule compte la parole des uns. Pour entendre celles des autres, on repassera. Certaines de ces personnes sont connues. Elles ont fait les choux gras des médias sans cesse en quête d’une occasion de pouvoir dégoiser sur Mélenchon. D’autres moins, soit parce qu’elles ont croisé il y a longtemps la vie intime et politique du Vieux, soit parce que leur divorce d’avec la France Insoumise s’est passé dans la discrétion et sans fracas.
Le reportage de “ Complément d’enquête ” est farci de méthodes aussi courantes que malhonnêtes dans le domaine des documentaires d’informations télévisuels : musique angoissante, bruitages caricaturaux – quand Mélenchon tourne une page, c’est le souffle d’une flèche qui passe qu’on entend –, intervenants filmés dans une atmosphère tamisée propice aux confidences et sous des angles plus ou moins avantageux selon leur rôle dans le narratif, révélations de textos en partie floutés pour n’en garder que la part problématique décrite comme une « violence » dont l’interprétation ex nihilo appartient aussi à la boîte à outils du reporter d’aujourd’hui. Quand cette violence n’existe pas, ce sont les petites choses de la vie quotidienne, comme les disputes par sms interposés qui suscitent une indignation feinte et sont tenues comme des actes presque justiciables. Quand on pense que chaque jour en Palestine des centaines d’innocents sont massacrés dans l’indifférence médiatique.
Et puis, il y a ces mensonges proférés sans contradiction. Ils sont décryptés en ligne. Certains d’entre eux le seront ici car on les retrouve aussi dans le livre. Un point positif tout de même : le reportage a le mérite de faire intervenir en contrepoids les paroles de Manuel Bompard et de Mathilde Panot, mais elle sont systématiquement mises en doute tandis que celles des accusateurs ne l’est jamais.
« La Meute »
Dans la charte d’éthique professionnelle des journalistes, on trouve cette clause : « un journaliste digne de ce nom (…) tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles. »
Autant de choses qui ponctuent le reportage de “ Complément d’enquête ” mais qui abondent dans La Meute.
Le choix du titre d’abord. Crucial pour un ouvrage, il donne d’emblée le ton de son contenu. Une enquête journalistique est supposée répondre à un questionnement au terme d’un travail d’investigation qui aurait, ici, prétendument duré deux ans. Or, ce titre ne correspond en rien à l’idée qu’on se fait du résultat d’un travail d’enquête sérieux. C’est la qualification dégradante d’un groupe de personnes réduites à une horde aboyeuse et soumise. Ce choix a toutefois l’avantage de pouvoir simultanément faire vendre et dispenser de toute lecture si on est pris de paresse ou bien qu’on n’a pas 22 euros à dépenser.
Au sens propre, une meute, c’est un groupe socialement organisé de loups ou de chiens revenus à l’état quasi sauvage. Ils chassent leur proie en collaborant, se nourrissent et interagissent selon un ordre hiérarchique bien établi. Ce mot a également un sens figuré : « bande, troupe de personnes qui harcèlent quelqu’un pour en obtenir quelque chose ou qui s’acharnent à sa poursuite pour lui nuire, le perdre. »
Avec cette dernière définition en tête, demandons-nous alors, en tant qu’observateurs ou consommateurs des médias, qui est depuis des mois voire des années la cible d’un acharnement aussi infatigable que quotidien et qui est principalement et sous quelle forme à l’origine de cet acharnement. D’ailleurs, quelqu’un pourrait-il rappeler l’origine de l’expression « chiens de garde » et ce qu’elle dénonce ? Face à n’importe quel(le) membre de la France Insoumise, les plateaux télévisés et radiophoniques n’ont même pas la décence de prétendre ressembler à des tribunaux, endroits où l’on trouve tout de même des avocats de la défense. Non, ça ressemble davantage à des procès dignes de l’Inquisition lors desquels le salut de l’accusé consistait à se renier.
Le lexique animalier n’est pas le seul à être convoqué par les auteurs du livre dans un but infamant : termes religieux, vocables du despotisme, champ lexical des sectes et terminologie militaire – comme l’emploi systématique du terme « lieutenant » pour tout cadre de la FI – servent aussi le propos de ces journalistes qui en abusent au point de devenir caricaturaux. L’impartialité est le cadet de leur souci. Ce n’est donc pas, pour cette raison et pour d’autres, ce qu’on appellerait un travail « journalistique ». Parce qu’il ne s’agit pas d’informer, il s’agit de salir.
Et pour cela, le livre suit un triple fil conducteur. Le premier, ce sont les confidences faites par d’anciens proches de Mélenchon. Elles constituent la charpente du livre au point de faire d’eux en quelque sorte les auteurs occultes et il semble presque surprenant que leur nom n’apparaisse pas à côté de celui des deux « journalistes ». Ce sont leurs témoignages directs de ce que Mélenchon a dit ou fait dans telle ou telle circonstance, et parfois, le dévoilement d’échanges privés, majoritairement sous forme de textos. Il ne fait guère de doute que pour pouvoir se regarder dans une glace, ils doivent probablement s’auto-persuader d’être des lanceurs d’alerte, mais en réalité, ils tiennent davantage de l’indicateur, du plus vulgaire des mouchards. On verra que ce n’est pas un scoop. Comparé à eux, Gorge Profonde était moine trappiste. C’est sur ce fil-là que se situe principalement le « travail » d’ enquête : écouter d’anciens cadres aigris débiner leurs anciens camarades, éventuellement vérifier si ce qu’ils disent est vrai et quand ça s’avère faux, ignorer les démentis.
Le second fil conducteur, c’est la compilation de polémiques ressassées depuis au moins 2012. De Mélenchon le mauvais-perdant à Mélenchon l’antisémite en passant par Mélenchon le sanguin. Tout y est, repris et remis au goût du jour, tordu, falsifié dans la plus pure mauvaise foi dont le journalisme d’aujourd’hui fait notoirement preuve lorsque sa feuille de route consiste en la destruction physique et morale d’un mouvement politique que craignent ses commanditaires. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les états de service de ces deux spécialistes de la gauche. Olivier Pérou et Charlotte Belaïch, officiant respectivement au Monde et à Libération sont à eux deux les auteurs entre 2023 et 2025 d’une trentaine d’articles où chaque mention de Mélenchon lui est systématiquement hostile.
Le troisième angle d’attaque du livre, c’est la créativité. Le lectorat est noyé par une succession hallucinantes d’affirmations fantaisistes ou invérifiables. Pérou et Belaïch produisent leur propre récit sur une prétendue intimité partagée entre Jean-Luc Mélenchon et d’improbables témoins, puis jasent sur cette narration échafaudée ou simplement romancée. Beaucoup d’entre ces témoignages à l’heure où s’écrivent ces lignes ont déjà été démenties par des proches de Mélenchon. Le problème le plus flagrant de cet ouvrage censé être documentaire, c’est qu’est laissé aux lecteurs le choix de croire ou non ces manifestations des travers de la figure de proue de la FI. Or, pour un livre qui se définit comme un travail de recherche avec pour objectif d’améliorer la connaissance, s’en remettre à la croyance des lecteurs est tout à fait contraire à l’éthique journalistique. Car il n’y a rien de plus éloigné du savoir que la croyance. L’effet qu’aura donc La Meute sur celui ou celle qui le lira dépendra totalement de l’opinion préalable qu’il a de Mélenchon et de la FI.
Construit comme un mille-feuilles argumentatif, il devient dès lors très ardu d’y répondre. Sachant la fragilité de leur travail et son caractère désinformatif, les auteurs ont d’ailleurs déjà pris les devant en décrédibilisant toute critique qui ne manquerait pas de suivre.
L’ouvrage contient six parties décomposées en 32 sous-chapitres. Chacun de ces sous-chapitres est intitulé par une supposée citation, verbale ou écrite, de Mélenchon ou de l’un(e) de ses proches. On regroupera ces 6 parties en deux triptyques cohérents, puisque le premier est le portrait de la trinité insoumise et le second celui de ses triples travers. On y adjoindra des parties supplémentaires en fonction des thèmes sous-jacents qui étayent parfois implicitement les propos des auteurs. Enfin, on terminera par une énumération des « perles » anti-journalistiques qui, par leur nature complètement indémontrable, laissent craindre qu’elles sont issues de l’imagination de nos scribouillards.
L’homme, le mouvement et les pions
Autrement dit : Mélenchon, la France Insoumise et l’appareil.
Où l’on apprend que l’homme est irascible – avait-on besoin d’un livre pour le savoir ? Lui-même l’admet, qu’il est égocentrique – quelle figure politique de son envergure ne l’est pas un peu ? La République, c’est lui, on nous l’a bien assez seriné – et surtout qu’il est indéboulonnable. Certes, quoique pas davantage que ses adversaires politiques, mais il fait les meilleurs scores que la gauche ait connus depuis le début de ce siècle. Donc, une majorité des militants à la FI sont, semble-t-il, d’accord pour qu’il se relance dans la bataille encore une fois, probablement la dernière.
Mais, comme à de nombreuses reprises dans ce « travail de deux ans », il y a un élément fondamental que les auteurs passent sous silence, sciemment ou par ignorance (ce qui serait un comble pour des spécialistes de la gauche) : Mélenchon a sans cesse rejeté l’incarnation de l’Avenir en Commun, le programme politique de la FI, en une quelconque figure d’homme providentiel et il a toujours insisté sur la centralité d’un programme dont il ne serait finalement que le véhicule.
Et puis c’est aussi là qu’on commence à voir les incohérences. Elles se caractérisent par des auteurs qui se contredisent et se dédisent page après page. Ainsi, au début du chapitre 2 insinuent-ils, sur la base d’un pseudo recueillement ayant eu lieu en 2012 à la Basilique Saint-Denis sur la tombe de 43 rois de France, que Mélenchon aurait des rêves de couronnement ; décrivant ensuite, sur plusieurs pages et non sans une certaine admiration sa persévérance et son appétit pour le combat politique au cours de trois campagnes successives. Ils poursuivent en moquant sa profonde déception pour avoir échoué au seuil du second tour, parfois d’un rien, ou bien sa certitude de pouvoir être le prochain premier ministre. Mais soudainement, sans crier gare, les voilà qui font marche arrière page 31 (de l’édition numérique) et se convainquent qu’à l’instar de Jean-Marie Le Pen, Mélenchon fait partie de ces animaux politiques qui, au fond, ne sont pas vraiment intéressés par le pouvoir. On comprend vite que ce léger détour n’a de valeur que pour associer l’Insoumis à l’extrême-droite. C’est un des nombreux leitmotivs de ce livre. On se remet à peine de la confusion causée par ce revirement qu’ils concluent le chapitre par une nouvelle volte-face :
« Jean-Luc Mélenchon, c’est d’abord une ambition monarchique pleinement assumée. »
Il ne manquait plus que ça au tableau. Jean-Luc 1er ! Il fallait oser !
Ce qui suinte comme un arrière-goût dès les premières pages, c’est le pressentiment du mensonge, de la distorsion répétée de la vérité, des petits arrangements avec elle, pour qu’elle colle aux besoins de la narration. La lecture de ce livre nécessiterait de pouvoir vérifier tout ce qui est vérifiable. De nombreuses allégations ne le sont pas du tout, une multitude de minuscules fragments de ce récit servant à noircir le tableau encore moins. C’est un travail de recherche fastidieux que personne ou presque ne fera. Deux exemples parmi d’autres : le livre revient sur un épisode à propos duquel les médias avaient glosé au cours de la campagne présidentielle de 2012. Mélenchon, qui était alors candidat du Parti de Gauche crédité d’un score honorable dans les sondages, devenait un peu trop encombrant, les médias avaient donc déterré – comme c’est le cas régulièrement depuis – sa présence en 2001 à l’aéroport d’Orly pour accueillir un Bashar El Assad en visite officielle en France. De cet évènement est resté un cliché qui refait surface à intervalles réguliers pour essayer d’attribuer à Mélenchon quelque accointance avec l’autocrate syrien. Ça ne mange pas de pain, mais ça a été démenti et prouvé faux à chaque fois. La Meute remet le couvert en prétendant que le Mélenchon d’alors se serait empressé de jouer les élèves zélés, levant bien haut le doigt, criant « Moi, m’sieur ! Moi, m’sieur ! » : non, simple délégué à l’enseignement professionnel, il a servi de chair à canon médiatique à un gouvernement qui n’a pas eu le courage de ses idées en assumant cette visite et l’a obligé à aller à sa place remplir ses propres obligations protocolaires.
L’autre histoire, moins connue, c’est celle de ses relations avec Claude Germon, maire PS de Massy dans l’Essonne de 1974 à 1995, avec qui Mélenchon a fait ses armes au début de sa carrière politique. Leurs relations ont fini, comme cela est fréquent en politique, par se refroidir pour des désaccords de ligne internes. La Meute cite Germon interrogé dans le cadre de son enquête sur la personnalité de Mélenchon : « Avec le recul, je me suis dit : tout de la taupe ». Ce que se gardent bien de faire entendre les journalistes, c’est l’autre son de cloche. Claude Germon, inculpé et condamné dans l’Affaire Urba, a toujours soupçonné Jean-Luc Mélenchon d’avoir une responsabilité dans la révélation de cette affaire. Ce que celui-ci a démenti.
À suivre.
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Source: https://www.legrandsoir.info/la-meute-melenchon-le-grand-mechant-loup-1-3.html
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