
Après coup, force est d’admettre que dans la première partie, la métaphore de la chasse et des armes était malvenue. Mélenchon, et pas seulement lui mais aussi toute figure publique de la FI, marche déjà avec une cible dans le dos.
Par Plinthe CONTREX.
Le hasard a confirmé ce sentiment. Mais est-ce vraiment le hasard ? La diabolisation du mouvement insoumis et de son représentant atteint des niveaux jamais vus dans la Cinquième République. La Meute et tous ceux qui ont contribué, à travers mensonges et calomnies, à peindre le portrait d’un homme et de son groupe politique dans le but de les faire haïr encore davantage auront une part de responsabilité dans les violences à venir et qui commencent d’ores et déjà à émerger. C’est d’autant plus alarmant lorsque le pire sort de la bouche même d’une ancienne camarade : « Il faut que Jean-Luc Mélenchon soit mis hors d’état de nuire ».
Ce n’est pas « Il faut que nous proposions une alternative à Jean-Luc Mélenchon », ce n’est pas non plus « Il faut combattre Jean-Luc Mélenchon sur le terrain des idées », c’est « Il faut le mettre hors d’état de nuire ». La formule « mettre hors d’état de nuire » contient un angle mort, un risque inhérent qu’une personne qui a en charge une parole publique et des valeurs morales qui la structurent ne devrait pas prendre.
L’homme, le mouvement et les pions (suite)
Pérou et Belaïch ont autant de sympathie pour la France Insoumise que pour Mélenchon. Et c’est peut-être ce qui laisse le plus l’impression d’un parti-pris pourtant incompatible avec un travail qui se prétend journalistique. La critique, somme toute légitime, de la personnalité soit-disant despotique du Vieux demeurerait dans les clous déontologiques de ce qu’on pourrait attendre de journalistes si les témoignages n’étaient pas si clairement douteux et autant contredits. Après tout, demander, par exemple, plus de démocratie interne peut s’entendre. Mais on voit bien que ça ne s’arrête pas là, et ça n’est pas anodin.
Le mot qui revient le plus souvent pour décrire la France Insoumise, c’est celui de « secte », allant même jusqu’à invoquer dès l’avant-propos la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) en citant la définition d’une dérive sectaire :
« Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. »
À ce stade, et au vu des accusations répétées ces derniers temps, pourquoi ne pas faire intervenir le parquet anti-terroriste tant qu’ils y sont ? Tout comme il en est des accusations d’antisémitisme, celles de dérives sectaires au sein de la FI, par leur nature mensongère et abusive, non content de diffamer une organisation politique, participent aussi à discréditer les vraies dérives sectaires. Selon les journalistes, la nécessaire adhésion à un programme qui est la pierre angulaire d’un groupe politique lorsqu’on est membre de celui-ci en s’engageant à ne pas le remettre en question, c’est de la « dérive sectaire ». Probablement ce qu’ils appellent le « fourvoiement d’une opinion ». Si ce n’est pas le cas des autres partis politiques, c’est peut-être que le programme n’est pas aussi central qu’à la France Insoumise ? Sur ce point, on pourrait peut-être alors admettre, le temps d’un instant, que les religions et la FI ont un point commun : elles ont toutes un texte sacré. Pour les premières, ce sera la Bible, le Coran ou la Torah, pour la FI, c’est l’Avenir en Commun. Fin de l’incursion en terre sectaire. La fréquence du turnover au sein de la France Insoumise, c’est-à-dire du renouvellement des têtes, devrait plutôt être considéré comme un signe qui contredit toute dérive de quelque nature que ce soit : les désaccords, les divergences et les ruptures idéologiques ont toujours fait partie de la vie politique. L’argument de Pérou et Belaïch peut tout à fait être retourné : l’immobilisme jusqu’à la paralysie d’un appareil politique à la tête duquel les mêmes figures restent ad vitam aeternam aux commandes laisse bien davantage présager une soumission au chef et à ses idées. Puissent les auteurs de ce texte interroger le fonctionnement d’autres partis politiques français et le mettre en regard de celui de la France Insoumise. Ils y verront probablement beaucoup plus de népotisme, de clanisme et de sectarisme.
Cela étant dit, il est facile de prendre Belaïch et Pérou à leur propre jeu en contactant la Miviludes sur le site de laquelle il est possible de demander un avis. Dont acte. Voici les deux questions que l’on a posées :
« Dans le cadre d’une recension sur un ouvrage intitulé La Meute traitant de l’organisation politique La France Insoumise et dans lequel des allégations de dérives sectaires sont portées à son encontre, nous souhaitons vous poser deux questions : La France Insoumise est-elle répertoriée comme une secte ? Y a-t-il eu auprès de vos services des signalements pour dérives sectaires la concernant ? »
[Note de l’auteur : à cette heure (le 17 mai 2025), je n’ai toujours pas reçu de réponse de la Miviludes. Comme il s’agit d’une question purement rhétorique, que nous savons tous les réponses qui y seront faites, à savoir « Non, la FI n’est pas une secte » et « Non, il n’y a eu aucun signalement de dérives sectaires la concernant », et que je ne peux retarder excessivement la publication de cette deuxième partie, je ferai une mise à jour en cas de réponse trop tardive]
Il convient aussi de mettre le doigt sur une désinformation flagrante. Une parmi tant d’autres. En effet, les deux journalistes reviennent d’une façon redondante et non dénuée de sarcasme sur leur scepticisme à l’égard du fait que la France Insoumise est, de jure et de facto, un « mouvement » et pas un « parti » politique. Pour démontrer la validité de cet « argument », ils affirment page 56 (de l’édition numérique) qu’existe en réalité un « parti politique » fondé en 2016 dont les seuls membres sont Manuel Bompart, Mathilde Panot et Maxime Charpentier occupant respectivement les postes de président, secrétaire et trésorier. Ce que La Meute ne croit pas utile de préciser puisque se limitant à parler de « parti politique », c’est qu’il s’agit en réalité d’une association loi 1901, comme il en existe tant en France et dont l’objet est : « regrouper les soutiens de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017 et celles et ceux qui font le choix d’une France insoumise et d’un Avenir commun ». En 2022, elle était catégorisée PME et comptait 20 à 49 salariés. Toute personne ayant été active dans le domaine socio-culturel, sportif, cultuel ou politique sait que la base juridique pour toute action collective, c’est le cadre associatif offert par la loi 1901.
Autre hypocrisie : pour prouver que ce « parti politique » est, comme ils le disent plusieurs fois, « cadenassé » de l’intérieur, ils s’appuient sur le témoignage de Raquel Garrido qui s’en est vue refuser l’accès. Non seulement elle n’en a vraisemblablement jamais exprimé le désir lorsqu’elle était cadre et encore en odeur de sainteté auprès de Mélenchon mais elle admet devant les journalistes que c’est seulement quand elle a perdu tout crédit et par, dixit, « coquetterie provocatrice », qu’elle en a fait la demande, donc en ayant parfaitement conscience que celle-ci serait rejetée. S’en plaindre a posteriori est d’une évidente mauvaise foi mais c’est aussi faire un homme de paille : si Garrido n’a pas pu rejoindre le bureau de l’association LFI, ce n’est pas parce que ce serait un « club privé » réservé à une « élite » (à laquelle elle appartenait par ailleurs), c’est parce qu’elle a cherché à lui nuire.
Derrière le groupe, il y a les individus qui, naturellement, orbitent autour de « l’astre » Mélenchon. Celles et ceux que les journalistes appellent les « pions ». D’ailleurs, nos journalistes (plus on lit moins on a envie d’employer ce terme sans guillemets) ne manquent pas une telle occasion, pour faire passer l’idée d’une mégalomanie et de velléités dictatoriales ou monarchiques chez lui, de les illustrer par les passions historiques du Vieux : un coup c’est Charles X, puis ce sont les légions romaines et un peu plus loin les régimes autoritaires tels que la Chine. Tout y passe, c’est une Foir’fouille d’arguments recyclés, « Tout à un euro ! », déjà entendus ad nauseam sur le PAF. On se demande à quel moment va apparaître le Vénézuelaaaa…
Dans le torrent de potins et de racontars qui composent ce livre et qui le rendent absolument indigeste, on ne peut qu’être sélectif si on entreprend une réfutation en bonne et due forme. Beaucoup, comme on l’a dit, sont invérifiables et aucune source n’est donnée par les journalistes, ce qui représente en soi une alerte quant à la qualité d’un travail d’enquête. Bien des choses font tiquer quand on s’attèle à la tâche ô combien rébarbative de cette lecture, celle-là en est une parce qu’elle appartient clairement à une narration calculée : Pérou et Belaïch, par la bouche de celles et ceux qui les informent sur l’intimité de Mélenchon, lui prêtent une peur panique à l’idée de vieillir, et, ne supportant plus la vue de camarades vieillissants qui lui renverraient son propre déclin, ce désir de n’être entouré que de jeunes gens… Certes, La FI est le groupe politique dont la moyenne d’âge est la plus basse — 43 ans — mais ne serait-ce pas plutôt le fait de la jeunesse des idées plutôt que d’un Mélenchon devenu une sorte de Dorian Gray ? Il apparaît encore une fois paradoxal de faire de l’âgisme avec le Vieux tout en pointant du doigt l’inexpérience de ses camarades. Là non plus, ce n’est pas par hasard.
Un « pion » ne pense pas. On le manipule, on l’utilise, on le déplace à sa guise au sein d’une organisation en fonction d’intérêts supérieurs qu’il ne comprend pas. La Meute n’a de cesse de dépeindre tous ceux et toutes celles qui, ayant survécu à la Terreur mélenchonienne et à son couperet, côtoient le Vieux aujourd’hui. Une bande de troufions au garde-à-vous, effrayés, la « boule au ventre » et baissant les yeux comme des enfants face à un instit’ intraitable. L’utilisation du jargon militaire est d’ailleurs particulièrement visible dans la partie 3 dite des « pions » : une « armée », un « commando », des « légionnaires », des « lieutenants », des « fantassins », des « soldats »… On parle ici d’« organisation militaire »… Cette insistance sur la prétendue militarisation du mouvement insoumis permet à la fois de la mettre en regard des demandes internes et externes pour plus de démocratie en son sein — qui n’est pas le sujet central du livre par hasard, on le verra — mais aussi d’instiller l’impression que la FI et son chef seraient une version française de la Corée du Nord et de Kim Jong Un. Et comme il n’y a pas de limites à la surenchère, c’est ce qu’ils font explicitement dans le livre. Pourtant, en sous-main, il y a un discours déjà entendu des centaines de fois depuis que le Vieux est devenue une figure politique incontournable en France, qu’il est le caillou dans le mocassin de la gauche molle (PS-EELV) et l’empêcheur de régner en rond du RN, c’est que son « petit caractère » le rendrait « dangereux pour la France », inapte à avoir sous sa responsabilité le fameux bouton nucléaire…
Détail savoureux et surmédiatisé, le « Achète-toi un cerveau ! » supposément lancé par un Mélenchon qu’on croirait presque atteint du syndrome de La Tourette à un pauvre Bompart désemparé… La scène racontée se passe en public, au Parlement européen, face à deux députés écolos. Bompard l’a démentie, mais admettons qu’elle soit vraie. Bompard et Mélenchon se connaissent depuis presque 15 ans. N’est-il pas courant entre amis, camarades, potes, de se vanner ? Dire à Bompard, docteur en mathématiques, de s’acheter un cerveau devrait être une anecdote. C’est devenu un objet futile supplémentaire de l’indignation médiatique… quand la Palestine meurt…
Raquel, Alexis, Clémentine… et les « purges »
Le militantisme politique est l’un des domaines dans lequel les relations interpersonnelles fluctuent le plus entre affection et acrimonie. S’en étonner ou s’en offusquer, c’est prendre ses lecteurs et ses lectrices pour des lapins de trois semaines. Rédigé par deux soit-disant spécialistes de la gauche, La Meute dégouline pourtant de cette indignation bourgeoise, entre simulacre et angélisme adolescent. Seulement, sans la rancune et les haines recuites de personnes qui ont croisé le chemin politique de Mélenchon, ce livre serait vide et n’existerait tout simplement pas. Des dizaines d’entre elles témoignent de ce qu’elles ont vu ou entendu, font parler leur rancoeur, commentent, débinent, médisent, racontent. C’est littéralement le carburant de La Meute.
Mais le coeur nucléaire, la colonne vertébrale de cette entreprise de démolition, c’est le couple Garrido-Corbières. Déjà à la manoeuvre dans le reportage de Complément d’enquête, sans eux l’ouvrage aurait deux fois moins de pages. Dès le prologue du livre, les journalistes ne cachent guère que derrière les ragots qui constituent l’essentiel des pages de leur brûlot, il y a ceux qui sont devenus les plus acharnés détracteurs de Mélenchon.
Ils se sont baptisés eux-mêmes les « purgés », donnant ainsi le bâton pour battre Mélenchon. Une aubaine que les médias ne manquent évidemment jamais de saisir. Pourtant, est-ce que ce terme, qui sied si bien à la gauche de la gauche puisqu’il est censé rappeler les sombres heures de son histoire, est adéquat ? En politique, une purge est définie comme une manière brutale, parfois agrémentée de procès et souvent définitive, de se débarrasser de concurrents gênants. Est-ce vraiment ce qui s’est passé au sein de la France insoumise ? On va voir que cette narrative alimentée par les concernés est très exagérée. Petit rappel historique.
Raquel Garrido et Alexis Corbières, unis à la ville comme en politique, sont des camarades de lutte de la première heure et des figures médiatiques incontournables. Cette présence dans les médias a probablement joué un rôle central dans l’évolution de leur image, de la perception qu’eux-mêmes en avaient mais aussi de leur implication militante. Raquel Garrido a intégré en 2019 l’équipe des chroniqueurs réguliers de l’émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste, avec l’idée affichée de changer le système de l’intérieur. Aujourd’hui, on peut faire l’hypothèse que c’est le système qui l’a changée, et non l’inverse. En tout cas, Hanouna est devenu le porte-voix de l’extrême-droite et Garrido s’est retournée contre sa famille politique. La Meute confirme qu’Alexis Corbières, quant à lui, se voyait de plus en plus comme « vizir à la place du vizir ». Leur activité médiatique et leurs intérêts personnels ont pris le pas sur leur activisme militant et l’intérêt collectif au point que le couple faisait régulièrement fuiter dans la presse des conversations et des informations provenant de boucles Telegram de la France Insoumise, au mépris de leur caractère confidentiel et sans se soucier des désagréments que cela ne manquerait pas de provoquer chez leurs camarades. C’est plus ou moins à ce moment-là qu’ils sont devenus des informateurs d’un système qu’ils étaient pourtant supposés combattre ou à tout le moins infléchir.
Entre 2022 et 2024, sur fond de dissensions au sein de la NUPES, quelques figures de la France Insoumise, parmi lesquelles Garrido et Corbières, mais aussi Danielle Simonet, avec les électrons libres François Ruffin et Clémentine Autain, accompagnés de membres d’autres groupes politiques de la « gauche unie » comme Éric Piolle des Verts et Boris Vallaud du PS se mettent à participer à des dîners secrets avec un certain Olivier Legrain, wannabe argentier de la gauche et à l’origine de la fameuse « Primaire populaire » qui avait fait « prout » en 2022. L’idée de ses rencontres est un secret de Polichinelle : comment faire sans Mélenchon ?
Le 21 mai 2024, soit quelques jours avant la dissolution surprise de l’Assemblée Nationale et un mois et demi avant les législatives, Garrido, Corbières, Simonnet et Autain fondent officiellement leur propre mouvement, L’APRÈS, portant en lui un sous-entendu qui ne prête guère à confusion.
Au moment des investitures, c’est la gifle : les candidatures de Garrido, Corbières et Simonnet, en compagnie de deux autres frondeurs, Frédéric Mathieu et Hendrik Davi, ne sont pas reconduites par la France Insoumise. À l’exception de Mathieu, tous maintiennent leur candidature sur une liste dissidente. Seule Garrido n’est pas réélue. Les frondeurs, d’eux-mêmes, décident de ne plus siéger à la France Insoumise ou de la quitter. Mais ils se proclament « purgés » parce qu’il leur est essentiel de prendre une posture de victimes. Une fronde n’est pas un phénomène particulièrement exceptionnel au sein d’une organisation politique et nombre d’entre elles ont déjà vécu une dissidence qui a engendré des divisions et fait des petits. Pas de quoi en faire une jaunisse. À chacun de juger si, confrontée à des comportements hostiles, inamicaux et malveillants ainsi qu’à un désinvestissement militant de figures centrales au profit de leurs intérêts carriéristes, la France Insoumise a eu raison de mettre en avant des personnalités nouvelles et plus impliquées. Ce livre confirme que séparés du collectif, ces esprits « indépendants » finissent par devenir les alliés des médias dans un rapport symbiotique dont dépend leur propre survie politique.
Plinthe CONTREX
À suivre
°°°
Source: https://www.legrandsoir.info/la-meute-melenchon-le-grand-mechant-loup-2-3.html
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/la-meute-melenchon-le-grand-mechant-loup-2-3-lgs-18-05-25/