
La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts) et la ministre du Développement Svenja Schulze (SPD) ont présenté mercredi aux médias leurs « Lignes directrices pour une politique étrangère féministe ». Ce projet aussi absurde que réactionnaire a deux objectifs: occulter le véritable caractère de la politique de guerre allemande et mobiliser pour l’impérialisme allemand des couches aisées de la classe moyenne obsédées par les questions d’identité et de genre.
Au centre des ‘lignes directrices’ il y a l’affirmation que le monde est « plus pacifique et plus stable » lorsque les femmes et les principes féministes jouent un rôle important dans la politique étrangère. Elles préconisent d’augmenter la proportion des femmes aux Affaires étrangères et de nommer « une ambassadrice de politique étrangère féministe », à qui on adjoindra toute une équipe de « politique étrangère féministe ». « L’objectif est d’intégrer les principes de la politique étrangère féministe dans toutes les stratégies de politique étrangère », déclare le document présenté.
Le document n’explique jamais vraiment ce que cela signifie concrètement. Mais la meilleure preuve de la nature réactionnaire du projet est Baerbock elle-même. Depuis qu’elle est devenue la première femme à diriger les Affaires étrangères, la politique étrangère allemande n’est pas devenue plus pacifique, mais encore plus guerrière et plus militariste. L’an dernier, le fonds spécial de 100 milliards d’euros pour l’armée allemande démarrait le plus grand programme de réarmement allemand depuis Hitler. 82 ans après la guerre d’anéantissement de la Wehrmacht contre l’Union soviétique, on lance a nouveau des chars de combat allemands contre la Russie.
Baerbock est l’une de ceux au gouvernement qui prône le plus agressivement une intensification de la guerre. Battant sans cesse le tambour pour des livraisons d’armes plus nombreuses et encore plus meurtrières à l’Ukraine, elle déclare ouvertement que l’Allemagne et l’OTAN sont en guerre avec la Russie, une puissance nucléaire. « Nous menons une guerre contre la Russie et non les uns contre les autres », a-t-elle déclaré fin janvier devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, sont mortes dans les guerres des États-Unis et de l’OTAN au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie centrale, que les Verts ont soutenues avec véhémence. Il en va de même pour la politique germano-européenne des réfugiés. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant la guerre, la pauvreté et l’oppression meurent chaque année aux frontières extérieures de la « forteresse Europe ».
Il est significatif que les ‘‘lignes directrices’’ se vantent de ce que les femmes jouent déjà un rôle central dans l’élaboration de ces politiques meurtrières. « Lorsque nous avons négocié le concept stratégique au sein de l’OTAN l’an dernier, ce fut encore un groupe supra-régional de femmes engagées ministres des Affaires étrangères qui ont coordonné et échangé des points de vue, de sorte que la concentration sur la sécurité humaine en particulier y était fortement ancré », indique le document.
La nature précise de cette « sécurité humaine » reste le secret de Baerbock. Plus précisément, le nouveau concept stratégique était celui où l’OTAN annonçait ses préparatifs pour une troisième guerre mondiale nucléaire menée contre la Russie et la Chine. « Nous fournirons individuellement et collectivement la gamme complète des forces […] nécessaires à la dissuasion et à la défense, y compris pour une guerre inter-dimensionnelle de haute intensité contre des concurrents équivalents possédant des armes nucléaires », déclarait l’OTAN.
Toutes les phrases et tous les concepts « féministes » contenus dans les lignes directrices – comme la « budgétisation sensible au genre », l’« intégration du genre » et l’« égalité, la diversité et l’inclusion » – ne sont que l’accompagnement d’une politique étrangère impérialiste appliquée par des moyens militaires. Baerbock et Schulze l’admettent elles-mêmes de fait dans leur document.
« Une politique étrangère féministe n’a pas de formule magique pour surmonter les menaces immédiates », écrivent-elles. « La guerre de la Russie contre l’Ukraine » montrait « que devant la force brutale, il faut également protéger les vies humaines par des moyens militaires ». « Une politique étrangère féministe n’est pas synonyme de pacifisme. » Au contraire, elle reconnaissait « les réalités de la politique étrangère » et faisait face « aux dilemmes qui en découlent. Elle a à l’esprit tant les valeurs que les intérêts de la politique étrangère allemande ».
Autrement dit, il s’agit au bout du compte d’imposer des intérêts géostratégiques et économiques. Et si les « réalités de la politique étrangère » l’exigeaient, les « dilemmes » réclamaient aussi une coopération étroite avec les régimes les plus réactionnaires du monde. Dont voici quelques exemples :
En juillet dernier, Baerbock a déroulé avec le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD) le tapis rouge au dictateur militaire égyptien Abdelfattah al-Sissi à Berlin. Si le terme « meurtrier de masse », que les Verts utilisent régulièrement à l’encontre du président russe Vladimir Poutine, s’applique à un chef de gouvernement, c’est bien au boucher du Caire.
Al-Sissi qui, il y a une décennie, a pris le pouvoir après des manifestations de masse contre le président islamiste Mohamed Morsi, dirige un régime de terreur soutenu par l’Occident. Des dizaines de milliers de prisonniers politiques pourrissent dans les prisons et centres de torture du pays, les manifestations et les grèves y sont interdites par la loi, médias et organisations critiques du régime sont réprimés.
La dictature sanguinaire d’al-Sissi a commencé par un massacre que Human Rights Watch a décrit comme « le pire épisode de massacres illégaux de l’histoire moderne de l’Égypte ». En août 2013, l’armée et les forces de police commandées par al-Sissi ont pris d’assaut deux camps de protestation des opposants au coup d’État dans la capitale égyptienne, le Caire, tuant plus d’un millier de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Depuis, des manifestants continuent d’être tués par les forces de sécurité.
D’autres alliés importants du gouvernement allemand sont les monarchies ultra-réactionnaires du Golfe, où les femmes, les travailleurs migrants et les minorités n’ont pas même en théorie les droits les plus élémentaires. Il y a quelques jours à peine, Baerbock a rencontré le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal al-Saud, à la conférence de Munich sur la sécurité, pour discuter des « problèmes de sécurité » dans la région.
Le régime saoudien mène depuis des années au Yémen une guerre meurtrière qui a déjà coûté la vie à des centaines de milliers de personnes. Les exécutions publiques à l’épée y sont à l’ordre du jour et les opposants au régime sont éliminés sur ordre du gouvernement. Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman fut ainsi directement impliqué dans le meurtre brutal du journaliste saoudien et opposant au régime Jamal Khashoggi.
Il n’est que logique alors que les ‘‘lignes directrices’’ ne disent mot de l’Arabie saoudite ou de l’Égypte. On y trouve en revanche une section détaillée sur l’Iran. Comme toujours, on ne mentionne les violations des droits de l’homme que pour les pays que l’impérialisme allemand a dans le collimateur. Les « partenaires de l’Alliance », en revanche, sont courtisés et portés aux nues.
Dans le document de Baerbock, cela prend des formes absurdes. Ainsi, le cheikh du Qatar, connu pour son exploitation meurtrière des travailleurs migrants – des milliers de personnes sont mortes dans la construction des stades de football pour la seule Coupe du monde 2022 – est sérieusement dépeint comme un champion des droits des femmes. Selon le document, la « conférence des donateurs humanitaires pour l’Afghanistan organisée conjointement par l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Qatar et les Nations Unies en mars 2022 […] s’est concentrée sur la situation humanitaire des femmes et des filles ».
Lorsque le document soulève des revendications « féministes » ou parle de « mettre en œuvre au moins 100 % de notre aide humanitaire de façon à tenir compte du genre… », cela n’a rien à voir avec la lutte pour les droits des femmes. Il s’agit de se servir des femmes et des minorités dans les pays ciblés par le gouvernement allemand pour faire avancer les objectifs impérialistes et réprimer la lutte des classes.
« Dans les mesures de prévention des crises, de stabilisation et de consolidation de la paix » – les euphémismes bien connus pour la conduite de guerres d’agression contraires au droit international, l’occupation brutale qui s’en suit et la mise en place de régimes fantoches – « nous faisons systématiquement participer les femmes et les personnes marginalisées, en tenant compte des risques spécifiques au genre et des vulnérabilités intersectionnelles », indiquent les ‘‘lignes directrices’’.
L’impérialisme allemand a une longue et sombre histoire pour ce qui est de draper sa politique étrangère criminelle de phrases prétentieuses. Pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement impérial et les classes moyennes avides de guerre qui le soutenaient justifièrent la machine de guerre allemande au nom de la défense de la culture allemande. Aujourd’hui, elles le font entre autres au nom du « féminisme ». Les intérêts prédateurs que cela recouvre sont les mêmes.
(Article paru en anglais le 3 mars 2023)
Auteur : Johannes Stern