
Deux avocates du barreau de Vannes (Morbihan) et le Syndicat des avocats de France ont engagé une procédure contre la préfecture du Morbihan qui refuse l’accès du guichet « étrangers » aux avocats qui accompagnent leurs clients.
Par Mélanie BÉCOGNÉE.
« Ce n’est pas acceptable », lance Lisa De Rammelaere. « Il faut que ça bouge », ajoute Justine Breton.C’est une décision mûrement réfléchie pour ces deux avocates du barreau de Vannes (Morbihan). Avec le Syndicat des avocats de France, elles ont lancé une procédure à l’encontre de la préfecture du Morbihan. Envoyé le 7 avril 2025, leur courrier recommandé avec accusé réception pointe du doigt l’interdiction faite aux avocats d’accompagner leurs clients dans les locaux du site « étrangers » de la préfecture. Une pratique qui serait « existante depuis plusieurs années », est-il écrit par leur conseil maître, Raphaël Balloul, avocat au barreau de Rennes. Il demande l’abrogation d’une telle mesure, sous peine de saisir le tribunal administratif de Rennes dans les deux mois.
Accès interdit
Ce n’est pas de gaieté de cœur que cette procédure a été lancée. Les deux avocates ont plusieurs fois fait les frais de cette décision du préfet. Le dernier épisode en date remonte au 18 février. « Mon client avait rendez-vous pour le renouvellement de son titre de séjour », se souvient Lisa De Rammelaere. Au moment du rendez-vous au guichet, on lui annonce qu’elle ne peut pas rester auprès de son client. On lui interdit tout bonnement l’accès. « J’ai insisté. J’ai tenté d’expliquer et de contester, mais on m’a demandé de partir. » Une décision qu’elle ne comprend toujours pas. « C’est loin de fonctionner partout comme ça en France. J’étais très surprise. »
C’est pourtant ce qu’à déjà vécu à plusieurs reprises maître Justine Breton, depuis son installation au barreau de Vannes. Juriste dans un cabinet d’Auray jusqu’en 2019, elle n’avait jamais rencontré ce problème auparavant. « J’échangeais avec les agents de la préfecture et j’assistais les clients au guichet », se souvient-elle. Devenue avocate pendant la période Covid, la règle n’était plus la même. « J’ai pensé qu’il s’agissait de règles sanitaires au début, mais ça n’a jamais changé. »
Un échange « animé et cordial »
Ce système rend le suivi des dossiers difficile selon elle. « Ils ne répondent ni aux mails, ni aux appels. La préfecture est devenue une entité obscure. » La seule fois où elle a pu rentrer s’est soldée par un échange « animé et cordial » avec les agents. Mais sans changement majeur regrette cette avocate persuadée que de « nombreux recours devant le tribunal administratif pourraient être évités ».
Ces deux avocates bénéficient du soutien du Syndicat des avocats de France, également requérante dans cette affaire. « Cette décision porte une atteinte manifestement illégale et disproportionnée au libre exercice de leur profession et au droit de tout administré de se faire assister et représenté par un avocat devant les administrations publiques », est-il écrit dans ce courrier, qui met en avant le rôle de ces avocats dans de telles situations. « Les personnes étrangères sont les plus précaires et les plus vulnérables. Nous sommes censés être des facilitateurs d’échange entre eux et la préfecture », estime Lisa De Rammelaere.
Éviter une procédure
Pour elle et maître Breton, autoriser la présence des avocats lors de ces rendez-vous est dans l’intérêt de tous. « S’il y a des interrogations sur un dossier, c’est plus logique de pouvoir échanger en direct avec l’avocat qui l’a monté. Tout est organisé pour que ce soit le plus long et compliqué possible. » Pour autant, il n’est pas question de partir en guerre contre la préfecture. « Nous voulons de bonnes relations, assure Justine Breton. Si nous en sommes là, c’est que nous n’avons pas réussi à nous faire entendre. Nous espérons que ce courrier changera les choses. L’idée est d’éviter d’engager une procédure administrative. » Contactée, la préfecture n’a pas donné suite à notre demande.
Titre de séjour : « C’est le parcours du combattant »
Cette interdiction ne serait que la partie émergée de l’iceberg. C’est tout la procédure liée au droit des étrangers qui serait entravée selon ces avocats. « C’est compliqué en ce moment avec la préfecture du Morbihan, note Lisa De Rammelaere. Cela crée des situations irrégulières. On n’imagine pas le nombre de personnes qui se retrouvent sans titre de séjour du jour au lendemain et qui perdent tout. La machine dysfonctionne complètement. »
L’avocate accompagne de nombreux clients en amont de leur demande de titre. « L’accès à ce service est compliqué. C’est le parcours du combattant. » Selon le type de situation, il faut faire une demande par courrier, ou par internet ou en rendez-vous présentiel. « Déjà, il faut obtenir le rendez-vous. Les personnes en situation régulière surveillent tous les jours le site de la préfecture pour espérer obtenir un rendez-vous. Le tribunal administratif est saturé d’injonctions pour demandes de date de rendez-vous. Il ne s’agit même pas d’étudier le bien-fondé de la demande mais de rendre ce service public accessible. »
Selon maître Raphaël Balloul, même l’exécution des décisions de justice est compliquée. « Un jugement administratif a beau annuler une décision du préfet, il ne se passe rien. Il y a pléthore de décisions non exécutées avec des personnes en CDI qui peuvent potentiellement perdre leur emploi. Des personnes en situation régulière et stable peuvent basculer dans la précarité en raison de l’inertie administrative. » Ils ne cachent pas leur incompréhension : « Le principe de l’État de droit est qu’il respecte les règles qu’il s’est fixées. »
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