
Joël Le Scouarnec, lycée Bétharram : quand la société broie les enfants et protège les agresseurs
Le verdict est tombé mercredi 28 mai après 3 mois de procès à Vannes : 20 ans de réclusion, assortis d’une peine de sûreté aux deux tiers, une peine d’inéligibilité, 15 ans de suivi socio-judiciaire, une injonction de soin. Ce verdict ne faisait pas l’ombre d’un doute, le chirurgien pédocriminel ayant reconnu l’intégralité des faits.
Doit-on pour autant s’estimer satisfait·e ? Estimer que justice a été rendue et que l’affaire est close ? Non, bien au contraire. Car si c’est bien Joël Le Scouarnec qui a été jugé, l’homme n’est que le produit d’une société qui rend possible ces violences. Car si les 299 victimes reconnues et non prescrites (sur 350 en tout) ont bien été violées par le prédateur, c’est la faillite des institutions qui a permis cela. Ne nous y trompons pas.
L’ordre des médecins, une institution criminelle
Depuis le début du procès, la présence de l’Ordre des médecins sur le banc des parties civiles a fait scandale. En effet, cette institution se rend complice des médecins pédocriminels, et ce depuis de nombreuses années. Mediapart s’est plongé dans 33 affaires jugées ces 25 dernières années. Résultat : 36% des médecins condamnés pour des faits de pédocriminalité n’ont tout simplement pas été radiés. Quelques mois d’interdiction d’exercer, parfois même avec sursis. Un père reconnu coupable d’agression sexuelle sur ses deux filles ? Une simple interdiction temporaire, avec sursis.
Dans l’affaire Le Scouarnec, l’ordre des médecins du Finistère est mis au courant de sa condamnation pour détention d’images pédopornographiques par un lanceur d’alerte dès juin 2005. Pourtant, aucune poursuite n’est engagée. Entre 2006 et 2017, date de son arrestation, ce sont 28 victimes qui sont recensées. Et qui auraient donc largement pu être évitées si l’Ordre avait fait son travail.
À la barre des témoins, les responsables bafouillent, se renvoient la balle, invoquent un problème d’interprétation de texte. En 2008, lorsqu’il déménage à Jonzac, l’Ordre de Charente-Maritime le laisse exercer malgré sa condamnation. L’ancien président explique : «Il avait purgé sa peine… Comme il n’y avait pas eu de remarques le concernant pendant quelques années, on pouvait penser qu’il s’était pourvu d’une certaine morale depuis».
Michèle Cals, directrice de l’hôpital de Jonzac, se défend en prenant prétexte de la pénurie de chirurgiens. En somme : peu importe que vous soyez un violeur d’enfant tant que vous faites votre boulot. Un «séparer l’homme de l’artiste»… ou du soignant. Une insulte de plus pour les victimes dont la vie a été détruite.
Les enfants, les victimes que personne ne veut entendre
On aurait pu espérer que le procès serait l’électrochoc qui permettrait une prise de conscience de la réalité des violences sexuelles sur les enfants. Mais il n’en est rien. Ce sont 111 viols et 188 agressions sexuelles commis entre 1989 et 2014 qui ont été jugés. L’âge moyen des victimes est de 11 ans.
Ici, point de Gisèle Pélicot érigée en héroïne. Les 299 victimes restent une masse anonyme, un tout. Dans les médias ou pendant le procès, c’est comme si le drame individuel de chacune de ces victimes ne comptait pas et s’effaçait devant l’énormité du nombre. Mediapart a rapporté les propos de l’une de ces victimes, réagissant au verdict : «Ça été bâclé. [La présidente] n’a même pas prononcé le nom des 299 victimes. On a été invisibilisées, une nouvelle fois». Afin de briser cette invisibilisation, une déambulation était organisée devant le tribunal, avec une banderole composée des noms des 350 victimes.
Ce procès, contrairement à celui des violeurs de Gisèle Pélicot, n’a pas défrayé la chronique. Parce qu’à l’instar de l’affaire Bétharram, lorsque les victimes sont des enfants, on ne les écoute pas. Le procès Le Scouarnec n’aura pas fait couler beaucoup d’encre. Il en va de même des politiques : pas un·e n’a pris la parole pour s’emparer de ce sujet et entreprendre les réformes structurelles nécessaires pour mieux protéger les enfants et accompagner la prise en charge des victimes de violence. Silence radio.
Et ce gouvernement n’a aucunement l’intention de faire évoluer les choses, ni de protéger les enfants. Rappelons que nous avons à l’heure actuelle un Premier ministre qui a dissimulé 50 années de violences physiques, psychiques et sexuelles dans un établissement scolaire où étaient scolarisé·es ses enfants, et où sa propre fille a elle-même subi ces violences. Il continue d’exercer en toute tranquillité, en ayant sciemment couvert ces crimes, et menti sur ses dissimulations.
C’est ce même Premier Ministre qui parle d’une « frappe de père de famille » et de « geste éducatif » lorsqu’il est filmé giflant un enfant, et affirme « ce n’est pas de la violence ». La conception de l’éducation par ces gens est claire : soumission à l’autorité, violence autorisée en cas de manquement, dévalorisation systématique de la parole de l’enfant face à celle de l’adulte. Pourquoi lutteraient-ils contre les violences faites aux mineurs ? Ils les cautionnent et les dissimulent. Elles rentrent dans leur prisme ultra réactionnaire, qui valorise l’obéissance aux figures de l’autorité. Le père, le médecin, l’homme d’Église…
« On essaie de faire de lui un monstre, mais ce monstre, c’est la société qui l’a créé et qui l’a laissé perdurer » rappelle Manon Lemoine, l’une des victimes. Une société malade où les logiques de domination empêchent de protéger les enfants face aux adultes comme Joël Le Scouarnec. 160.000 mineurs sont victimes de violences sexuelles tous les ans, et dans 77% des cas, au sein même de la famille. 5,4 millions de personnes ont subi des violences dans leur enfance soit près d’une personne sur 10. Tous les 5 jours, un enfant est tué par l’un de ses parents. Et personne n’en parle.
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