L’allocation sociale unifiée, l’arnaque de Bayrou qui va faire plonger 4 millions de bénéficiaires dans la pauvreté (H.fr-2/09/25)

L’allocation sociale unifiée vise à fusionner toutes les prestations sociales, au risque de les réduire plus facilement.
© Serge Tenani / Hans Lucas via AFP

François Bayrou a relancé en juillet l’idée de centraliser le versement des aides sociales dans un seul dispositif. Les premiers scénarios dessinent un mécanisme propice à de futurs coups de rabot dans les dépenses publiques. 3,5 à 4 millions de personnes pourraient être perdantes. Les associations et syndicats alertent. On a enquêté.

Par Marie MOULINE.

« Une solidarité plus lisible » et « la priorité au travail ». Les formules floues utilisées par François Bayrou lors de sa présentation du budget austéritaire 2026, le 15 juillet dernier, pour expliciter l’allocation sociale unifiée (ASU) qu’il projette de créer, entourent toujours la mesure d’un écran de fumée. Bien moins parlante que la suppression de deux jours fériés ou l’augmentation des frais médicaux et du reste à charge, cette réforme des minima sociaux pourrait être tout aussi nocive à leurs bénéficiaires.

Avant le vote de confiance du 8 septembre à l’Assemblée, les détails de cette mesure ne seront pas révélés. Chaque groupe parlementaire peut donc continuer à y voir ce qu’il veut. Une manière de lutter contre le non-recours aux droits sociaux pour la gauche. Un prétexte pour plafonner les aides à hauteur de 70 % du Smic pour la droite, comme Laurent Wauquiez l’avait proposé en janvier dernier.

Les scénarios de création de cette allocation sociale unifiée sont pourtant prêts à sortir des cartons de Bercy et du ministère des Solidarités. Les associations de lutte contre la précarité et les syndicats alertent déjà sur ce dispositif qui pourrait devenir un instrument au service des coupes dans les dépenses publiques.

Une vieille idée, enterrée pendant le Covid

Changer les barèmes des prestations sociales ou les fusionner en une seule aide est une vieille idée. Avant que François Bayrou ne la remette sur la table cet été, elle était réapparue fin 2024 dans la bouche de l’ancien premier ministre Michel Barnier, qui souhaitait rouvrir le chantier dès 2025. Mais le dispositif a d’abord été porté en 2016 par Christophe Sirugue, ancien député de la droite du PS, cheville ouvrière de la « loi travail » El Khomri.

Figurant ensuite en 2017 dans le programme du candidat Macron sous forme d’un « revenu universel d’activité qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations » pour lutter contre le « maquis opaque » des allocations sociales, la mesure avait ensuite été portée par le gouvernement d’Édouard Philippe. Une grande concertation avait suivi en 2018 et 2019, réunissant un nombre important d’acteurs de la société civile.

« Mais nous n’avons jamais reçu le document contenant avec précision tous les scénarios de réforme », se souvient Carole Saleres, conseillère nationale à APF France Handicap, dont l’association avait participé à la consultation. Un rapport avait ensuite été adressé par Fabrice Lenglart, directeur de la Drees (service de recherche du ministère des Solidarités), à son administration de tutelle.

Mais le Covid a fourni un « prétexte » pour enterrer la réforme, explique Manuel Domergue, porte-parole de la Fondation pour le logement des défavorisés, également partie prenante de la concertation. « Il n’y a pas eu d’arbitrages parce que le gouvernement voyait bien que lancer cette réforme nécessitait une harmonisation des aides sociales par le haut », complète-t-il. C’est-à-dire une réforme coûteuse dans une période où la priorité du gouvernement était (déjà) de faire des économies.

« Il y a des perdants et des gagnants dans les trois premières hypothèses »

Expert en coups de rabot dans les dépenses publiques, le gouvernement Bayrou, dont le cabinet n’a pas répondu à nos sollicitations, se fait fort de mettre en place son allocation sociale unifiée. Car, du côté de Bercy et de Matignon, le Covid n’a pas mis fin aux travaux de préfiguration de ce dispositif.

Un nouveau rapport resté confidentiel, remis à nouveau par Fabrice Lenglart, promu fin juin directeur général de l’Insee, a proposé des scénarios à son administration de tutelle. Des scénarios que Sandrine Runel (PS) et Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons) ont pu consulter lors de leur « mission flash » sur « l’opportunité et les modalités de la création d’une allocation sociale unique », dont les conclusions ont été présentées en juillet dernier.

« Il y a des perdants et des gagnants dans les trois premières hypothèses, énonce la rapporteuse socialiste. Des gens hors des radars et des personnes qui n’ont pas le droit aux APL (aides personnelles au logement) et à la prime d’activité vont y avoir droit. » Avant de prévenir que « les perdants, dont les montants des prestations sociales diminueront, se trouveront notamment dans les quatre déciles les plus pauvres ».

Si l’un des scénarios intègre l’allocation adulte handicapé (AAH), les autres, qui semblent pour le moment préférés, concernent le RSA, la prime d’activité et les APL, mais laissent de côté l’AAH. Une des pistes envisagées est à coût budgétaire constant. Dans ce cadre, 4 millions de personnes sont désignées comme « perdantes », contre 3,9 millions dites « gagnantes ».

Dans une autre piste, qui prévoit un coup de pouce de 2 milliards d’euros supplémentaires, 3,5 millions seraient « perdants » et 4,6 millions « gagnants ». En tout état de cause, aucune hypothèse n’envisage zéro perdant.

Pour soulager le sort des infortunés de la réforme, Fabrice Lenglart propose dans son rapport d’appliquer une « compensation », c’est-à-dire « maintenir le niveau de versement des allocations, en attendant que les personnes touchées changent de situation », explique Sandrine Runel. Mais cette « compensation » ne serait que temporaire et budgétée que sur trois ans.

« C’est ce qu’ils appellent les mesures sucrées », ironise Cécile Velasquez, secrétaire générale de la fédération CGT des organismes sociaux, c’est-à-dire des « mesures pour rassurer ». Mais « s’il est prévu sur trois ans, ce budget devra tout de même être revoté chaque année », met-elle en garde. Un coup de rabot budgétaire est si vite arrivé.

Le groupe socialiste à l’Assemblée serait ouvert à « engager des discussions avec des garanties » d’après Sandrine Runel, avec, comme préalable, « zéro perdant » et « a minima 2 milliards sur la table ». Une position qui apparaît contradictoire, la somme étant insuffisante pour éviter une baisse des allocations pour certains ménages.

Des alertes sur la mise en place de la réforme

Outre son ciblage, la mise en place de cette réforme suscite des craintes chez les agents des organismes sociaux. « À l’assurance-maladie, on a déjà connu un accident industriel avec le déploiement trop rapide du logiciel Arpège », alerte Cécile Velasquez. Selon la CGT, jusqu’à 15 000 personnes n’ont pas perçu leurs indemnités d’arrêt maladie, notamment en Loire-Atlantique et en Vendée.

La réduction des aides au logement de 5 euros au début du premier quinquennat Macron avait également généré d’« énormes bugs informatiques » pendant plusieurs mois, rappelle-t-elle. La mise en place numérique de l’ASU s’annonce bien plus complexe avec sa fusion d’allocations gérées par différentes administrations : les APL par les caisses d’allocations familiales, le RSA par les départements…

Mais c’est surtout le principe même de la Sécurité sociale qui est remis en cause. « Quand elle a été créée il y a quatre-vingts ans, c’était pour que tout le monde puisse faire face aux aléas de la vie : accident du travail, licenciement, arrivée d’un enfant… rappelle Cécile Velasquez. L’intérêt d’avoir différents dispositifs, c’est justement de pouvoir personnaliser les aides en fonction des besoins de chacun. »

« Décider qui est un bon pauvre et qui est un mauvais pauvre »

Dans l’attente d’annonces plus précises, les associations de lutte contre la précarité restent elles aussi sur leurs gardes. « Nous sommes très intéressés par l’amélioration de l’accès aux droits, mais nous avons beaucoup de points de vigilance », déclare Carole Saleres, d’APF France Handicap. Les associations dénoncent en chœur une « complexité » des démarches qui augmente le non-recours.

Entre 30 et 34 % des personnes éligibles au RSA ne l’ont pas demandé en 2025, rappelle une étude du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. « On a besoin d’une simplification, embraye Manuel Domergue, les bénéficiaires se heurtent à une conditionnalité des aides de plus en plus avancée. »

C’est aussi un manque de « lisibilité » des démarches qui provoque, selon le porte-parole de la Fondation pour le logement, une « insécurité » pour des bénéficiaires, qui ne peuvent pas prévoir ce qu’ils percevront à la fin du mois. « Cette réforme doit avoir l’ambition de diminuer le taux de pauvreté, non pas de trouver des économies au détriment des personnes les plus vulnérables », tranche la représentante d’APF France Handicap, rappelant qu’au moins 30 % des personnes au RSA sont en situation de handicap.

« Aujourd’hui, on ne sent pas une véritable ambition de lutter contre la pauvreté. Les réformes n’ont pas pour but d’aider les gens, mais de les contrôler et de décider qui est un bon pauvre et qui est un mauvais pauvre », déplore Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/aide-au-logement/lallocation-sociale-unifiee-larnaque-de-bayrou-qui-va-faire-plonger-4-millions-de-beneficiaires-dans-la-pauvrete

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/lallocation-sociale-unifiee-larnaque-de-bayrou-qui-va-faire-plonger-4-millions-de-beneficiaires-dans-la-pauvrete-h-fr-2-09-25/

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