
La journée de blocage du 10 septembre a été émaillée par de nombreuses violences policières graves. StreetPress en a relevé plus d’une cinquantaine dans différentes villes : fractures de la main, du coude ou de l’avant-bras, traumatisme crânien…
Par Vincent VICTOR.
Il ne fait pas encore jour, le mercredi 10 septembre, que les forces de l’ordre interviennent déjà sur les premiers blocages de lycées ou de ronds-points dans le cadre du mouvement « Bloquons tout », et que les premières vidéos apparaissent sur les réseaux. Ici, une charge policière contre des manifestants. Là, des lycéens aspergés de gaz lacrymogènes. Et rapidement, les images de violences policières inondent les réseaux sociaux. « On ne tolérera aucun blocage, aucune violence », déclarait le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sur France 2. En cette journée de mobilisation, les forces de l’ordre semblent avoir bien reçu le message. StreetPress, en partenariat avec le site violencespolicieres.fr, a analysé 59 situations de violences policières illégitimes.
Après l’évacuation d’un blocage du lycée Hélène Boucher à Paris (20e), StreetPress capture l’interpellation brutale d’un lycéen, la tête violemment projetée contre le mur par un policier. La vitrine du magasin adjacent est maculée de sang. Sur une autre vidéo prise non loin de là, des parents fuient avec leurs enfants, en pleurs, les gaz lacrymogène ont empli la rue de l’école maternelle Maryse Hilsz. Du côté de Clermont-Ferrand (63), le journal de « La Montagne » diffuse l’image d’un policier actionnant à bout portant sa gazeuse lacrymogène sur le visage d’une personne, assise sur le trottoir, près d’un point de blocage. Une heure plus tard, la même unité est filmée en train d’asperger « sans raison » une dizaine de cyclistes qui rentrent de l’opération en direction du centre-ville, rapporte un témoin. (2)
À Montpellier (34), en début d’après-midi aux alentours de 14 heures, un manifestant est violemment renversé par le jet d’un canon à eau sur la place de la Comédie, qui le frappe à la tête (3). Ses pieds décollent du sol. Hospitalisé dans un état grave pour un traumatisme crânien, il souffrirait de troubles neurologiques, selon un message de ses proches. À Cherbourg-en-Cotentin (50), un manifestant est frappé puis étranglé par un policier en civil, alors que ce dernier tente de rester accroché à une barrière (4).
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Sur une autre vidéo captée à 17 h 35, à Rennes (35), au pied de la basilique Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, une femme est violemment balayée au sol par un gendarme mobile (5). Jusqu’à la nuit tombée à Marseille (13), où un habitant capture l’image d’une personne en fauteuil roulant fuyant au milieu des gaz lacrymogènes. Ces images ont suscité de vives critiques, mais dissimulent une multitude de victimes, de coups de matraque ou de lacrymogène ici et là, sur un petit rassemblement ou un cortège plus officiel, dont la légitimité et le sens questionnent.
Charges, coups de matraque et gaz lacrymogènes
Rassemblés en fin de matinée à la gare du Nord sur l’appel des cheminots, les manifestants ont voulu rejoindre la place du Châtelet, où les syndicats se donnaient rendez-vous en début d’après-midi. Dès l’apparition des premiers manifestants habillés en noir, puis tout l’après-midi, les forces de l’ordre ont multiplié les charges le long du boulevard de Strasbourg puis du boulevard de Sébastopol.
Sur les nombreuses vidéos réunies par StreetPress, trois charges, sous plusieurs angles, sont capturées. Les policiers foncent en poussant les personnes se trouvant sur leur passage, jusqu’à arriver au contact du cortège, dense, sur lequel s’abat une pluie de coups de matraque, parfois à hauteur de tête. Une stratégie pour « casser le black bloc », assumait le préfet de police, Laurent Nunez, dans « Libération » en 2023. Casser les corps, aussi.
Dans la foule remplissant le boulevard de Strasbourg, Emma (1), 18 ans, n’a pas le temps de fuir. Un coup de matraque lui fracture la main droite, avec laquelle elle écrit. L’étudiante en école d’art doit porter une attelle pendant plusieurs semaines. Elle compte porter plainte. Son ami, tombé par terre lors de la charge, est écrasé par des manifestants avant de recevoir plusieurs coups de matraque au visage.
Sur le boulevard de Strasbourg, à Paris, Emma, 18 ans, étudiante en école d’art, reçoit un coup de matraque lui fracturant la main droite. Elle compte porter plainte. / Crédits : DR
Plusieurs journalistes présents dans la foule sont également poussés ou matraqués lors des charges, malgré leur caméra ou brassard « presse » apparent. Plus tard à Châtelet, c’est entouré d’une douzaine de caméras qu’un policier — sans matricule et le visage partiellement dissimulé par un cache-cou — inflige un coup de poing au visage d’un manifestant, qui lui a brisé son bâton souple. Un autre, major, frappe la caméra d’un reporter. « Sept cas de journalistes entravés physiquement par les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction » ont été recensés par Reporters sans frontières.
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Le soir, les manifestants réunis pour une « assemblée générale » — et autour d’un grand feu de palettes — sur la place des Fêtes (Paris, 19e), sont dispersés dans les mêmes conditions en direction de la Porte des Lilas. Sur une dizaine de vidéos captées par plusieurs habitants, les policiers continuent les charges et les violences contre des manifestants et des passants. Sur l’une d’elles, en face du McDonald’s, un trentenaire — apparemment sans lien avec la manifestation — est violemment poussé au sol par un policier lancé en pleine course. Juste à côté, un autre reçoit un coup de matraque par chaque fonctionnaire de l’unité passant à côté de lui.
Sur une autre vidéo, estimée être entre 21 heures et 22 heures, les policiers chargent au même endroit — cette fois en sens inverse — en frappant et renversant d’autres manifestants. Un jeune homme au K-Way noir est attrapé au cou puis bousculé par plusieurs policiers pendant qu’un autre fonctionnaire, s’apercevant qu’on les filme depuis l’intérieur du fast-food, frappe la vitre et menace du doigt le témoin. Là encore, beaucoup de policiers ont le visage dissimulé par une cagoule et ne portent pas leur matricule. Aucune des violences n’est suivie d’un contrôle ou d’une arrestation.
On a passé au crible les violences policières commises le 10 septembre https://t.co/VYHe21N76i pic.twitter.com/sIAqI7Wxif— StreetPress (@streetpress) September 16, 2025
Plusieurs blessés graves
Marius, 19 ans, soupçonne les mêmes policiers de l’avoir violenté, en amont du boulevard de Belleville. Alors qu’il rentre chez lui avec un ami, un manifestant lance en direction de policiers, à côté d’eux, une bouteille en verre. « Ils étaient persuadés que c’était nous », raconte l’étudiant en journalisme sportif. Alors qu’il levait les bras, il a reçu un « déferlement de coups de matraque » avant d’être jeté et frappé au sol. « Ils ont pris mon crâne et l’ont tapé contre le béton, plusieurs fois. » D’après son témoignage, les policiers ne s’arrêtent et l’assoient qu’en apercevant son visage recouvert de sang et la « grosse flaque par terre ». Les deux jeunes hommes subissent alors une pluie d’insultes et de « ferme ta gueule ». L’un des policiers se moque :
« On vous a bien cassé la gueule. »
Marius est évacué par les sapeurs-pompiers pour deux larges plaies au front, qui lui laissent dix points de suture et huit jours d’ITT. « T’as perdu le jeu », lui aurait lancé l’un des sapeurs-pompiers avec un grand sourire, avant de s’adresser aux fonctionnaires : « Bravo les gars, vous avez fait du bon boulot, vous vous êtes bien amusés. » Son ami, en meilleur état, est placé en garde à vue. Les deux ont indiqué souhaiter porter plainte.
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À Lyon (69), Gabriel, 19 ans, et deux amis de 22 ans, témoignent de violences. Sur la place Guichard, les trois jeunes étaient montés sur le toit d’une toilette publique pour observer la foule, avant que les forces de l’ordre ne chargent pour disperser la place. Lorsque les policiers leur ordonnent de descendre, Gabriel assure avoir coopéré. Mais dès qu’il pose les pieds au sol, il reçoit un coup de matraque en dessous du poignet, qui enfle rapidement. Après une radio, il a une fracture du cubitus, pour laquelle il devra garder un plâtre « entre un mois et demi et trois mois ». Il compte également porter plainte. Ses deux comparses, également matraqués, se voient constater trois et huit jours d’ITT pour un œdème à la cheville pour l’un ; et pour l’autre une contusion à la hanche.
Marius (à g.), 19 ans, étudiant en journalisme sportif, est frappé au sol boulevard de Belleville, à Paris. Il a deux larges plaies au front, qui lui laissent dix points de suture et huit jours d’ITT. Gabriel (à dr.), 19 ans, a une fracture du cubitus après avoir subi des violences policières à Lyon. / Crédits : DR
Le matin, de l’autre côté du Rhône, Camille, 29 ans, fuyait les policiers depuis près d’une demi-heure dans les petites rues de la presqu’île, à la suite d’un blocage autour de la place des Archives. Sur les quais, un agent la rattrape et la fait tomber par terre d’un coup de matraque dans les jambes. Elle reçoit plusieurs coups à la tête — qui lui ouvrent le crâne duquel elle saigne abondamment — et au bras alors qu’elle tente de se protéger au sol. Puis les fonctionnaires reprennent leur poursuite des autres manifestants.
À Lyon, place des Archives, Camille, 29 ans, reçoit plusieurs coups à la tête et au bras. Son crâne saigne abondamment et son coude est fracturé, lui valant un arrêt de travail d’un mois. / Crédits : DR
Examinée dans la foulée à l’hôpital Saint-Joseph Saint-Luc, on constate une fracture au coude, lui valant un arrêt de travail d’un mois. Comme plusieurs autres victimes interrogées par StreetPress, elle ne comprend pas pourquoi elle a été frappée. « Ils auraient pu me gazer, me dire de partir », témoigne-t-elle la gorge nouée, encore confuse, deux jours après les faits. « Il m’aurait demandé de me mettre par terre, je me serais mise par terre. » Elle termine, résumant en quelques mots les dizaines de témoignages reçus par notre rédaction et sur le site de violencespolicieres :
« Ils ont tapé et ils se sont barrés. »
Comme ceux d’Emma, de Camille et de Marius, les témoignages vont continuer d’affluer. Sur la base des nombreux messages et vidéos circulant sur les réseaux sociaux, comme les canaux Télégram spécialement créés pour le 10 septembre, un collectif citoyen « Observatoire de la violence policière » a recensé 129 incidents, dont « 61 blessures sérieuses », pour les régions Bretagne et Auvergne-Rhône-Alpes.
Sollicités par StreetPress ce 16 septembre, les services de communication de la préfecture de police, de la police nationale et de la gendarmerie nationale n’ont pas encore donné suite. Sur X (anciennement Twitter), le préfet de police a remercié « policiers, gendarmes et pompiers qui poursuivent leurs missions (…) pour intervenir et faire cesser immédiatement tout trouble à l’ordre public qui viendrait à se produire ».
Notes
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) Le préfet du Puy-de-Dôme a déclaré sur X que la police nationale est intervenue pour « disperser des groupes qui bloquaient la circulation ».
(3) Le préfet de l’Hérault a déclaré sur X qu’« il n’y a pas eu de blessé grave à la suite de l’emploi du camion lanceur d’eau » et a dénoncé « les rumeurs colportées sur les réseaux sociaux par des personnes qui cherchent à atteindre l’honneur de la police nationale ». Un communiqué de presse affirme que « l’engin lanceur d’eau a été utilisé sur la place de la Comédie pour disperser les individus les plus déterminés ».
(4) Sollicité par actu.fr, le commissaire de police a indiqué que l’homme a été interpellé et placé en garde à vue pour des faits de « rébellion » et de « violences commises sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Dans un communiqué, le préfet de la Manche a indiqué que « quatre personnes ont été interpellées » lors de cette journée.
(5) Le préfet de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine a communiqué sur X l’« évacuation » d’un « rassemblement non déclaré d’individus masqués commettant des violences », sans faire de déclaration sur cette violence précise.
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Source: https://www.streetpress.com/reporter/vincent-victor
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/le-10-septembre-une-journee-de-violences-policieres-passee-au-crible-streetpress-16-09-25/