Le budget carbone de la planète sera épuisé dans 3 ans : l’alerte des scientifiques (reporterre-19/06/25)

Des étangs presque à sec en Belgique, 14 mai 2025. – © Nicolas Tucat / AFP

Le seuil de 1,5 °C de réchauffement planétaire sera dépassé sur plusieurs années, alerte un consortium international de scientifiques. Problème : le budget carbone pour le limiter sera bientôt épuisé.

Par Emmanuel CLEVENOT.

« C’est désormais inéluctable. » À contre-courant de l’habituelle nuance des scientifiques, Pierre Friedlingstein, directeur de recherche CNRS à l’École normale supérieure, l’assure à Reporterre : le seuil crucial de 1,5 °C de réchauffement sera à coup sûr dépassé sur plusieurs années.

Dans une étude publiée le 19 juin dans la revue Earth System Science Data, un consortium international de 61 chercheurs a actualisé les indicateurs géophysiques clés du changement climatique. Et les nouvelles ne sont pas bonnes : « Les niveaux et le rythme du réchauffement sont sans précédent », alerte le professeur Piers Forster, auteur principal.

Toujours en hausse, les émissions de gaz à effet de serre ont atteint un niveau record, en franchissant la barre des 55 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2023. Une année exceptionnelle ? Non. Les données préliminaires trahissent déjà une poursuite de cette augmentation en 2024. D’après les auteurs, l’utilisation toujours croissante des énergies fossiles dans le monde entier et la déforestation sont à l’origine de ces chiffres peu réjouissants.

« 90 % de ce réchauffement est imputable aux activités humaines »

Répercussion immédiate sur le thermomètre : la température à la surface de la Terre enregistrée l’an passé a atteint un niveau jusqu’alors jamais observé, 1,52 °C supérieur à celui de la fin du XIXe siècle. Près de 90 % de ce réchauffement — soit 1,36 °C — est directement imputable aux activités humaines. Une part de responsabilité qui ne cesse de s’accroître au fil des années.

À l’accumulation de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère s’additionne d’ailleurs la diminution des émissions de dioxyde de soufre (SO2), principalement dues à la combustion des combustibles fossiles. Si leur chute a le mérite d’améliorer la qualité de l’air, elle conduit toutefois à amoindrir l’effet « parasol » refroidissant de ces particules soufrées. Et ainsi, par ricochet, accélère le réchauffement global.

Outre ces facteurs purement anthropiques, doivent être mentionnées les retombées d’une combinaison de fluctuations spontanées du climat. À commencer par le désormais célèbre phénomène océanographique El Niño, baptisé « l’enfant terrible du Pacifique » : en 2023 et 2024, celui-ci a contribué à la flambée du mercure.

Pour équilibrer la balance, La Niña — phénomène inverse — aurait dû progressivement le remplacer et « entraîner un refroidissement de la température globale », détaille Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique à l’École normale supérieure. « Seulement, cette bascule n’a pas eu lieu. » Le climatologue français évoque enfin les répercussions de la variabilité naturelle de température des océans Atlantique et Austral, ayant aussi apporté leur grain de sel.

Le budget carbone bientôt à sec

Aussi alarmants soient ces résultats, les auteurs de l’étude assurent qu’il n’y a rien de surprenant : « Ce tableau d’ensemble est tout à fait conforme aux projections faites par la communauté scientifique depuis plusieurs décennies », assure Aurélien Ribes, directeur du groupe de recherche sur le climat à Météo-France.

Les 1,52 °C enregistrés en 2024 ne signifient pas que l’objectif de 1,5 °C, acté il y a dix ans par l’Accord de Paris, est franchi. Pour l’être officiellement, celui-ci devra être dépassé en moyenne sur plusieurs décennies. Pour autant, les espoirs d’éviter une telle déroute s’amoindrissent.

Un village slovène entièrement inondé, en 2010. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/Brane Petrovič & Borut Podgoršek, Mors

Entre 2020 et 2025, le budget carbone résiduel — quota d’émissions maximal qu’il reste à la Terre pour rester sous la barre de 1,5 °C —, offrant 1 chance sur 2 de limiter le réchauffement, a dégringolé. Il est passé de 500 à 130 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2). Autrement dit, une chute de 74 %. « C’est sûr que si l’on continue d’émettre à cette vitesse, le budget carbone atteindra 0 d’ici 3 à 4 ans », déclare à Reporterre le climatologue Pierre Friedlingstein.

Et encore ! « Nous faisons ici l’hypothèse que les autres gaz à effet de serre sont en train de décroître. Or, ça n’est pas le cas, assène Sophie Szopa, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Le méthane a notamment continué d’augmenter. Autrement dit, il reste moins de trois ans. »

Les yeux braqués sur la courbe des émissions, les scientifiques sont à l’affût des premiers indices d’une diminution. Quand peut-on espérer atteindre le pic mondial ? « Malheureusement, on ne sait pas, concède Pierre Friedlingstein. Il y a beaucoup d’espoir que la Chine atteigne bientôt son pic, et que ses émissions commencent à décroître. Cela arrivera forcément un jour. Toutefois, d’autres pays comme l’Inde voient toujours leurs émissions grimper. »

Effet rebond : la montée des océans

Des répercussions à la pelle sont déjà à déplorer. En s’accumulant dans le système terrestre, cet excès de chaleur perturbe l’équilibre énergétique de la planète et « affecte toutes les composantes du système climatique », précisent les auteurs. L’atmosphère, les continents, mais aussi l’océan — qui stocke 91 % de ce trop-plein fiévreux dû aux émissions de gaz à effet de serre.

En découle naturellement un réchauffement des eaux, et par effet rebond une intensification des phénomènes météorologiques extrêmes et une élévation du niveau des mers. « [Cela] peut avoir des effets dévastateurs sur les écosystèmes marins et les communautés qui en dépendent », déplore Karina von Schuckmann, océanographe au Mercator Ocean International, le service marin de Copernicus.

Depuis 1901, le niveau de la mer a ainsi grimpé de 22,7 cm. Et ce phénomène s’accélère : ces six dernières années, le rythme de cette élévation a été presque quinze fois plus rapide que depuis le début du XXe siècle, avec une augmentation de 26 mm par an contre 1,8 mm précédemment. « Ce chiffre, apparemment faible, a un impact démesuré sur les zones côtières de faible altitude, rendant les ondes de tempête plus dommageables et provoquant une érosion côtière plus importante », ajoute Aimée Slangen, de l’Institut royal néerlandais de recherche sur la mer.

Le consortium de scientifiques — parmi lesquels d’éminents auteurs du Giec — appelle en définitive à réduire drastiquement et urgemment les émissions de gaz à effet de serre pour sortir de cet engrenage infernal : « La suite dépend des choix qui vont être faits, insiste la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte. Nous pouvons limiter l’ampleur du réchauffement à venir, et protéger les jeunes générations de l’intensification des événements extrêmes. »

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Source: https://reporterre.net/Le-budget-carbone-de-la-planete-sera-epuise-dans-3-ans-l-alerte-de-60-scientifiques

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