Le Covid, un tournant pour le mouvement écologiste (reporterre-17/03/25)

Marche pour le climat pour demander une justice climatique, à Paris, le 9 mai 2020, après le premier confinement en France. – © Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La pandémie de Covid-19 a été une rupture dans l’histoire du mouvement écologiste. Cinq ans après, il panse encore ses plaies et peine à rebondir, alors que le monde s’engouffre dans le chaos climatique et la montée du fascisme.

Par Gaspard d’ALLENS & Lorène LAVOCAT.

Le 17 mars 2020, à midi, la France s’arrêtait. Alors que le Covid-19 se propageait, mettant en tension notre système de santé déjà fragile, Emmanuel Macron décrétait un confinement inédit. Un moment historique, « à la fois cataclysmique — d’un point de vue sanitaire, répressif, social — et plein d’espoir », résume Élodie Nace, alors militante au sein d’Alternatiba Paris.

On mesure encore mal ce qui s’est joué à l’époque, comme si la pandémie avait entériné la fin d’un cycle, comme si elle nous avait plongés dans un autre monde. « Il y a eu un avant et un après Covid », concède le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard.

L’arrêt brutal des marches climat

Rembobinons. À l’aube du confinement, le mouvement écologiste semblait à son apogée. « C’était l’âge d’or des marches et des grèves pour le climat, des actions de désobéissance civile, se rappelle l’activiste, jamais on n’avait autant parlé des questions climatiques. » Même souvenir, pour Nicolas Haeringer, de 350.org, de mobilisations « massives, avec une énergie puissante et l’idée qu’on allait réussir à enrayer la machine ».

La victoire paraissait alors à portée de main. En septembre 2019, plus de 7 millions de personnes défilaient dans les rues du monde entier, soit une des plus grandes mobilisations internationales jamais organisées.

Une marche pour le climat. © Cécile Guillard/Reporterre

La pandémie est venue stopper brutalement cette effervescence. « Ça a été une grosse baffe, estime Victor Vauquois, aujourd’hui membre de Terres de luttes. On a tous dû changer nos plans. » Fin des manifestations et des actions de masse, fermeture des lieux militants, repli sur soi. « Je me souviens d’une phase de sidération, dit Élodie Nace, qui participait alors à la gestion de La Base, un espace écologiste à Paris. Même si on a eu de nouveau des moments forts après, ça n’est jamais revenu pareil. » La Base a d’ailleurs définitivement baissé le rideau en 2022.

« Le Covid a, en quelque sorte, rendu la crise écologique concrète et réelle »

Mais pour la militante, le virus a constitué autant un coup de frein qu’un accélérateur. « Cette période a marqué un tournant dans l’intégration des enjeux climatiques par l’opinion publique », observe-t-elle. Les liens étroits entre pandémie et destruction du vivant ont été vite établis et largement médiatisés. « Le Covid a, en quelque sorte, rendu la crise écologique concrète et réelle », note encore Élodie Nace.

Un avis partagé par Antoine Gatet, actuel président de France Nature Environnement (FNE) : « La pandémie a provoqué une prise de conscience brutale des liens qui nous unissent à la nature », soutient-il. Avec, à l’époque, une lueur d’espoir : « De la même manière qu’on a créé la réglementation Seveso suite à des pollutions industrielles, on s’est dit que cette pandémie allait créer un électrochoc et remettre en cause le modèle économique qui est à l’origine de cette destruction. » Le Covid-19 est en effet une zoonose, une épidémie transmise des animaux aux humains, favorisée par l’élevage industriel et la destruction des écosystèmes.

Ses conséquences sont considérables : près de 7 millions de personnes sont déjà mortes du Covid-19 dans le monde, dont 116 000 en France.

« La bifurcation écologique est apparue inévitable » 

À Attac, Youlie Yamamoto parle d’un « backlash anthroposcénique » : « On s’est rendu compte qu’on était arrivés au bout de ce système productiviste déconnecté de la nature et de ses ressources, souligne-t-elle. Les liens entre crise sanitaire, sociale et écologique sont devenus évidents. » D’après la militante, l’anticapitalisme cher à son organisation a ainsi fait figure de « planche de salut de l’humanité » : « La bifurcation écologique et sociale est apparue inévitable. »

Dans le monde agricole aussi, le confinement — vécu comme une « catastrophe » pour les mal-logés et plus facilement pour d’autres — a paradoxalement créé un déclic : « Le travail des paysans a été enfin valorisé, reconnu comme un métier d’utilité publique, affirme Nicolas Girod, membre de la Confédération paysanne et ancien porte-parole du syndicat. Il y a eu une attention accrue à ce qui se passait et à ce qui était produit autour de chez soi… Ça a créé un déclic sur les questions de relocalisation et de souveraineté alimentaire. » Le printemps 2020 a ainsi vu fleurir les initiatives de vente directe et de soutien aux producteurs, ainsi qu’un boum de la consommation bio. Le rêve d’un exode urbain massif s’est également esquissé pour certains.

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Malgré sa violence et les traumatismes qu’elle a engendrés, la pandémie a également permis de voir émerger la conception d’un « monde d’après ». Avec ses multiples initiatives, l’idée d’une vie plus simple, plus locale, débarrassée de l’omniprésence de la voiture et du trafic aérien qui saturait le ciel. Pendant la crise, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 7 %. « Le coronavirus [faisait] la grève générale », écrivait Reporterre, plein d’optimisme.

« On réalisait que c’était possible, même contraints, de changer de modèle », souligne Antoine Gatet. Sur le terrain, les naturalistes ont observé les effets bénéfiques de l’arrêt de l’activité économique. Le vivant était là, prêt à sortir du bois.

Une rue vide à Paris, le 22 novembre 2020, pendant le second confinement. © Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À l’époque, se dessinait donc une alternative, et pas seulement parmi les écologistes. L’Agence nationale de la transition écologique (Ademe), aujourd’hui amputée d’un tiers de son budget, vantait ses propositions pour le monde d’après. Même des grands journaux aux mains de l’oligarchie semblaient s’interroger. « La redistribution sera à nouveau à l’ordre du jour ; les privilèges des personnes âgées et des riches seront remis en question. Les politiques considérées jusqu’à récemment comme excentriques, telles que l’impôt sur le revenu de base et l’impôt sur la fortune, devront faire partie du mélange », écrivait le Financial Times, le 3 avril 2020.

Autour de la CGT, de la Confédération paysanne et de Greenpeace, le collectif Plus jamais ça initiait aussi une convergence inédite entre associations environnementales et structures syndicales pour peser sur les décisions futures. « On s’est retrouvé avec du temps de réflexion, d’échange, qu’on n’avait pas en temps normal, où on est tourné vers l’action, explique Jean-François Julliard, de Greenpeace France. On a pris le temps d’écrire notre plan de rupture, de réfléchir aux questions de santé, de services publics… Bref, de construire un imaginaire collectif. » Tout paraissait sur le point de basculer.

Le retour de bâton

Sauf que… le changement n’a pas eu lieu. Et le retour de bâton a été « d’une violence inouïe », note Nicolas Girod. « Si on fait le bilan, on est pris d’un sentiment de vertige, remarque Nicolas Haeringer. Le coronavirus a aussi divisé le mouvement, creusé des scissions, nourri le complotisme. On ne s’en est toujours pas remis. On s’est retrouvés débordés par l’approche sécuritaire et policière de l’État qui nous a écrasés. »

In fine, « ce tournant qui devait être une étape vers un nouveau monde n’a fait que poser les bases d’un mode de gouvernement moins démocratique et plus répressif, abonde Antoine Gatet. On est revenu à la case départ sur les questions environnementales, comme un effet boomerang ». Loin des utopies décroissantes, le capitalisme a approfondi son emprise.

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La numérisation de l’existence s’est accélérée et les inégalités ont explosé. « Mon quotidien, avant Covid, c’était d’aller régulièrement sur le terrain, alors qu’aujourd’hui j’enchaîne les réunions à distance, je suis scotché à mon ordi, constate, amer, le président de FNE. On avait un espoir fou de reconnexion à la nature, mais, aujourd’hui, c’est pire qu’avant. »

Pourtant, malgré ce « retour à la normale » capitaliste, l’affrontement n’est pas terminé, veulent croire les écologistes. « La période Covid a renforcé la société civile », insiste Jean-François Julliard. Pour lui, l’effervescence associative et militante contre l’extrême droite en juin dernier, « est le fruit de ce travail pendant la crise Covid » : « On a appris à se connaître, c’est beaucoup plus facile de se parler et d’agir ensemble. »

« Le coronavirus a aussi divisé le mouvement […] On ne s’en est toujours pas remis »

Les revendications de justice sociale et environnementale — autour de la Sécurité sociale de l’alimentation ou de l’impôt sur la fortune climatique — constituent, selon l’écologiste, autant d’héritages du « monde d’après ».

Le Covid-19 a aussi permis de prendre des directions intéressantes. « Après le Covid, le mouvement écologiste s’est plus tourné vers des actions plus locales et concrètes, comme sur les mégabassines », selon Élodie Nace. La gestion de la crise — et de la suite — a également accentué la désillusion vis-à-vis des cadres politiques institutionnels. À France Nature Environnement, « on a acté que cela ne servait à rien d’aller échanger avec de gens incapables de changer de logiciel », analyse Antoine Gatet. Créé en 2021 au sortir de la pandémie, le collectif Les Soulèvements de la Terre a incarné cette montée en radicalité.

Face aux périls, les écologistes entendent encore nourrir l’espoir du monde d’après, « cultiver nos utopies réalistes », selon les mots de Nicolas Girod. Tout en sortant de « l’illusion du grand soir » qui a pu être ravivée lors de la crise sanitaire, invite Victor Vauquois. Plutôt que d’attendre le « monde d’après », Nicolas Haeringer insiste aussi sur le « monde de maintenant », pour « lutter contre le sentiment d’impuissance » : « Il nous faut agir aujourd’hui, faire face dignement à ce qui nous arrive, sauver ce qui reste. Chaque geste et chaque lutte compte. »

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Source: https://reporterre.net/Le-Covid-un-tournant-pour-le-mouvement-ecologiste

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