
Par Nadim FEVRIER.
Droit à mourir. « La liberté la plus grande dont on peut jouir c’est celle de se dominer et de se posséder soi-même. […] Nous voulons qu’à l’heure d’éteindre la lumière de sa propre décision, quelqu’un nous tienne la main et que ce soit une main aimante et aidante. », déclarait Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 9 avril 2021. 22 ans plus tôt, l’insoumis défendait déjà une proposition de loi au Sénat « relative au droit de mourir dans la dignité ». Entre temps, l’idée a fait son chemin et l’Assemblée nationale en débat en ce moment même.
Les travaux sur un premier texte de loi sous l’ère Macron ont été interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement Bayrou l’a scindé en deux, l’un concernant les soins palliatifs, l’autre concernant l’aide à mourir. Les votes solennels sur les deux textes sont prévus le 27 mai prochain. Une nouvelle loi était nécessaire, car le droit français actuel ne permet pas de répondre à de nombreuses situations à l’approche de la mort. À noter que 92 % des Français approuvent le droit à mourir dans la dignité lorsqu’un patient, atteint d’une maladie insupportable et irréversible, le demande (IFOP, 13 mai 2024).
Pourquoi une nouvelle loi ? Que peut-elle apporter ? Que répondre aux craintes de ceux qui doutent ? Comment certains frisent l’indécence sur un sujet aussi important ? Dans quelle mesure une société permettant de mourir dans la dignité s’inscrit dans l’humanisme originel ? L’insoumission vous explique tout. Notre article.
Pourquoi la législation actuelle ne suffit pas
Une première preuve que la législation actuelle ne convient pas en France : au moins 106 Français ont choisi la Belgique pour mourir dans la dignité en 2024, soit le double qu’en 2022. A contrario, personne ne vient en France pour bénéficier de l’aide à mourir que notre pays propose. Quatre lois se sont succédées ses 25 dernières années.
La loi de 1999 définit les soins palliatifs, la loi Kouchner de 2002 en consacre le droit universel. La loi Leonetti de 2005 permet à ce que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par obstination déraisonnable et permet l’écriture de directives anticipées. La dernière loi (Clayes-Leonetti, 2016) ne concerne que les patients dont le pronostic vital est engagé à court terme : elle leur propose une sédation profonde et continue avec altération de la conscience jusqu’à la mort.
On touche du doigt le problème et les manques de la législation actuelle, notamment lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. Ainsi, certains malades doivent attendre les tous derniers instants de leur vie avant de se voir appliquer une sédation. La Haute Autorité de Santé explique qu’elle ne peut se voir appliquer aux malades de Charcot uniquement lorsqu’ils commencent à étouffer, alors qu’ils auront subi des douleurs insupportables bien avant.
Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot et militant pour l’aide à mourir, s’est confié à France 3, précisant qu’il ne souhaitait ne pas vouloir mourir. « Elle est faite pour le confort des soignants qui n’ont pas l’impression de donner la mort, elle n’est pas faite pour le confort des malades qui vont mettre entre quelques heures et quelques jours, voire deux semaines à mourir », déclare-t-il à propos de loi la loi Clayes-Leonetti.
« Le fait de donner la mort à un malade condamné qui en exprime le souhait de manière claire et réitérée, ce n’est ni plus ni moins qu’un acte de soin », affirme Loïc. Il ajoute : « vous savez, la volonté de vivre est extrêmement forte. Donc quand un malade vous dit qu’il veut que ça s’arrête, c’est qu’il a réfléchi à la question, ce ne sont pas des paroles en l’air ». Pour rappel, la maladie de Charcot provoque une paralysie progressive de l’ensemble de la musculature squelettique, du tronc (y compris les muscles respiratoires) et la tête.
Amenés à se prononcer sur la question, le Conseil consultatif national d’éthique et l’Académie de médecine se sont prononcés en faveur de la légalisation de l’aide à mourir. Ainsi, dans son avis 23-17 de juillet 2023, l’Académie de médecine déclare que « aider à mourir le moins mal possible ceux qui ne peuvent l’être par le champ de la loi actuelle est une tâche difficile mais raisonnable par l’incorporation prudente et encadrée d’un nouveau droit ».
« Les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, du fait des caractéristiques liées à leur développement, sont laissées de côté », souligne l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), à propos des insuffisances de la loi Clayes-Leonetti. Pour rappel, 92 % des Français approuvent le droit à mourir dans la dignité lorsqu’un patient, atteint d’une maladie insupportable et irréversible, le demande (IFOP, 13 mai 2024).
Pour aller plus loin : Fin de vie : Emmanuel Macron promet un projet, 25 ans après la proposition de Mélenchon
Que permettrait la nouvelle loi sur la fin de vie ? Réponse à ceux qui doutent et qui s’inquiètent
Au départ, le texte du gouvernement faisait de l’auto-administration de la substance létale la règle et l’administration par un professionnel de santé l’exception. En commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, un amendement de LFI a ouvert la voie à un modèle véritablement mixte pour que le patient ait le choix, contre l’avis du gouvernement.
Campant sur ses positions, ce dernier a fait passer un amendement lors des débats en hémicycle pour revenir à sa volonté première, faisant donc de l’administration de la substance létale par un professionnel l’exception, c’est-à-dire seulement si le patient est dans l’incapcité de se l’administrer. Sans aucun doute, le gouvernement souhaite donner des gages aux opposants à l’aide à mourir. Faire prévaloir l’auto-administration de la substance létale sur l’administration par un professionnel permettrait de limiter l’implication des soignants. Qu’en pensent-ils d’ailleurs ? Selon un sondage IFOP de 11 mai 2025, 74 % des médecins jugent souhaitable la légalisation d’une aide à mourir.
Si le texte était approuvé, les soignants seraient-ils donc obligés de donner la mort à leur patients ? Bien sûr que non. Une clause de conscience est inscrite dans le texte de loi. Administrer la substance létale ne se ferait que sur la base du volontariat. Les soignants ne seraient pas là pour donner la mort mais pour soigner les patients ? Quid de l’abandon d’un patient à la fin de sa vie, dans un moment où il souffre le plus, alors que tous les traitements se sont révélés inefficaces ? N’est-ce pas justement aller contre l’engagement même du médecin que de ne pas lui permettre d’abréger ses souffrances, s’il en fait la demande ?
Selon les mots du Comité Consultatif nationale d’éthique : « certains professionnels de santé font valoir qu’ils sont tenus, non seulement de soigner et de respecter la vie, mais aussi de soulager les souffrances inconditionnellement. Leur éthique du soin pourrait justifier selon eux, lorsque les conditions sont réunies, qu’il soit mis fin à l’intolérable, même si cette décision de soulagement de la souffrance devrait avoir pour conséquence d’abréger la vie ».
Car oui, dire qu’une personne ne souffre plus lorsqu’elle est mise sous sédatif comme aujourd’hui est faux. Aucune étude ne prouve qu’une personne sédatée ne souffre pas, rappelle l’ADMD. Comme l’explique le Comité consultatif national d’éthique (avis n°139) : « au-delà de plusieurs jours de sédation profonde et continue, le patient peut présenter […] des signes de réveil associés à une dégradation de son état physique. La situation du patient continue de se dégrader ainsi sans que le décès survienne dans un délai raisonnable. »
Qui ? Quand ? Comment ?
La question des critères des personnes concernées est sûrement la plus difficile. L’on compte trois natures de critères : généraux (âge, résidence), médicaux (situation médicale du patient concerné) et de discernement (comment la volonté de recourir à l’aide à mourir est-elle exprimée).
La proposition de loi dégage cinq critères : avoir au moins 18 ans, nationalité française ou résidence stable et régulière dans le pays, affection grave et incurable « qui engage le pronostic vital en phase avancée ou terminale », souffrance physique réfractaire aux traitement ou insupportable pour la personne et être apte à faire part de ses volontés de façon libre et éclairée. Pendant les débats, les députés ont précisé « qu’elle qu’en soit la cause » au sujet de l’affection grave et incurable.
Concernant le critère d’âge, LFI a demandé à ce que le seuil soit abaissé à 16 ans (avec autorisation parentale) et à l’ensemble des personnes majeures ou mineures émancipées. Sur les critères de nationalité, les insoumis préfèrent garantir ce droit nouveau à l’ensemble des personnes résidant en France. Contre l’avis du gouvernement, des députés, dont des insoumis, ont inscrit dans le texte de loi la notion de « phase avancée ou terminale » (voir plus haut). À ce titre, la Haute Autorité de Santé a donné raison aux parlementaires, proposant de préciser la « phase avancée » comme « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ».
Quid du discernement du patient ? À savoir que le texte de loi exclut les personnes atteintes de pathologies altérant gravement le discernement (psychiatriques, etc.). Discernement direct ou indirect ? Que la personne, au moment où elle fait la demande ou qu’elle la confirme, soit dans l’habilité totale de comprendre les choix qui s’offrent à elle ? Ou qu’elle ait préalablement exprimé dans le cadre de directives anticipées, sa volonté, dans le discernement le plus total ? Voilà sûrement le débat le plus difficile.
Le texte de loi est basé sur la volonté directe de la personne jusqu’au jour où elle décidera d’éteindre la lumière. Exit du cadre du projet de loi les personnes en état végétatif ou les personnes atteintes de maladie dégénérative (alzheimer…). Après de nombreuses discussions le groupe parlementaire insoumis a trouvé un consensus en son sein pour ouvrir l’aide à mourir via des directives anticipées, dans des cas exceptionnels
Contrairement à la Suisse où le droit à mourir dans la dignité n’est pas régi par la loi, cette loi place de nombreux garde-fous pour éviter les abus. En instaurant un cadre, elle permet d’éviter toute dérive et pente glissante que dénoncent ceux qui s’y opposent ou ceux qui doutent. Dès lors, de tels garde-fous ne représentent pas de menaces pour les personnes vulnérables (handicapées ou âgées).
Si ces personnes souffrent légitimement au sein d’une société validiste comme la nôtre, les critères instaurés dans la loi font bien référence à une « phase avancée ou terminale », d’un engagement du pronostic vital, ce qui ne concerne pas la grande majorité des personnes vulnérables. Surtout, l’aide à mourir ne peut être imposée. Elle requiert une volonte ferme du patient, libre de son choix.
Droit à mourir dans la dignité : le combat de longue date et une bataille acharnée dans l’hémicycle
D’aucuns suivant le parcours de Jean-Luc Mélenchon et des insoumis connaissent leur combat de longue date pour le droit à mourir dans la dignité. « Pouvoir décider de sa fin de vie, c’est commencer à entrer dans une Humanité radicale. Ne plus avoir peur de la mort, c’est commencer à être radicalement et intimement libre », déclarait Jean-Luc Mélenchon en 2012, invité par l’association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). À l’époque, le droit de mourir dans la dignité est déjà inscrit dans son programme, « L’Humain d’abord ».
« Chaque pas qui rend une personne plus maitresse d’elle-même, est un pas qui nous fait avancer en humanité, même quand c’est un pas cruel, parce que c’est une responsabilité terrible de décider d’éteindre de la lumière », avançait l’insoumis le 2 novembre 2021, 14ᵉ journée mondiale pour le droit à mourir dans la dignité. « C’est un acte d’amour que nous plaidons, pour ceux qui veulent partir et à qui on ne saurait infliger l’agonie. Parce que mourir n’est pas une peine mais un élément de la condition humaine. Nous savons que, de même qu’il nous faut naître, il nous faut mourir », plaidait-il enfin en novembre 2022.
Au-delà de la légalisation de l’aide à mourir, les insoumis sont pleinement favorables à sa constitutionnalisation. Comme l’IVG, un tel droit ne saurait être remis en cause si la France basculait dans un régime encore plus autoritaire que celui dans lequel elle se trouve déjà sous l’ère Macron : ce droit nouveau doit être inscrit dans le marbre. En 1999, alors qu’il était sénateur, Jean-Luc Mélenchon défendait déjà une proposition de loi au Sénat « relative au droit de mourir dans la dignité ». En 2018, lors de leur première niche parlementaire, le groupe parlementaire insoumis dépose une proposition de loi pour légaliser l’aide à mourir. Aujourd’hui, les insoumis sont pleinement engagés dans cette bataille à l’Assemblée nationale.
L’un des débats les plus intimes de ces dernières années pour la France, qui doit s’abstenir de l’indécence
Le débat sur le droit à mourir touche à notre intimité la plus profonde. La question dépasse tous les clivages politiques. Religion, spiritualité, raisons morales, craintes liées à son statut d’handicapé, un refus de donner la mort en tant que soignant…
Toutes les raisons peuvent être avancées, aussi bien par ceux qui doutent, que par ceux qui s’opposent aux différentes formes du droit à mourir dans la dignité. Le débat doit être mené sereinement. Force est de constater que certains parlementaires ont préféré la surenchère et l’indécence.
Le député LFI Hadrien Clouet a exposé au grand jour des amendements de députés de droite et d’extrême droite frisant l’indécence. Par exemple, un amendement déposé par le député du RN, Christophe Bentz. Dans l’exposé des motifs, on peut y lire, au sujet de l’aide à mourir : « il s’agit d’en faire un acte public, auquel assisteront des spectateurs, tout en échappant à l’accusation de non-assistance à personne en danger ».
L’insoumis a sèchement recadré le député d’extrême droite : « On est en train de parler d’un droit nouveau de l’aide à mourir. Il y a des gens […] qui nous expliquent que les proches de quelques-uns qui va mourir viennent comme spectateurs pour échapper à l’accusation… C’est inadmissible ! »

Le député UDR Gérault Verny (Union des Droits pour la République, le parti d’Éric Ciotti, allié à Marine Le Pen) a trouvé « marrant », sur un sujet aussi délicat, de déposer des amendements pour transformer l’appellation « aide à mourir ». Pour lui, elle deviendrait alors : un « homicide compassionnel », une « mise à mort sur demande », « une exécution consentie », « une mise à mort médicale », « la provocation médicale de la mort des plus fragiles ».
Parce que nous naissons, parce que nous vivons, il nous faut mourir. Pouvoir pleinement décider de la fin de sa vie, surtout quand celle-ci est devenue insupportable, inscrit la société dans l’humanisme le plus complet. Tout ce qui rend les êtres humains davantage maîtres d’eux-mêmes fait avancer une communauté davantage encore vers l’humanisme originel. L’objectif : que les êtres humains, égaux en droit, soient toujours plus créateurs de leur propre histoire. Que préférons-nous ? Une société où des compatriotes s’en vont à l’étranger pour éteindre la lumière ou une société qui encadre la mort, plus précisément la volonté d’un de ses membres de partir sereinement ?
« C’est un acte amour que nous plaidons, pour ceux qui veulent partir et à qui on ne saurait infliger l’agonie », disait Jean-Luc Mélenchon en 2022. De même que les femmes ont été rendues maitresses de leur corps avec la légalisation de l’IVG, les humains ne devraient pas avoir à souffrir, sans pouvoir partir. Encadrés bien sûr. Uniquement pour ceux qui le souhaitent, évidemment. Des conditions strictes pour éviter les abus, naturellement. Que personne ne subisse une quelconque pression que ce soit. Mais si il ou elle le décide, qu’ils soient accompagnés jusqu’à la fin.
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Source: https://linsoumission.fr/2025/05/23/droit-a-mourir-dignite/
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