Le fiasco des ZFE : comment en est-on arrivé là ? (Reporterre-8/04/25)

Le dispositif des zones à faibles émissions a été mis en place pour limiter la présence des véhicules les plus polluants dans les grandes agglomérations. – Frédéric Scheiber / Hans Lucas / AFP

Les députés pourraient adopter un amendement supprimant les zones à faibles émissions. Mal pensé dès son annonce en 2018 et abandonné par l’État, le dispositif fait aujourd’hui la quasi-unanimité contre lui.

Par Lorène LAVOCAT.

Les députés auront-ils la peau des zones à faibles émissions (ZFE) ? Dans le cadre du projet de loi de Simplification, dont les débats en plénière commencent mardi 8 avril, les parlementaires pourraient voter la suppression de ce dispositif, créé pour lutter contre la pollution de l’air. Un « fiasco prévisible », selon le député insoumis de l’Hérault Sylvain Carrière. Mais comment en est-on arrivé là ?

Rembobinons. En 2018, Élisabeth Borne, alors ministre des Transports, présentait fièrement la création des ZFE, une « décision ambitieuse, structurante, irréversible ». Objectif de cette mesure : restreindre la circulation des véhicules les plus polluants dans les villes, alors que chaque année, 40 000 morts seraient attribuables en France aux particules fines émises par nos vieilles voitures. À l’époque, selon la ministre, « 75 % des Français [disaient] être prêts à changer leurs habitudes de mobilité pour contribuer à la qualité de l’air ».

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Une idée plutôt consensuelle, donc, entérinée par la loi d’Orientation des mobilités, en 2019, puis étendue par la loi Climat et Résilience, en 2021. Les textes législatifs imposaient ainsi aux agglomérations de de plus de 150 000 habitants la mise en place de restrictions de circulation, en fonction de la qualité de l’air mesurée [1]. Une avancée écologique et sanitaire.

« On a mis la charrue avant les bœufs »

Pourtant, très vite, des voix se sont fait entendre pour dénoncer les failles du dispositif. Des acteurs du lobby auto, mais pas que… « Chez les insoumis, on avait alerté sur le fait que, sans moyens ni planification, ça allait poser des problèmes, rappelle Sylvain Carrière. On a mis la charrue avant les bœufs en disant aux gens de ne plus prendre leur voiture, sans proposer d’alternatives. »

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De fait, la mise en place des ZFE n’a pas été accompagnée des soutiens suffisants. « Le gouvernement refuse toujours de renforcer massivement son soutien aux transports publics, de limiter au maximum le reste à payer des ménages modestes devant acheter un véhicule moins polluant et de contraindre les constructeurs automobiles à produire de petits véhicules électriques abordables », constatait en 2023 Valentin Desfontaines, responsable mobilité au sein du Réseau Action Climat.

Côté aides, le leasing social et la prime à la conversion ont été rabotés, le plan vélo peu à peu déshabillé. « Toutes nos vies sont organisées autour de la voiture, donc chaque fois qu’on touche à ce sujet sans prévoir la transformation culturelle, ça génère des tensions, remarque le député écologiste d’Indre-et-Loire Charles Fournier. Rien n’a été fait pour accompagner opérationnellement cette mesure. »

Le RN dénonce une « mesure séparatiste »

En conséquence, la grogne est rapidement montée. En 2023, selon l’institut de sondage CSA, « 51 % des Français [étaient] favorables aux ZFE, soit une baisse de 6 points par rapport à 2022 ». Une colère que l’extrême droite a su exploiter. En janvier 2023, le Rassemblement national déposait une proposition de loi visant à supprimer le dispositif, qualifié de « mesure séparatiste ».

« Les ZFE posent en effet des problèmes d’inégalités, mais on aurait pu s’attendre à ce que le débat se centre sur un aménagement du dispositif ou sur un meilleur ciblage vis à vis des plus modestes, remarque le chercheur Alexis Poulhès, de l’École des ponts ParisTech. Or, assez vite, il a été question de tout remettre en question. »

Paris et Lyon sont les deux dernières agglomérations concernées par l’obligation de mettre en place des ZFE. Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0 / Chabe01

Les zones controversées ont « fait l’objet d’une campagne organisée de désinformation qui n’a [eu] pour but que de faire monter les tensions dans l’objectif, pour l’extrême droite et une partie de la droite, de récolter les fruits électoraux de la colère ainsi entretenue », constate une note de Terra Nova sur le sujet. Parmi les messages mensongers relevés par le groupe de réflexion, le chiffre de « plus de 10 millions de concitoyens » concernés, un chiffre très largement surestimé [2].

« Les ZFE Macron, qui font culpabiliser les classes populaires, viennent nourrir un ressentiment anti-écolo »

Poussé par le lobby automobiliste, le RN a également été rejoint dans son combat par le pamphlétaire Alexandre Jardin, auteur d’un essai intitulé Les #Gueux, vilipendant les ZFE. « Il cherche à se faire de l’argent sur les peurs des autres », se désole Tony Renucci, directeur général de l’association Respire.

Autrement dit, l’extrême droite a instrumentalisé à son compte la défaillance sociale des ZFE pour alimenter son discours d’opposition entre « élites » et « peuple ». Un détournement qui désole Alenka Doulain, élue divers gauche à la métropole de Montpellier : « Les ZFE Macron, qui font culpabiliser les classes populaires, viennent nourrir un ressentiment anti-écolo, exploité ensuite par le RN, constate la conseillère d’opposition, qui a porté un moratoire sur la ZFE locale. C’est contre-productif. »

L’État refile la patate chaude aux élus locaux

En 2023, afin d’éviter des « gilets jaunes bis », Christophe Béchu a tenté d’arrondir les angles. Celui qui était alors ministre de la Transition écologique a commandé rapports d’experts, groupes de travail et réflexion au sein d’un comité ministériel dédié. « On a eu des débats très intéressants, mais les annonces finales étaient en total décalage, se rappelle Tony Renucci. Au final, ça n’a servi à rien. »

Face à la fronde, l’exécutif a préféré refiler la patate chaude aux élus locaux. « Le gouvernement a tout remis dans les mains des collectivités, mais sans leur en donner les moyens », note Daphné Chamard-Teirlinck, responsable « transition écologique juste » au Secours catholique. Résultat, selon Sylvain Carrière, « on a des dérogations dans tous les sens, plus personne n’y comprend plus rien. » Plutôt que de rectifier le tir, la séquence a ainsi ajouté à l’embrouillamini.

« Reculer sur les ZFE, c’est un piège qui se refermera sur les plus précaires et les plus vulnérables »

Manque d’anticipation et de moyens, cafouillage dans la com’… À moins d’un an des élections municipales de mars 2026, les ZFE sont devenues un totem à abattre. Au Parlement, les initiatives législatives se sont multipliées. En plus des amendements au projet de loi de Simplification, portés par la droite et l’extrême droite, trois autres propositions de loi sont dans les tuyaux, émanant du Rassemblement national, mais aussi de la droite et de la France insoumise, qui propose de suspendre le dispositif le temps de trouver des solutions de substitution à la voiture.

Les revirements du ministère

Face aux pressions grandissantes, le ministère de la Transition écologique, cherche une porte de sortie. Interrogée mercredi 2 avril par Reporterre, l’équipe com’ d’Agnès Pannier-Runacher défendait la mesure, qui a fait ses preuves à Lyon et Paris, où « la concentration de dioxyde d’azote a été réduite de plus d’un tiers », nous a-t-elle écrit. Le service nous indiquait également la tenue prochaine d’un « Roquelaure de la qualité de l’air », pour « faire des propositions concrètes en vue d’améliorer les dispositifs existants ».

Mais, deux jours plus tard, le même ministère annonçait finalement vouloir recentrer la mesure sur Lyon et Paris, soit les deux seules villes où elle est déjà pleinement effective. L’amendement qui sera présenté par le gouvernement supprimerait ainsi l’obligation d’instaurer des ZFE dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, laissant la main aux élus locaux.

« Reculer sur les ZFE, c’est abandonner des avancées concrètes pour la qualité de l’air et pour l’accès à la mobilité, regrette le Secours catholique dans une note de positionnement, que Reporterre a pu consulter. C’est un piège qui se refermera sur les plus précaires et les plus vulnérables. » Dans tous les cas, l’État ne pourra pas éternellement faire l’autruche : la France est sous le coup de lourdes amendes pour son inaction en matière de lutte contre la pollution.

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Source: https://reporterre.net/Le-fiasco-des-ZFE-comment-en-est-on-arrive-la

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