
Par Nathan BOTHEREAU.
On reconnaîtra au gouvernement de Michel Barnier une capacité certaine à inspirer la répulsion. En septembre 2024, malgré la victoire du Nouveau Front Populaire aux élections législatives, s’installe aux affaires un gouvernement au sein duquel on peut faire quelques regroupements de personnalités par affinités.
Il y a la famille des ultra-réactionnaires sur les droits de chacune et chacun, il y a les affairistes à l’appétit vorace, il y a les racistes forcenés, ceux qui n’aiment pas l’État de droit, et ceux qui ont un problème avec l’homosexualité, et ceux, enfin, qui choisissent de prendre un peu de tout ça pour rester polyvalents. Tous sont tenus en laisse par le Rassemblement national, comme l’a démontré le récent coup de téléphone de Michel Barnier à Marine Le Pen pour s’excuser de son ministre de l’Économie et des Finances pas encore totalement lepénisé. Tour d’horizon du nouveau Gouvernement. Notre article.
Michel Barnier, l’homme qui réinventait les Constitutions
Michel Barnier a fait ce choix de la diversification. L’homme, qui a voté « non » à la dépénalisation de l’homosexualité, était peu connu, mais avait pu détailler ses idées avant l’élection présidentielle de 2022, en particulier sur le chapitre sécuritaire. Ne tirant aucune leçon de l’échec des politiques exclusivement répressives, il prônait la construction de vingt-mille places de prisons, le renforcement des peines planchers, et toutes les vieilles recettes droitières, mais, évidemment, ne s’occupait guère des cadres sociaux-économiques criminogènes. Ce en sachant bien, pourtant, que les pays les plus répressifs ne sont pas ceux où le taux de récidive est le moins élevé, au contraire.
Son fantasme maintes fois formulé, c’était la création d’un grand « ministère de la sécurité publique », ayant une totale autorité sur tous les policiers, gendarmes, personnels pénitentiaires, etc, dans ce qui s’apparenterait à une superstructure policière comme on en a jamais vu en France. Bien sûr, il ne s’agissait pas d’en profiter pour faire un détour afin de penser les problèmes systémiques de violences illégitimes, de moyens, de déontologie et de manque de formation dans la police.
C’est d’autant plus inquiétant que Michel Barnier a une profonde aversion pour la démocratie, plusieurs fois manifestée. Par exemple, en 2001 il siégeait au sein du Présidium de la Convention de l’Union Européenne, l’institution chargée de rédiger le projet de constitution européenne présenté au référendum en 2005, et il disait : « la logique ultime de cette méthode serait qu’une telle Convention s’identifie un jour avec le pouvoir constituant en Europe ». Rappelons que cette organisation était composée de 12 membres non élus… !
Quant au non opposé par les Français à l’adoption du projet constitutionnel européen, il a eu cette phrase fameuse : « cette Constitution tentait de régler des problèmes qui restent posés, et il faudra bien les régler. Si cette Constitution n’existe pas, il faudra la réinventer d’une manière ou d’une autre ». Bref, il ne s’agissait pas de tenir compte du véto populaire, mais de savoir comment le contourner, et la solution fut le traité de Lisbonne.
Ce rejet de la démocratie et cette fascination sécuritaire, pour quels desseins ? Sans surprise, pour une politique tout à la fois violemment xénophobe et attentatoire à l’État de droit, parfaitement synthétisée par un autre barnierisme en 2022 : « ce ne sont, ni les juges ni les passeurs qui doivent décider de notre politique migratoire. C’est le peuple Français ».
Comme si, d’une part, les juges étaient en dehors du peuple et ne procédaient pas de lui, comme si, encore, ils faisaient autre chose que de faire appliquer les lois, et comme si, enfin, en veillant aux droits fondamentaux des personnes immigrées, il y avait de leur part une arrière-pensée politicienne.
Mais qu’attendre d’autre de la part d’un individu qui proposait tout à la fois la fin du regroupement familial et la suppression de l’Aide médicale d’État, qui ne représente que 0,47 % des dépenses de santé, mais sauve chaque année d’inestimables vies humaines ?
Qu’attendre d’autre, finalement, d’un homme qui, le 24 septembre, appelle Marine Le Pen pour l’assurer de sa bonne intégration dans le champ républicain ? Comme le formule bien Sophie Errante, députée ayant quitté Ensemble devant la dérive extrémiste de certains des siens, difficile d’être centriste et de rester dans l’orbite de Michel Barnier en ayant « sa conscience pour soi ».

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Bruno Retailleau, ou la régression ministérielle vers le racisme
Mais si Michel Barnier était un homme inquiétant, entouré de parangons de vertus, encore pourrait-on se tempérer dans la critique. Voyons donc ses subordonnés, en commençant par un homme qui réussit à se trouver à la droite de Barnier sur à peu près tout, l’inénarrable monsieur Retailleau, nouveau ministre de l’Intérieur. Ici, on ne peut pas simplement s’en tenir à parler de xénophobie ou de dureté sur l’immigration, il est bien question d’un ministre tenant des propos parfaitement racistes.
À propos des révoltes urbaines consécutives au meurtre du jeune Nahel, il avait en effet expliqué sa vision des choses comme suit : « certes, ce sont des Français, mais ce sont des Français par leur identité et malheureusement pour la deuxième, la troisième génération, il y a des régressions vers les origines ethniques ».
Cela vaut le coup d’être lu en entier ! On comprend donc que, pour notre nouveau ministre, certains Français ont une prédisposition ethnique à l’émeute, que certains « régressent », dans un discours qui rappelle l’animalisation des populations racisées accusées de régression de l’humanité à la bestialité pendant l’époque coloniale.
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Tout comme Michel Barnier, monsieur Retailleau semble également avoir un problème avec les homosexuels, mais plus récemment manifesté : en 2021 il fut l’un des très rares à voter contre l’interdiction des thérapies de conversion infligées aux homosexuels pour les « guérir » comme cela se fait dans certains pays. Thérapies qui sont en fait ni plus ni moins que de la torture, selon un rapport au Conseil des droits de l’homme produit en 2020 par Victor Madrigal-Borlo.
Et puis monsieur Retailleau porte aussi toutes sortes d’autres mesures d’une droite qui, sans aucun doute, « s’assume », comme, par exemple, l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, la privation des minimums vitaux pour les familles défaillantes éducativement, etc, etc. Décidément, devant la vision du monde du ministre de l’Intérieur, bien des gens auraient envie de rester chez eux et de ne pas se lever le matin !

Kasbarian, Ferraci, Panosyan-Bouvet, un trio engagé dans le partenariat publicprivé
Et ça tombe bien, si vous êtes fonctionnaire, vous pourrez causer de votre domicile avec le nouveau ministre de la fonction publique et ex-ministre du Logement, l’audacieux Guillaume Kasbarian.
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Audacieux, parce que n’hésitant pas à penser « outside the box » ou, en l’occurrence, à faire tenir les gens dedans. En effet, sa dernière action notable avant de quitter son ancien ministère fut de produire un décret autorisant les propriétaires à louer des logements mesurant moins d’1,80 m de hauteur sous plafond, aux sanitaires distants de 30 mètres à vol d’oiseau du logement, ou encore faisant moins de 2 mètres de large !
Le Conseil d’État, encore un peu trop conservateur face à tant d’inventivité, censura le décret. Aujourd’hui ministre de la fonction publique, cet ancien des cabinets de conseil a déjà annoncé sa priorité : « débureaucratiser », ce que certains mauvais esprits pourraient éventuellement traduire en « défonctionnariser »…
Mais allons, au moins, s’agissant des intérêts privés, on peut se féliciter de ce qu’ils soient, eux, bien représentés, par des gens dont le lignage dit la qualité. Marc Ferracci, par exemple, nouveau ministre chargé de l’Industrie, témoin de mariage d’Emmanuel Macron. Il pilotait la réforme de l’assurance chômage à l’Assemblée nationale, en lien constant avec le président de la République.
Suite à celle-ci, certains grands groupes privés voient leurs lucratifs partenariats avec France travail se renforcer. Dont le propre père de Marc, Serge Ferracci, président du groupe Secafi Alpha, qui était, au moment des travaux législatifs, l’un des prestataires majeurs de feu Pôle emploi. Vous avez dit conflit d’intérêt ?
On pourra poser la question à Astrid Panosyan-Bouvet, la nouvelle ministre du Travail. Quand Emmanuel Macron était ministre de l’Économie, en 2014, elle était sa conseillère chargée de l’attractivité économique et des investissements. Dans ce cadre, elle a pleinement accompagné la dérégulation du travail vers l’Uberisation, en lien avec la société éponyme.
C’est quasiment mot pour mot qu’elle a repris les recommandations des lobbystes d’Ubers visant à déroger à la loi Tévenoud, ou qu’elle a fait réduire la durée de formation des chauffeurs de VTC de 250 à 7 heures. C’est aussi elle dont on apprendra, par le Cash Investigation du 17 septembre 2024, qu’elle a organisé la mise en relation entre Macron et le cabinet McKinsey, relation dont on rappellera qu’elle fait désormais l’objet de deux informations judiciaires et d’une enquête préliminaire…
La place manque pour évoquer encore quelques-uns des membres de cette fine équipe comme ils le mériteraient car même si cela semble difficile à croire, ce premier aperçu n’a fait qu’effleurer la surface !
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Source: https://linsoumission.fr/2024/09/27/gouvernement-barnier-affairiste-reac/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/le-gouvernement-barnier-une-bourgeoisie-affairiste-et-ultra-reactionnaire-sempare-des-ministeres-li-fr-27-09-24/