
Entrée en scène du chancelier de fer (blanc ?)
Déjà, alors qu’il n’était pas encore chancelier, M. Merz1 a porté un projet de loi pour desserrer les freins constitutionnels à l’endettement public. Ainsi, les députés allemands ont modifié les règles constitutionnelles d’endettement (car la dette est un sujet constitutionnel en Allemagne depuis 2009) pour les assouplir. Ils ont également approuvé la constitution d’un fonds public d’investissement doté de 500 milliards d’euros (Md€) dont 100 Md€ seront consacrés à la politique climatique. Cette décision a permis d’emporter l’adhésion du parti écologiste (qui ne fait pas partie de la coalition de gouvernement exclusivement CDU/CSU et SPD2) alors qu’ils exprimaient des craintes sur les dérapages financiers liés au projet d’armement (mais pas sur les armes en elles-mêmes dont les effets sur le développement durable interrogent quand même.)
En effet, M. Merz veut consacrer une grande partie des dépenses au budget militaire, « l’Allemagne est de retour » a-t-il proclamé et selon lui, elle « apportera une contribution significative à la défense de la liberté et de la paix en Europe. » En un mot, le capital allemand fidèle à son Histoire. M. Merz a aussi qualifié son plan de « premier grand pas vers une nouvelle communauté européenne de défense » devant inclure « des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne », comme le Royaume-Uni et la Norvège. L’union est un combat et nous pressentons l’émergence d’une rivalité franco-allemande, toute fait d’émulation, pour conduire cette CED nouvelle mouture3, l’une forte de sa force de frappe nucléaire, l’autre de sa puissance industrielle.
Il est à noter que le Président Macron et le Premier ministre britannique ont avancé l’idée d’une mise en commun des armes nucléaires, étrange entente puisque la force de frappe nucléaire britannique est sous contrôle américain contrairement à la française, à ce jour, sous la seule prérogative du chef des Armées, le Président de la République.
C’est la marque des traîneurs de sabre de toutes les époques de faire assaut de rodomontades. Nous ne pensons pas que tout cela impressionne à Washington (qui doit se réjouir des bonnes affaires à venir de son complexe militaro-industriel), ni à Moscou (qui trouve bon prétexte à refuser à baisser les armes contre un ennemi identifié en phase de réarmement intensif), ni Pékin (qui ne s’occupe que de choses importantes).
Enthousiasme du capital allemand, cela repart comme en…
La croissance économique allemande, mesurée par celle du PIB, est en berne : -0,3% en 2023, -0,2% en 2024 et peut-être +1% en 2025. L’économie allemande est entrée dans une phase de faible croissance en 2018/2019 (+1%) juste avant la récession de 2020 (Covid), le rebond de 2021 compensant difficilement la chute de l’année précédente. Cette « panne » a des répercussions sur ses premiers partenaires économiques (France, Italie) qui ne s’en sortent guère mieux.
Cette situation préoccupante du point de vue du capital – contexte peu propice à maintenir un taux de profit et danger de contestation sociale – méritait assurément une action forte des autorités de l’État qui ressortent les recettes keynésiennes4 de base : la dépense publique pour dynamiser l’activité économique.
C’est bien l’idée générale des décisions de mars. Mais en juillet, le gotha du capitalisme allemand se réunit autour du chancelier pour annoncer un plan encore plus fantastique de 630 Md€ dans les 3 ans à venir. « Deustchland ist zuruck » (« l’Allemagne est de retour ») s’esbaudit le chancelier, pour ceux qui n’avaient pas compris qu’elle était partie. Le plan s’intitule « Made for Germany » (dans le texte donc en anglais), ce qui veut bien dire ce que cela veut dire : c’est fait pour l’Allemagne. Mais ce qui est bon pour l’Allemagne ne l’est-il pas pour l’Union européenne ? Nous pouvons le penser à la réaction extatique de la Présidente de la Commission européenne.
Participent à ce grand sursaut national, notamment, Airbus, BASF, BMW, Deutsche Börse, Deutsch Bank, Mercedes-Benz, Rheinmetall (armement), SAP, Volkswagen, Siemens ainsi que les sociétés américaines Nvidia (champion de l’Intelligence artificielle), Blackrock et Blackstone (fonds d’investissement, rappelons que M.Merz est l’ancien président du conseil de surveillance de Blackrock Germany).
« Nous voulons la croissance économique, renforcer la compétitivité de l’Allemagne et défendre ou étendre notre leadership technologique », a déclaré l’un des initiateurs du projet, le PDG de Siemens.
Cependant, il poursuit : « les opportunités ont rarement été aussi grandes ; les investisseurs et les entreprises internationales sont prêts à investir dans notre économie. Ils considèrent l’Allemagne comme un partenaire stable et fiable, surtout en cette période de volatilité. » Donc, l’Allemagne accentue concurrence avec les autres pays européens, dont la France, qui s’ingénient aussi, avec un succès relatif, à attirer des investissements étrangers5. Le gouvernement allemand a déjà une idée : la première mesure du gouvernement consistera à baisser drastiquement l’impôt sur les sociétés, demande réitérée du patronat au gouvernement précédent sans succès.
L’Allemagne conserve un atout par rapport à la France, par exemple, son industrie est encore vaillante mais à la fâcheuse tendance à investir ailleurs tout en réduisant la voilure en Allemagne. Ainsi, Volkswagen a envisagé d’investir aux Etats-Unis dans le cadre de l’initiative de l’administration Biden de débloquer des aides pour les investissements « verts ». En 2022, BASF a annoncé la construction d’un complexe de production en Chine dont le coût s’élève à 10 Md€. L’intention du plan annoncée consiste aussi sans doute à faire revenir ou maintenir au bercail les grandes entreprises allemandes qui posent donc leurs conditions pour consacrer plus de 600 Md€ à de l’investissement en Allemagne.
Le contraste entre l’union sacrée des grands industriels allemands et son gouvernement, dévolu à son service et les agapes versaillaises du Président de la République française autour du projet « Choose France » ( « choisir la France ») est significatif entre un État qui prend des mesures pour stopper sa désindustrialisation relative et un autre qui s’attache à réindustrialiser son économie.
En résumé, le gouvernement allemand se dote d’un fonds de 500 Md€ et le capital promet 630 Md€ d’investissements. Il n’est pas certain qu’il faille ajouter les deux montants mais cela fait quand même beaucoup.
Dans la montée des tensions impérialistes actuelles, le capital allemand prend des mesures propres à renforcer une position forte nationale même s’il est probable que les États-Unis, en particulier le complexe militaro-industriel, en tire profit, tout comme son capital financier. Alors que l’administration Trump use de l’arme des barrières douanières pour protéger son industrie et attirer des investissements étrangers, le gouvernement allemand, sous tutelle des représentants du capital allemand, déploie une politique économique, mêlant les recettes de la politique de l’offre (baisse d’impôt sur les entreprises, « simplifications » administratives, etc.) et de demande (dépenses publiques, en particulier d’infrastructures).
L’autonomie du capital allemand (assez investi en Chine, comme hier en Russie) dans les affrontements impérialistes en œuvre est aujourd’hui très incertaine. La militarisation de la production industrielle nationale donne un indice au moins en termes d’affichage.
Et la France ? Ah, oui bien sûr, le gouvernement veut supprimer deux jours fériés dont le 8 mai et a trouvé quelles dépenses réduire pour économiser 40 Md€ sur le budget de l’Etat. Mais il se réjouit que l’Allemagne suive l’exemple de « Choose France ». Un rien pathétique, non pas que nous déplorons l’affaiblissement du capital à base française mais plutôt que nous nous alarmons des conséquences pour les travailleurs ici ou ailleurs du déchaînement des rivalités impérialistes.
Notes
1-Seules l’extrême gauche et l’extrême droite étaient hostiles au projet voté le 18 mars alors que la nouvelle assemblée issue du dernier scrutin a été mise en place le 25 mars – avec l’intronisation de M. Merz comme chancelier – avec davantage de députés de cette opposition.
2 -CDU/CSU : droite conservatrice, SPD : parti social-démocrate
3- Communauté européenne de défense (CED) : projet repoussé en 1954 par une majorité de députés, essentiellement les communistes et gaullistes.
4 -Keynes (1883-1946) économiste britannique qui a théorisé l’action publique pour assurer un croissance économique optimale avec contrôle du chômage et de l’inflation. Très en vogue jusqu’aux années 70.
5- La France à défaut d’une monnaie qui flotte comme antan, à un gouvernement flottant, ce qui apeure les milieux d’affaires.
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