Le massacre de Penguérec vaut bien une BD contre l’oubli (LT.fr-23/05/24)

Kris (à droite) et Florent Calvez (à gauche) sortent une BD pour raconter l’histoire du massacre de Penguérec. (Vincent Le Guern)

Le scénariste Kris et le dessinateur Florent Calvez ont plongé dans le massacre breton le plus important de la Seconde Guerre mondiale. Commandée par la mairie de Gouesnou (29), cette bande dessinée (*) fait sortir de l’oubli le jour sanglant de Penguérec.

Par Steven LE ROY.

Stéphane Roudaut, maire de Gouesnou, est catégorique. « Réaliser une BD sur le massacre de Penguérec est l’un de nos projets les plus ambitieux ». Penguérec : cet hameau paisible de quelques fermes, situé en bordure de la commune, n’aurait jamais dû entrer en collision avec l’Histoire. Mais, le 7 août 1944, alors que la libération de Brest est en marche, la folie meurtrière nazie d’une armée en déroute va souffler comme un baiser de la mort. Penguérec, petit Oradour breton, un massacre et 43 morts. Penguérec entre de plein fouet avec l’Histoire à contrecœur. Mais le plus surprenant est qu’elle restera longtemps cachée sous le tapis des mémoires. « J’ai habité un an à Gouesnou, à peut-être 300 m de là et je n’en avais jamais entendu parler », avoue, sans complexe, le dessinateur Florent Clavez, en haussant les épaules. C’est à lui et au scénariste Kris que la mairie de la commune a confié le soin d’en tirer une BD, à la suite du financement d’une thèse sur le sujet, écrite par Dimitri Poupon, et soutenue en 2022.

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Le mystère du hameau

Sous le tapis, donc, jusqu’à il y a peu, mais pourquoi ? Kris, habitué de la langue sans bois, met illico les pieds dans le plat. « Penguérec vit dans un bon brouillard de guerre. Il est impossible d’assembler les événements de cette journée qui ne sont pas du tout dans la logique de réaction des Allemands, comme ce fut le cas à Oradour-sur-Glane ou à Tulle ». Plusieurs éléments l’autorisent à cette affirmation. Pour les deux autres horreurs, « les Allemands ont rassemblé et tué sur place, par punition. Ici, le 7 août, les hommes de Gouesnou étaient rassemblés sur la place de l’église, au bourg, après une attaque ratée des alliés sur le clocher. Si exécution, il devait y avoir, c’était à cet endroit précis, pas dans le hameau de Penguérec », note le scénariste. Près des fermes, juste un projecteur, « mais que personne n’a attaqué ». Or, ce jour, c’est exactement là que les Allemands, venant de Lambézellec, s’arrêtent et mitraillent à tout va : « On sait qu’ils s’arrêtent entre deux des trois fermes, freinent et tuent ». Pourquoi ?

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Un peu de fiction à la rescousse

Selon les auteurs de la BD, même le thésard n’a pas pu éclairer les zones d’ombre qui demeurent sur ce 7 août, 80 ans plus tard. « Notre problème, c’est qu’en matière de bande dessinée, on ne peut pas se permettre de poser une case noire avec un point d’interrogation. Il faut une cohérence dans le récit ». Il aura fallu du temps à Kris pour trouver la pirouette et contourner le mystère pour un massacre. « Nous avons décidé d’ajouter des personnages imaginaires pour faire le liant ». Deux contemporains, deux jeunes adultes, « une jeune Allemande qui pose les questions qui fâchent et un jeune Gouesnousien ». Et deux figures du passé, tout aussi romanesques : Wolfy, soldat allemand, et un vélo-taxi brestois que les auteurs ont fictivement pioché dans les neuf vrais inconnus, morts le 7 août 1944 et toujours sans identité. « Pour lui, je me suis un peu rapproché de ce que peut être Bourvil dans « Le mur de l’Atlantique »».

Notre problème, c’est qu’en matière de bande dessinée, on ne peut pas se permettre de poser une case noire avec un point d’interrogation.

Le hors-champ privilégié

Penguérec n’a pas donné du fil à retordre qu’au scénariste. Florent Calvez a, lui aussi, marché sur des œufs pour illustrer le récit. « Ces gens, tous ces morts, ont de la famille et il reste des survivants. Le premier de mes devoirs a été de ne pas les heurter ». Et puis, tout ce sang, tout ce crime, « c’est moche, ce sont des choses que tu ne dois pas montrer. Penguérec et ce livre, c’est avant tout un passage de mémoire. On a beaucoup joué sur le hors-champ, par pudeur, et aussi par doute ».

La mairie de Gouesnou et son maire Stéphane Roudaut, entouré de Kris (à gauche) et Florent Calvez (à droite) a financé le travail de Kris et Calvez.
La mairie de Gouesnou et son maire Stéphane Roudaut, entouré de Kris (à gauche) et Florent Calvez (à droite) a financé le travail de Kris et Calvez. (Vincent Le Guern)

Une mythologie bien lourde

À l’issue de cette aventure, mère de 46 pages publiées en avant-première dans nos colonnes, Kris et Florent Calvez disent avoir une idée sur la vérité de Penguérec. « Mais on ne la donne pas dans le livre, nous n’avons pas mené une enquête. Un discours s’est installé depuis ces 80 ans et tu ne sors pas d’une mythologie comme ça ». Mais, sous les plumes bien mieux que sous la mitraille, les suppliciés du 7 août quittent le dessous de tapis des mémoires, quitte à y laisser, peut-être à jamais, les raisons d’un massacre. Si elles existent.

Pratique

« Mémoires de chair et de douleur, Le massacre de Penguérec, Gouesnou – 7 août 1944 », Kris et Florent Calvez, sortie le mercredi 29 mai. La publication de cette BD débute ce vendredi dans Le Télégramme.

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Source: https://www.letelegramme.fr/culture-loisirs/le-massacre-de-penguerec-vaut-bien-une-bd-contre-loubli-6589134.php

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