Face à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, les boulangeries rurales semblent sont encore plus fragilisées que les autres. Celle de Lieuron (Ille-et-Vilaine) – 800 habitants entre Rennes et Redon – a dû fermer, samedi 8 avril 2023, neuf mois après sa réouverture.
Avant de répondre à la question, Daniel va éteindre le moteur de son Renault Captur qui tourne encore sur le parking. « C’est mieux non ? », interroge-t-il, sans vraiment attendre de réponse. Le sexagénaire est un historique de Lieuron. Petite commune d’un peu moins de 800 habitants, entre Rennes et Redon, passée à la postérité un soir de Nouvel an 2020 pour une rave-party géante. Une publicité dont elle se serait bien passée.
L’actualité ces derniers jours, c’est la fermeture de la boulangerie du village. Pour la dernière fois, samedi 8 avril 2023, Daniel est venu y acheter son pain. Les nouveaux propriétaires auront tenu neuf mois. Les précédents à peine quelques mois de plus.
Qu’inspire ce triste constat à Daniel ? L’ancien éleveur laitier réfléchit en glissant ses baguettes et un carton de pâtisseries dans son coffre, puis se lance : « Ici le problème n’est pas la qualité des produits ou les compétences. Mais les gens ne viennent pas. C’est la vie, nous sommes en 2023 et plus en 1973. La société évolue et la population dans nos petites communes a changé. Avant on travaillait et on vivait dans un périmètre restreint, les commerces étaient une nécessité. Aujourd’hui, les gens viennent s’installer ici car c’est moins cher. Mais ils travaillent souvent à Redon ou à Rennes et ont leurs habitudes là-bas. Sur le chemin du retour du travail, ils récupèrent un drive ou passent au supermarché et ne font plus forcément un crochet par la boulangerie du bourg. »
« Nos charges ont explosé »
Le constat de Daniel n’est pas neuf. Mais depuis un an, il s’est doublé d’une nouvelle problématique pour les commerçants : l’explosion des coûts. C’est ce qui a mis fin à l’aventure familiale des boulangers de Lieuron. Céline Eschmann, la patronne, et son mari Francky, raconte : « On s’est retrouvé dans une situation où nos charges – électricité et matières premières – ont doublé par rapport à notre prévisionnel. La fréquentation n’était pas suffisante pour supporter cette hausse. Des commerces bien plus installés que nous sont aussi ébranlés […] Le prix du panier moyen est peu élevé en boulangerie, il faut donc beaucoup de passage pour être rentable. Nous avions une moyenne de 80 tickets par jour, il aurait fallu le double pour vivre de notre activité. »
Le couple, « qui se voyait poursuivre l’aventure jusqu’à la retraite », n’est pas amer pour autant : « Nous avons une famille, des charges, il ne faut pas être inconscient. Malgré tout, ça aura été une expérience enrichissante. »
En attendant un repreneur, un dépôt de pain et de viennoiseries sera assuré, du mardi au dimanche, par un boulanger de Pipriac, au commerce multi-services de Lieuron.
« Fragilité »
Le cas de Lieuron n’est pas isolé. La situation inquiète l’association des maires ruraux d’Ille-et-Vilaine. Louis Pautrel, son président, raconte : « Depuis six à huit mois, nous constatons une fragilité de nos commerces ruraux. J’y vois trois explications. D’abord, depuis la sortie du covid, l’activité commerciale n’a pas repris comme avant. Ensuite, la hausse très importante des coûts de l’énergie a touché de plein fouet certains commerces. Enfin, le prix des matières premières (beurre, farine…) s’est envolé (+15 % pour les œufs et la farine, jusqu’à +100 % pour la levure). »
Le maire de Le Ferré dresse un constat implacable : « Notre tissu commercial était déjà assez fragile. Quand vient s’y ajouter une hausse des charges, le modèle n’est plus à l’équilibre. »
Alors comment faire pour enrayer le phénomène ? « Je pense très sincèrement que les fournisseurs doivent prendre en compte la situation des commerçants. J’aimerais bien connaître les marges de ceux qui produisent le beurre et la farine. » Louis Pautrel leur a écrit pour demander des réponses. Il n’a « jamais eu de réponse ».
Auteur : Romain LECOMPTE.