Le NFP arrache 12 postes clés à l’Assemblée nationale : comment Emmanuel Macron espère encore gouverner ? (H.fr-21/07/24)

Alors que l’impasse politique apparaît comme évidente, le président, lui, se tait. © Ludovic MARIN / AFP

Malgré l’élection au Perchoir de Yaël Braun-Pivet, le camp présidentiel n’a plus, depuis ce week-end, la majorité au sein du bureau de l’Assemblée nationale. Ni la main sur les postes clés relatifs au budget. Dans ces conditions, Emmanuel Macron peut-il encore espérer gouverner, même en s’appuyant sur une alliance avec LR ?

Par Cyprien CADDEO.

Emmanuel Macron a beau se borner à dire que « personne n’a gagné » aux dernières législatives, il arrive un moment où il lui faut se rendre à l’évidence : c’est surtout lui qui a perdu. En témoignent les nominations de ce week-end à l’Assemblée nationale, qui ont pris le camp présidentiel de court et démontré son éclatante faiblesse en le privant de la plupart des postes stratégiques.

L’Élysée desserre de fait son emprise sur le Parlement, et peut désormais s’interroger : sera-t-il en capacité de passer ne serait-ce qu’une loi budgétaire à la rentrée, sans majorité et au vu du rapport de force dans l’Hémicycle ?

Le chef de l’État se réfugie pour le moment derrière la trêve olympique (les jeux Olympiques de Paris démarrent le 26 juillet) pour garder le silence et, croit-il, la main. Le gouvernement est démissionnaire mais gouverne tout de même. Les institutions flottent, dévoilant leur fragilité et renforçant la défiance des électeurs. Anatomie d’un casse-tête inextricable pour l’Élysée.

Yaël Braun-Pivet a des problèmes de bureau

Une cohabitation peut en cacher une autre. Emmanuel Macron semble, pour le moment, avoir contourné le scénario qui le voyait nommer un premier ministre issu de la force arrivée en tête aux dernières législatives (le Nouveau Front populaire – NFP), profitant des atermoiements de la gauche sur le nom du locataire de Matignon pour maintenir Gabriel Attal dans un étrange intérim. Au bureau de l’Assemblée nationale, en revanche, le camp présidentiel ne pourra y couper : il faudra composer avec un NFP en force.

Au début, tout allait bien. Le 18 juillet, Yaël Braun-Pivet a été réélue à la présidence de la chambre avec 13 voix d’avance sur le candidat de gauche André Chassaigne. De quoi confirmer, aux yeux de l’Élysée, que le centre de gravité du pouvoir réside toujours dans le « bloc central » et que la gauche demeure minoritaire.

Puis, le lendemain, douche froide. La députée des Yvelines est mise en minorité dans son propre bureau. Le 19 juillet, les parlementaires ont voté pour les postes clés de l’Hémicycle dans un scrutin aux cafouillages nombreux (les scrutateurs, macronistes et RN, n’ont pas pu empêcher que 10 bulletins en trop soient glissés dans l’urne, entraînant une première invalidation), à l’issue duquel le Nouveau Front populaire a arraché 12 postes sur 22.

Une démonstration de force du NFP car le bureau a un pouvoir important concernant l’ordre du jour mais aussi les éventuels litiges ou sanctions. « Cela va changer un peu l’ambiance de travail à l’Assemblée », salue la cheffe de file des députés FI, Mathilde Panot, évoquant notamment le cas de la sanction, disproportionnée de l’avis général, prononcée contre Sébastien Delogu après qu’il a brandi un drapeau palestinien au Palais Bourbon.

Comme en 2022, la gauche obtient deux vice-présidences, qui échoient à deux députées insoumises, Clémence Guetté et Nadège Abomangoli, laquelle devient la première femme noire à occuper un tel poste. Mais le NFP obtient aussi 1 questure sur 3 (pour la socialiste Christine Pirès-Beaune) et surtout 9 secrétaires sur 12 (3 écologistes, 2 insoumis, 2 socialistes et 2 pour le groupe GDR).

En 2022, la coalition présidentielle était restée majoritaire au bureau avec 12 postes sur 22. Non seulement la gauche est en force, mais le Rassemblement national (RN) en est cette fois exclu. De quoi susciter la colère de Yaël Braun-Pivet, jugeant anormal le cordon sanitaire contre l’extrême droite.

Éric Coquerel et Charles de Courson, cauchemar à deux têtes pour les macronistes

Plus grave encore aux yeux des macronistes : les deux postes clés relatifs au budget (soit l’un des nerfs de la guerre législative) sont tombés dans l’escarcelle de leurs opposants. À la commission des Finances, l’insoumis Éric Coquerel est parvenu à se faire réélire président, déjouant les plans de la Macronie, alliée à LR, qui voulait en confier les clés à la droite.

Là encore, cet événement encapsule le caractère illisible de l’Assemblée : la « ComFi » est traditionnellement réservée à l’opposition. Mais qui est dans l’opposition quand les macronistes, minoritaires, prétendent gouverner et que la gauche, en majorité très relative, s’écharpe encore sur un nom de premier ministre ? Difficile à dire. « Nous sommes toujours candidats à gouverner le plus tôt possible, a précisé Éric Coquerel après son élection. Je démissionnerai dès qu’un gouvernement NFP se formera. »

Le député FI de Seine-Saint-Denis a pu conserver ce siège stratégique grâce au retrait du centriste Charles de Courson (groupe Liot), lequel est ensuite parvenu à arracher à Renaissance le poste de rapporteur général du budget. Une fonction souvent décrite comme celle de « ministre du Budget bis », occupée jusqu’ici par le macroniste Jean-René Cazeneuve. Le vote s’est soldé par une égalité de 27 voix contre 27, Charles de Courson pouvant compter sur les voix de la gauche et… sur ses 72 ans, la règle voulant qu’en cas d’égalité le plus âgé l’emporte.

« Il a bafoué l’esprit de nos institutions. Il faut un rapporteur général qui puisse travailler avec l’exécutif. Il va y avoir un dialogue appauvri avec Bercy ! » a tempêté Jean-René Cazeneuve. « Il y a désormais deux insoumis qui dirigent la commission des Finances », ose carrément le député Renaissance Mathieu Lefèvre. La Macronie sent que les choses lui échappent et le vit mal.

Le budget, premier crash-test

La nomination de deux figures de l’opposition aux postes budgétaires renvoie le camp présidentiel à la plus épineuse des questions : sera-t-il en position de passer un projet de loi de Finances à la rentrée ? Le texte, qui suppose avant cela qu’un gouvernement (par hypothèse fruit d’une alliance avec la droite) soit nommé, fera office d’épreuve du feu.

En minorité quoi qu’il arrive, le nouvel exécutif sera tenté d’opter pour un 49.3 et s’exposera immédiatement à une motion de censure. « Un gouvernement minoritaire ne survit à la censure que si un groupe d’opposition s’abstient de la voter, rappelle le constitutionnaliste Benjamin Morel. Entre 2022 et 2024, cela a marché car la majorité des députés LR ne l’ont pas votée. »

Or, désormais, les seules voix de LR ne suffisent plus aux macronistes : si le NFP et le RN votent ensemble la censure, cela représente plus de 330 voix (la majorité est à 289). De plus, un accord de gouvernement avec la droite est loin d’être acquis : LR s’y refuse pour l’instant, bien que les arrangements de couloir, au Palais Bourbon pour faire barrage à la gauche en commission ont montré que la situation peut vite évoluer. Mais, même dans le cas d’un pacte de gouvernance, Emmanuel Macron pourrait voir cet attelage se casser les dents sur le premier texte de la législature.

Silence radio au palais

Alors que l’impasse politique apparaît comme évidente, le président, lui, se tait. Et s’efforce d’euphémiser l’incroyable chaos qu’il a provoqué, tout seul comme un grand, en faisant ce pari fou de dissoudre le Parlement, le 9 juin. Selon France Info, Emmanuel Macron organisait, ces derniers jours, des déjeuners à l’Élysée avec des députés Renaissance, histoire de renouer avec ses troupes qui lui reprochent encore une dissolution surprise qui aura eu pour principal effet d’affaiblir le groupe (de 170 à 102 députés). Du micro-management alors que le pays est dans le brouillard.

Le gouvernement, dont la démission a été acceptée le 16 juillet, gouverne toujours, au nom de la gestion des affaires courantes. Incompréhensible pour la majorité des Français qui ont voté pour battre Emmanuel Macron. Ce « gouvernement de Schrödinger » (à la fois en place et démis) pourrait se poursuivre jusqu’à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques, en septembre.

Quant à l’Assemblée nationale, elle ne devrait pas siéger avant la reprise de la session ordinaire, le 1er octobre. Le président de la République a encore le dernier mot s’agissant de la convocation des sessions extraordinaires et il semble dans son intérêt de jouer encore la montre.

Avec le secret espoir que la gauche s’enlise et que les socialistes rompent avec leurs alliés, espérant embarquer ainsi LR et PS dans une Macronie 2.0 ? Scénario certes improbable. Au probable, toutefois, Emmanuel Macron ne s’estime plus tenu.

°°°

Source: https://www.humanite.fr/politique/assemblee-nationale/le-nfp-arrache-12-postes-cles-a-lassemblee-nationale-comment-emmanuel-macron-espere-encore-gouverner

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/le-nfp-arrache-12-postes-cles-a-lassemblee-nationale-comment-emmanuel-macron-espere-encore-gouverner-h-fr-21-07-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *