“Le plus pacifique des hommes” : Umm Al-Khair, un village en deuil après un meurtre perpétré par un colon israélien. (SOFS – 31/07/25)

Awdah Hathaleen fête son 27e anniversaire avec des amis à Um Al-Khair, en Cisjordanie. (© Emily Glick)

“Parfois, nous nous demandons pourquoi les Israéliens nous considèrent comme des terroristes et des ennemis. Pourquoi le monde n’agit-il pas pour rendre justice aux Palestiniens ?”.

👁‍🗨 “Le plus pacifique des hommes” : Umm Al-Khair, un village en deuil après un meurtre perpétré par un colon israélien

Par Basel AdraYuval Abraham et Oren Ziv, le 29 juillet 2025

Contrairement au récit du colon, les témoignages oculaires et l’analyse des images vidéo montrent qu’Awdah Hathaleen a été abattu de sang-froid.


Hier soir, un colon israélien a abattu le Palestinien Awdah Hathaleen dans sa communauté d’Umm Al-Khair, dans le sud de la Cisjordanie occupée. Connu de nombreux militants internationaux de solidarité et diplomates étrangers pour sa résistance non violente inébranlable au nettoyage ethnique des communautés palestiniennes de Masafer Yatta par Israël, cet homme de 31 ans a été grièvement blessé par une balle qui lui a perforé le poumon et est mort avant d’arriver à l’hôpital.

Le meurtrier présumé de Hathaleen, Yinon Levi, est également bien connu des Palestiniens et des militants de solidarité dans la région. Fondateur de la colonie de Meitarim Farm et propriétaire d’une entreprise de terrassement régulièrement engagée par les autorités israéliennes pour démolir des propriétés palestiniennes,

Levi a été accusé d’avoir mené des attaques violentes contre des communautés palestiniennes pour les chasser de leurs terres, notamment à Khirbet Zanuta, l’un des nombreux villages dont les habitants ont été expulsés par des colons au cours des premières semaines de la guerre d’Israël à Gaza.

Il a été frappé de sanctions par l’UE, le Royaume-Uni, la France et le Canada ; l’administration Biden l’a également sanctionné l’année dernière, mais le président américain Donald Trump a levé toutes les sanctions contre les colons israéliens peu après son retour au pouvoir.

Levi a affirmé avoir ouvert le feu à Umm Al-Khair parce qu’il aurait été agressé par “des dizaines d’émeutiers” qui lui jetaient des pierres, et Honenu, une organisation d’extrême droite qui lui fournit une assistance juridique, a qualifié l’incident de tentative de “lynchage”. Un porte-parole de la colonie de Carmel, pour le compte de laquelle Levi effectuait probablement des travaux d’excavation, a déclaré que

“cela aurait pu se terminer par le meurtre d’un Juif s’il ne s’était pas défendu”.

Cependant, un examen par +972 et Local Call d’une vingtaine de vidéos de l’incident montre clairement que ce sont les colons qui ont attaqué les résidents palestiniens, et non l’inverse.

Les métadonnées des images vidéo montrent que les coups de feu ont été tirés à 17 h 29. Quatre minutes plus tôt, Levi a pénétré sur un terrain palestinien privé à Umm Al-Khair, accompagné d’un conducteur d’excavatrice. Le conducteur a arraché des oliviers, détruit la clôture du village ainsi que la conduite d’eau principale, et tenté de renverser le cousin de Hathaleen, Ahmad, qu’il a frappé à la tête avec le bras de l’excavatrice, laissant l’homme inconscient. Ce n’est qu’alors que plusieurs autres habitants ont commencé à jeter des pierres sur la pelleteuse.

Ahmad Hathaleen, cousin d’Awdah Hathaleen, montrant l’impact après avoir été heurté par un bulldozer israélien, à Umm Al-Khair, en Cisjordanie, le 29 juillet 2025. (© Oren Ziv)

“La pelleteuse n’a pas roulé sur la route goudronnée, elle est entrée sur le terrain privé de notre famille que nous avions clôturé et planté d’oliviers”, a déclaré Alaa, le cousin de Hathaleen, à +972 et Local Call“Nous avons tenté pacifiquement de leur dire d’arrêter, mais ils ne nous ont pas écoutés. Certains habitants ont tenté de se placer devant la pelleteuse pour la bloquer, mais celle-ci a défoncé la clôture et a utilisé le bras de la machine pour frapper Ahmad. Les gens ont jeté des pierres pour se défendre”.

D’après les images, les pierres lancées par les habitants palestiniens n’ont pas atteint Levi, qui se trouvait à plusieurs mètres de la pelleteuse. Peu après, Levi a couru vers les habitants, frappé un Palestinien à la tête avec la crosse de son pistolet alors que celui-ci filmait la scène, puis a tiré deux coups de feu en direction des maisons du village.

Six témoins oculaires ont confirmé à +972 et Local Call que Levi est bien le tireur. À part lui et le conducteur de la pelleteuse, qui n’a pas tiré, aucun autre colon n’était présent.

L’analyse des vidéos, qui sont filmées sous trois angles différents, et l’examen des lieux, effectué plus tôt dans la journée, indiquent que le premier tir de Levi a touché Hathaleen, qui se trouvait à 35 mètres de là, sur le terrain de basket du centre communautaire du village, alors qu’il tentait de filmer la scène. Son deuxième tir visait un groupe comptant au moins quatre jeunes enfants, mais n’a touché personne.

https://x.com/yuval_abraham/status/1949865010437505343

“Les trois quarts du groupe visé étaient des enfants”, a déclaré à +972 et Local Call Connor Reese, un volontaire international qui vit actuellement dans la région et a été témoin de l’attaque. “Il tirait droit vers le terrain de jeux”.

Tynan Kavanaugh, un autre volontaire international et étudiant en médecine à l’université de Limerick, s’est précipité là où Hathaleen a été touché et a tenté de lui porter les premiers soins.

“J’ai vu qu’il avait été touché directement à la poitrine”, raconte-t-il. “Il n’avait plus de pouls, j’ai donc commencé la réanimation cardio-pulmonaire”.

“Nous avons transporté Awdah à l’entrée de la colonie et avons supplié [les colons] de l’évacuer en ambulance”,

a expliqué Alaa. Une ambulance est arrivée et Hathaleen a été transporté au centre médical Soroka, dans la ville de Be’er Sheva, dans le sud d’Israël, où il a été déclaré mort à l’arrivée.

Après l’incident, selon quatre témoins oculaires et des images vidéo de la scène, Levi est resté dans la zone lorsque les soldats israéliens sont arrivés et leur a indiqué quels Palestiniens il voulait qu’ils arrêtent. Selon Haaretz, un militant israélo-américain présent sur les lieux a déclaré que “Levi lui a dit être ‘heureux’ d’avoir tué [Hathaleen]’.” Les soldats ont arrêté cinq habitants d’Umm Al-Khair, dont quatre sont toujours en détention israélienne au moment de la publication de cet article.

Le colon israélien Yinon Levi à une réunion de la commission économique à la Knesset, après avoir été sanctionné par le gouvernement américain, à Jérusalem, le 14 février 2024. (© Yonatan Sindel/Flash90)

Levi a également été arrêté et traduit devant un juge aujourd’hui à Jérusalem, non pas pour meurtre, mais pour homicide involontaire. Au tribunal, son avocat a fait valoir que rien ne prouve que les coups de feu qu’il avait tirés avaient atteint Hathaleen, et que ce dernier se tenait trop loin (il a affirmé, à tort, que la distance était supérieure à 50 mètres) pour avoir été touché par une balle provenant de l’arme de Levi. Le juge a décidé de libérer Levi et de le placer en résidence surveillée dans l’attente de la suite de la procédure.

“Nous devrions tous pleurer un homme comme Awdah”

Collaborateur au magazine +972 depuis 2021, il a notamment fourni des images utilisées dans le documentaire oscarisé No Other Land. Les trois auteurs de cet article, dont deux ont co-réalisé le film, le connaissaient personnellement. Basel, lui aussi originaire de Masafer Yatta, le considérait comme un frère et a du mal à réaliser qu’il soit mort.

Militant, Hathaleen était également professeur d’anglais et père de trois jeunes enfants. Au début de l’année, il a été invité à prendre la parole dans plusieurs synagogues et autres organisations juives aux États-Unis, mais son visa a été révoqué à son arrivée.

“Il y a tant à dire sur Awdah”, a déclaré aujourd’hui Alaa, le cousin d’Hathaleen, aux journalistes à Umm al-Khair. “Il avait un cœur gros comme ça, la personne la plus gentille et la plus généreuse que vous puissiez rencontrer dans votre vie. C’est quelqu’un qui a beaucoup œuvré pour sa communauté, plus que quiconque. Chaque jour, il se battait pour nos droits. Il a payé son engagement de son sang, et maintenant de sa vie”.

Alaa Hathaleen pleure son cousin Awdah Hathaleen, un jour après qu’il a été abattu par un colon israélien, à Umm Al-Khair, en Cisjordanie, le 29 juillet 2025. (© Oren Ziv)

Sa phrase la plus fameuse était : “Je veux vivre en paix. Je veux élever mes enfants en paix. Je ne veux pas qu’ils connaissent l’occupation. Je ne veux pas qu’ils souffrent comme moi. Nous voulons simplement vivre dans la dignité, la liberté et le respect de nos droits, sans souffrir. Quand ce calvaire cessera-t-il ?”

En 2022, l’oncle de Hathaleen, Haj Suleiman, a été délibérément écrasé à mort par une dépanneuse de la police israélienne entrée dans Umm Al-Khair pour confisquer des voitures non immatriculées. Figure emblématique de la résistance non violente dans la région depuis plusieurs décennies, il a été célébré non seulement par tout le village, mais aussi par des milliers de personnes venues de toute la Cisjordanie pour assister à ses funérailles.

“Nous vivons un danger de mort constant”, a écrit Hathaleen alors que son oncle luttait encore pour sa vie après avoir été renversé par la dépanneuse. “À tout moment, dans nos activités quotidiennes, nous pouvons perdre un proche ou être paralysés à vie”.

Après la mort de Haj Suleiman, survenue quelques mois plus tard des suites de ses blessures, Hathaleen a participé à la réalisation d’une fresque en son honneur, qui orne désormais la façade du centre communautaire du village.

En début de journée, les habitants ont dressé une tente de deuil devant le centre communautaire pour rendre hommage à Hathaleen. La mare de sang répandue sur le sol après l’assassinat de Hathaleen était entourée de pierres et cachée derrière des chaises, mais certains de ses proches étaient assis face à elle, les yeux remplis de larmes.

L’après-midi, l’armée israélienne est venue ordonner aux habitants de démonter la tente, menaçant de la démonter de force. Comme tous les villages palestiniens de cette partie de la Cisjordanie, Israël refuse les permis de construire à Umm Al-Khair et démolit systématiquement toute nouvelle construction.

Un soldat israélien durant l’opération contre la tente funéraire d’Awdah Hathaleen, à Umm Al-Khair, en Cisjordanie, le 29 juillet 2025. (© Oren Ziv)

L’armée semble désormais avoir décidé que cette interdiction totale de construire concerne même une pierre tombale. Les soldats ont déclaré aujourd’hui à la famille de Hathaleen qu’ils ne leur restitueraient pas le corps tant qu’ils persisteraient à vouloir l’enterrer dans le village. Peu après, les soldats ont lancé des grenades assourdissantes pour chasser amis et militants venus présenter leurs condoléances à Umm Al-Khair.

Le cousin de Hathaleen, Eid, qui s’était rendu aux États-Unis avec lui au début de l’année avant que leurs visas ne soient révoqués, le décrit comme un ardent défenseur de la résistance non violente et un excellent footballeur.

“Je suis si triste d’avoir perdu mon ami, celui qui a grandi avec moi”, a-t-il déclaré. “J’ai 42 ans, il en avait 31. Je le connaissais depuis notre enfance. C’était un militant des droits humains, quelqu’un qui aimait tout le monde”.

L’année dernière, après une vague particulièrement brutale de destructions israéliennes à Umm al-Kheir, Hathaleen s’est interrogé sur l’impact multigénérationnel du traumatisme causé par l’occupation.

“Au cœur de toute cette injustice, nous nous sentons souvent oubliés, perdus ou désespérés”, avait-il écrit. “Parfois, nous nous demandons pourquoi les Israéliens nous considèrent comme des terroristes et des ennemis. Pourquoi le monde n’agit-il pas pour rendre justice aux Palestiniens ?

“Mais la plupart du temps, nous sommes épuisés. Les attaques, les raids, les démolitions : nous y pensons tout le temps. Je dis toujours que j’aurais aimé que le destin nous épargne cela. Mais maintenant, nous sommes piégés ici, nous ne pouvons pas partir.”

“Ils ont abattu Awdah, l’homme de la résistance pacifique”, déplore Alaa aujourd’hui. “Un enseignant, un père, un cousin, un mari. Trois fils privés de père. C’est ce que nous vivons jour après jour”.

“Pour Awdah, les hommes devraient pleurer avec les femmes”, a-t-il poursuivi. “Nous devrions tous pleurer pour une personne comme Awdah. Nous avons perdu Awdah. La personne la plus humaine qui soit. La plus pacifique. Plus pacifique que vous ne pouvez l’imaginer. Que Dieu lui accorde sa grâce”.


Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.

* Basel Adraa est un activiste, journaliste et photographe originaire du village d’a-Tuwani, dans les collines du sud d’Hébron.

* Yuval Abraham est journaliste et cinéaste basé à Jérusalem.

Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif photographique Activestills.

Source originale :

https://www.972mag.com/awdah-hathaleen-slain-israeli-settler

Source en français : https://ssofidelis.substack.com/p/le-plus-pacifique-des-hommes-umm

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/le-plus-pacifique-des-hommes-umm-al-khair-un-village-en-deuil-apres-un-meurtre-perpetre-par-un-colon-israelien-sofs-31-07-25/

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