
Par Marin PAULAY.
Le métier de paludier, vieux de plus de 2000 ans, se voit de plus en plus menacé par les conséquences du réchauffement climatique, qui dresse la profession face à de nouveaux défis. Traumatisés par la tempête Xynthia de 2010, les paludiers de la Presqu’île (Loire-Atlantique) redoutent la prochaine catastrophe.
Les marais salants, site unique, dont la particularité demeure dans le fait que son activité humaine favorise la biodiversité, doivent faire face à une prolifération des défis environnementaux menaçant son existence. Charlotte Le Feuvre, paludière et présidente de la coopérative des Salines résume : « Le réchauffement climatique nous impacte forcément. Nous, dans l’absolu, plus il faut beau, plus il fait chaud, moins il y a d’eau, plus on fait de sel. » Car si en apparence, la hausse des températures peut favoriser l’activité économique du marais, d’autres aspects environnementaux sont à prendre en compte, et inquiètent les professionnels du secteur.
Les phénomènes météorologiques violents : inquiétude maximale
La tempête Xynthia, survenue en février 2010, est encore dans toutes les têtes. Véritable traumatisme pour l’ensemble des paludiers et les riverains, les conséquences ont mis en lumière les défis à venir pour les marais salants, et la crainte demeure davantage dans la multiplication de ce type d’évènements.
« On s’est rendu compte que les digues étaient construites pour résister à la pression de l’extérieur, mais une fois qu’il y a trop d’eau, elle ne résiste plus à la pression de l’eau à l’intérieur des marais, et avec de tels volumes comme Xynthia ça a créé quarante-trois brèches dans la digue. Je l’ai vu, et je n’espère sincèrement pas le revoir », se rappelle Charlotte Le Feuvre.
Et depuis cet évènement, force est de constater que peu de projets ont été mis en place pour renforcer la digue en attendant le prochain phénomène. Yann Henry, 52 ans, paludier et président de l’ASA (Association syndicale autorisée) du bassin des marais salants de Guérande depuis 2018, est responsable de la digue, de ses aménagements et de son entretien. Chaque année, il hérite d’un budget de 250 000 € (100 000 € de subventions historiques de la part de Cap Atlantique, 70 000 € de cotisation des quelque 400 paludiers travaillant sur le marais, et 80 000 € de la part de la région et du département).
Et selon lui, l’inquiétude se fait grandement ressentir face à la crainte d’un nouveau phénomène exceptionnel : « Dans les faits, on est treize ans après Xynthia, et on a toujours 250 000 € par an pour refaire le linéaire de la digue de vingt-sept kilomètres. Tous les ans, nous refaisons environ 600 mètres, avec des travaux de maçonnerie, mais il faudrait faire beaucoup plus. On sait, par expérience, que si demain ça pète, ça va coûter extrêmement cher. » Lors de la tempête Xynthia, plus de deux millions d’euros d’aides avaient été débloqués pour venir en aide aux marais salants.
« La chose la plus inquiétante : la hausse du niveau de la mer »
Selon les prévisions du rapport du GIEC Pays de la Loire, publié en 2022, le niveau de la mer devrait augmenter de trente à soixante-dix centimètres d’ici à 2050. Et cette prévision ne laisse personne indifférent : « Ce qui est de loin la chose la plus inquiétante, c’est la hausse du niveau de la mer », explique Charlotte Le Feuvre.
Et pour y faire face, pas la peine de rehausser le niveau de la digue, étant donné sa construction particulière et le rôle qu’elle occupe selon la paludière : « On pourrait très bien imaginer une muraille de Chine, mais c’est plus compliqué, car si on augmente la hauteur de mur, ça craquera sous les cordons dunaires et menacerait les habitations. » Car en plus d’un rôle de protection des marais salants face à la mer, la digue est de catégorie C, c’est-à-dire qu’elle protège également les biens et les habitations. À Charlotte Le Feuvre de reprendre : « On l’a vu pendant Xynthia, ce sont les marais salants qui ont empêché l’eau d’arriver jusque dans les habitations. »
Aujourd’hui, de nombreux défis attendant ainsi la digue, notamment dans son renforcement intérieur, « en identifiant les points faibles et les zones à risques, avec une grosse priorité sur Batz-sur-Mer », selon Yann Henry, et permettre la submersion sans création de brèches. Mais le réchauffement climatique peut aussi avoir des conséquences favorisant l’activité économique, cependant avec des effets limités.
Les fortes chaleurs : faux ami ?
« Une saison comme l’année dernière, c’était exceptionnel. C’était ma meilleure saison. Elle a même dépassé 1989 qui était notre dernier record. » explique Charlotte Le Feuvre. Et pour cause, l’été dernier, les paludiers ont travaillé en moyenne jusqu’à 50 jours consécutivement, souvent sous de très fortes chaleurs, ce qui n’est bien sûr pas sans conséquence pour l’organisme. « C’est plus agréable de ramasser du sel quand il fait 25 degrés plutôt que 35 degrés, mais on ne se plaint pas quand on voit certains cours d’eaux complètement asséchés dans le Sud Ouest par exemple », développe Charlotte Le Feuvre.
Environnement, climat… Partagez vos bonnes idées pour la planète
Et enfin, récoltes importantes n’est pas toujours synonyme de ventes importantes. Ainsi, la plupart des paludiers réalisent des stocks excédentaires, amenant de nouvelles problématiques. Pour Yann Henry, « on arrive à faire plus de sel qu’on est capable d’en vendre. On a fait que des grosses saisons. La politique de stock permet de compenser s’il y a des mauvaises saisons, mais on n’en a pas fait depuis longtemps » .
La profession s’expose ainsi à une problématique quasiment inédite, couplée à des ventes en baisse. « Avec l’évolution des conditions environnementales et économiques, on est juste en train de chercher des solutions à des problèmes que l’on ne connaît pas », conclut Yann Henry.
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