« Le référendum d’initiative partagée a été conçu pour ne jamais être utilisé », l’analyse de Benjamin Morel (JDD-30/04/23)

Benjamin MOREL

Dans la Tribune publiée le 30 avril 2023 par le JDD ,Benjamin Morel , Professeur en droit public, prévoit que le Conseil constitutionnel ne validera pas la demande d’un second référendum d’initiative partagée sur la réforme des retraites. Il réfute par ailleurs l’idée d’une décision politique de la part des Sages, il explique que le RIP n’aurait jamais eu vocation à être utilisé.

Voici le texte de la Tribune publiée le 30 avril par le JDD.

« Au risque de jouer les Cassandre, les chances que le second référendum d’initiative partagée sur les retraites soit validé par le Conseil constitutionnel le 3 mai sont faibles. Certains fustigeront l’étroitesse d’esprit, voire la politisation des sages de la Rue de Montpensier. Ils auront sans doute tort. Une décision n’est, certes, jamais donnée d’avance, mais il faut constater que le rejet du texte serait en parfaite cohérence avec la jurisprudence. On ne peut d’un côté dénoncer la politisation d’une institution et, de l’autre, lui demander de se contredire pour des raisons d’opportunité. C’est bien plus vers le gouvernement et les parlementaires qui ont introduit le RIP dans la Constitution en 2008 que la colère devrait se tourner. Le RIP a en effet été pensé, créé, élaboré pour ne jamais être utilisé.

 « La modalité la plus simple et répandue de référendum citoyen à l’étranger est justement le référendum veto. « 

Benjamin Morel

L’origine d’un RIP est d’abord parlementaire. Il faut en effet qu’il soit proposé par un cinquième des parlementaires, ce qui en fait un mauvais ersatz de référendum d’initiative citoyenne. Il doit ensuite ne pas porter atteinte à une disposition d’un projet de loi voté depuis moins d’un an. Cette idée est idiote et a simplement pour objet d’éviter de voir les parlementaires contredits par les électeurs.

La modalité la plus simple et répandue de référendum citoyen à l’étranger est justement le référendum veto. Ce dernier est le plus sûr juridiquement, car il évite les textes légistiquement défaillants proposés par des collectifs de citoyens. Surtout, comme il ne laisse pas le temps à une loi de produire ses effets, il évite l’insécurité juridique d’un aller-retour normatif. Qui plus est, le référendum veto est tricolore ! Son ancêtre a pour la première fois été introduit dans les Constitutions girondine et montagnarde.

Que dire ensuite des 10 % du corps électoral, 4,9 millions d’électeurs, nécessaires pour valider un RIP, quand il en faut 500 000 en Italie ? Enfin, même si toutes ces conditions irréalistes sont remplies, le Parlement peut, simplement en examinant le texte, de sa propre initiative ou à la demande du gouvernement, mettre fin à la marche vers le référendum.

« On pourrait ainsi obliger l’administration à se mobiliser pour organiser elle-même une vraie campagne de collecte de signatures ou, a minima, à en prévoir le financement. « 

Benjamin Morel

Le problème n’est donc pas le Conseil, mais la procédure elle-même. L’exécutif va sans doute saisir la balle au bond et proposer une refonte du RIP au sein d’une grande réforme de la ­Constitution. Ses chances d’aboutir sous ce quinquennat, au regard de la composition des chambres, sont à peu près égales à celles de former une vaste coalition cohérente et soudée allant de la Nupes à LR. On appelle donc cela une diversion. Toutefois, l’opposition pourrait décider de dénoncer cette procédure et même de la modifier. En effet, si le RIP a été introduit dans la ­Constitution, ses modalités relèvent d’une loi organique. Les parlementaires de l’époque croyaient d’ailleurs tellement en leur œuvre qu’ils mirent cinq ans à la voter

En la modifiant, il serait possible de desserrer, à la marge, l’étau qui enserre le RIP. On pourrait ainsi obliger l’administration à se mobiliser pour organiser elle-même une vraie campagne de collecte de signatures ou, a minima, à en prévoir le financement. L’obligation de récolte électronique de soutiens, qui a posé tant de problèmes sur ADP, pourrait être levée. Surtout, les délais pourraient être modifiés. Ils sont de neuf mois pour réunir les signatures. Pourquoi ne pas porter ce délai à dix-huit mois ? Le Parlement a six mois pour examiner le texte et court-circuiter le référendum. Pourquoi pas six semaines, six jours ? Cela neutraliserait en partie ce veto absurde.

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Quant au Président, en bout de course, il doit soumettre le texte à référendum. Mais étrangement, cette fois, la loi organique ne lui prescrit aucun délai. Laissons-lui deux mois. Certes, tout cela ne sauvera pas le RIP. Au mieux cela le rendra moins improbable, au pire cela ouvrira un débat. Et comme on parle d’une loi organique pouvant être soumise à référendum, pourquoi ne pas tenter un RIP sur le sujet ? Un RIP sur le RIP : comme un enterrement ou une refondation. »

Source: https://www.lejdd.fr/politique/le-referendum-dinitiative-partagee-ete-concu-pour-ne-jamais-etre-utilise-lanalyse-de-benjamin-morel-135250

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