
À la mobilisation des antibassines, Gérald Darmanin poursuit la criminalisation des écologistes comme si les récentes élections n’avaient pas eu lieu. Depuis son ministère tout-puissant, il multiplie les mensonges.
Jusqu’au bout, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin aura mené campagne contre les écologistes. Ces derniers jours, il multiplie les déplacements et les interventions dans les médias pour fustiger la mobilisation des antibassines dans le Poitou, du 16 au 21 juillet. Bien loin de son devoir de réserve de ministre démissionnaire et de la retenue nécessaire, alors que le président a accepté le 16 juillet la démission du gouvernement Attal.
Il s’est rendu à Niort (Deux-Sèvres) le 15 juillet pour caler lui-même le dispositif de sécurité prévu au Village de l’eau — des conférences sont organisées à Melle et deux manifestations à Saint-Sauvant et La Rochelle les 19 et 20 juillet. L’occasion de fredonner son refrain préféré sur les « écoterroristes ».
« Nous attendons entre 6 000 et 8 000 manifestants dont un millier extrêmement violents que l’on pourrait qualifier de radicalisés », a-t-il affirmé. Sur Franceinfo, il a répété les mêmes éléments de langage que ceux qu’il avait prononcés en amont de la manifestation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) l’année dernière, et dit redouter « des actes d’une très grande violence ». « Pendant ces 3-4 jours dans cette partie du territoire, il y aura malheureusement sans doute des violences », a-t-il à nouveau prédit.
« Darmanin a saccagé tout notre travail »
La mobilisation du ministre semble totale, l’arsenal déployé colossal : 3 000 gendarmes et policiers, 21 unités de forces mobiles, 5 hélicoptères et une dizaine de drones. Les deux manifestations du 19 et 20 juillet ont été interdites par les préfectures de la Vienne et des Deux-Sèvres. « Plus d’une centaine de militants d’ultragauche », venant de pays européens limitrophes, se sont vus prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire a par ailleurs indiqué Gérald Darmanin.
Sur place, le Village de l’eau a été placé sous haute surveillance. Aux alentours du rassemblement, les contrôles d’identité sont systématiques. Le bouclage policier a fortement handicapé l’installation du camp. Tous les véhicules sont fouillés, les piétons et les cyclistes aussi. Malgré sa carte de presse, notre journaliste présente sur place a failli se voir confisquer ses chaînes pour ses pneus en cas de neige. Son sac a été fouillé, même son étui à lunettes.
Les campeurs se voient retirer leurs sardines pour leur tente tandis que les extincteurs ont tous été confisqués. Des bonbonnes de gaz pour la cuisine, des sèche-cheveux, des limes à ongles, des pinceaux, de la rubalise, les cannes de personnes âgées, de la farine et des pieds de barnum ont aussi été saisis selon les organisateurs interrogés par Reporterre. Les nuits, les hélicoptères ne cessent de survoler les lieux. Les convois de vélos partis de toute la France, de Belgique, d’Allemagne et d’Italie ont également été bloqués à plusieurs reprises et sont suivis par des motards.
« Darmanin a saccagé tout notre travail », a déploré sur RMC le maire de Melle Sylvain Griffault, le 17 juillet. L’édile de la commune qui accueille l’événement a dénoncé la surenchère sécuritaire qui vise, selon lui, à décourager les opposants à se rendre à la mobilisation. « Cela nuit à la quiétude locale, les habitants de Melle se font contrôler trois fois par jour. L’événement du Village de l’eau est un moment de réflexion et de festivité qui a été déclaré », rappelle-t-il. Aucune manifestation n’est prévue directement sur place. « La présence policière excessive nous a empêchés d’acheminer du matériel pour la sécurisation du site, c’est inconséquent », ajoute-t-il.

Flagrant délit de mensonge
Gérald Darmanin a aussi profité de son exposition médiatique pour proférer plusieurs contrevérités sur les mégabassines. Sur Franceinfo, il a déclaré que « le droit a toujours donné raison aux agriculteurs » et que « les manifestations des opposants venaient contester des décisions de droit de tous les tribunaux ». « Notre objectif est de faire respecter ces décisions de justice », a-t-il continué sans vergogne.
À la journaliste qui lui rappelle les nombreuses victoires juridiques des antibassines, le ministre de l’Intérieur persiste dans le déni. « Non madame, l’intégralité des décisions de justice ont été favorable aux agriculteurs. » Dans un communiqué, Les Soulèvements de la Terre ont dénoncé ces « procédés grossiers » et « fallacieux » : d’abord, les opposants aux bassines ne sont pas contre les agriculteurs, mais contre une minorité de riches irrigants ; ensuite, ils rappellent que « la justice est très loin de prendre systématiquement parti pour les bassines ».
« Il ne va pas se gêner, il n’y a plus aucun contre-pouvoir »
Pour ne prendre que quelques exemples, le 3 octobre dernier, le tribunal de Poitiers a annulé quinze projets de mégabassines. En février 2022, le Conseil d’État a également interdit cinq projets en Charente-Maritime. La cour administrative d’appel de Bordeaux avait aussi retoqué un projet de six réserves dans ce même département. Il y a dix jours seulement, les juges du tribunal administratif de Poitiers ont exigé que le volume d’eau pompable pour remplir les mégabassines du Marais poitevin soit réduit drastiquement.
« Une situation dangereuse »
Cet excès de zèle de la part d’un ministre démissionnaire interroge. Gérald Darmanin devrait en toute logique ne s’occuper que des affaires courantes et ne pas faire de politique. Depuis les élections législatives, le gouvernement n’a plus la légitimité des urnes. À Ouest-France, un ministre déclarait le 16 juillet : « Nous sommes dans un entre-deux, il n’y a plus de questions au gouvernement, nous ne faisons plus de déplacements, nous restons ministre mais sans donner d’impulsion. »
Il semblerait que Darmanin ne respecte pas cette règle. Et qu’il en profite une fois encore pour faire des écologistes des ennemis intérieurs et des boucs émissaires. Sans aucun contrôle. C’est ce que craint le constitutionnaliste Bastien François : « Avec les Jeux olympiques et la gestion des manifestations, le ministère de l’Intérieur a toujours un grand pouvoir cet été, même si le gouvernement est démissionnaire, indique-t-il. Gérald Darmanin peut faire de la surenchère sans grands risques et il ne va pas se gêner, il n’y a plus aucun contre-pouvoir. »
Aucune motion de censure ne peut être déposée contre un gouvernement démissionnaire. « La situation est dangereuse. Qui sera responsable en cas de dérives liberticides ? De blessés graves ? »
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Source: https://reporterre.net/Le-zele-obsessionnel-de-Darmanin-contre-les-antibassines
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