
Ils sont chef d’entreprise, retraité, assistant d’éducation ou médecin. À Pontivy, Morlaix, Brest, les binationaux de Bretagne expriment majoritairement inquiétude et colère face au programme du Rassemblement National, qui veut leur interdire certains postes stratégiques de l’État.
Par Sophie PREVOST.
« Je suis arrivée à Brest, enfant, il y a cinquante ans. Mon père a participé à la reconstruction de la ville, mon grand-père s’est engagé pour la France. Franco-Algérienne, je me donne à fond pour ma République de cœur. Et là, je suis sous le choc ! » Figure emblématique du bénévolat dans la cité populaire de Pontanézen à Brest, Louisa Bouraya, 69 ans, se dit « inquiète, blessée et révoltée », par l’annonce du président du Rassemblement National dans cet entre-deux tours aux législatives anticipées. Si son parti accède au pouvoir, Jordan Bardella envisage d’interdire certains emplois dits « stratégiques » aux binationaux comme elle.
« Dans ma famille, il y a des médecins, des éducateurs et même des militaires. Ce projet du RN revient à les reléguer en seconde zone, alors qu’ils soutiennent depuis toujours les valeurs et l’économie du pays. On va où avec ça ? »
Dans ma famille, il y a des médecins, des éducateurs et même des militaires. Ce projet du RN revient à les reléguer en seconde zone, alors qu’ils soutiennent depuis toujours les valeurs et l’économie du pays. On va où avec ça ?
« On oublie vite l’histoire »
Soixante kilomètres plus loin, la Morlaisienne Méryème Postic évoque, elle, « une colère énorme ». La Franco-Marocaine de 58 ans, chef d’entreprise et bénévole dans l’association Ti Salam, trouve cette idée « complètement antirépublicaine ». « Avant même de proposer un programme économique sérieux aux Français, le RN sème la peur. Il appâte une population en en désignant une autre comme n’étant plus à sa place. C’est totalement contraire à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il veut détruire ce qui fait de la France un beau pays ».
Mariée à un Français et mère de quatre enfants « tous nés en France, » Méryème Potic pense que les électeurs du Rassemblement National s’en mordront vite les doigts. « Il n’y a pas plus amoureux de la France qu’un binational. On oublie vite l’histoire et leur engagement d’hier. Sans parler de notre engagement d’aujourd’hui. Si les Ehpad tournent encore, c’est parce qu’il y a des tas de Fatima, d’Amina et d’Aïcha qui nettoient ! J’ai aussi des amis, médecins binationaux, qui font tourner des services à l’hôpital public. Certains ont déjà choisi d’aller en Grande Bretagne, aux États-Unis ou en Allemagne, où les conditions de travail sont meilleures. D’autres ne vont pas tarder à le faire ».
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« Ne pas céder à la peur »
À Lorient, le franco-turc Salih Acar, 39 ans, s’interroge lui aussi sur la nature de ces « postes stratégiques » mais ne veut pas céder à la peur. « Pour moi, on a affaire à un effet d’annonce. Le problème, ce n’est pas le Rassemblement National, mais pourquoi les gens votent RN ». Sa binationalité, l’agent immobilier ne la brandit pas comme un étendard. « Elle m’a permis de voter deux fois aux Présidentielles en Turquie, en 2018 et 2023. Pour le reste, je suis né en France, je vis 23 mois sur 24 en France et je suis très attaché à la République ».
Zite, à Pontivy, n’a pas plus envie « de se laisser gagner par la psychose ». La Congolaise de 45 ans, assistante d’éducation dans un lycée professionnel, en veut autant au pouvoir en place « qui n’a pas su gérer pendant sept ans » qu’à l’extrême-droite, « qui fixe l’attention sur le faux débat de l’immigration ». Installée dans le Centre-Bretagne depuis 23 ans, mariée à un Breton depuis 2014, elle n’a pas encore pris la nationalité française. « Parce qu’en vivant dans le pays de la liberté et des droits de l’homme, je ne me voyais pas en danger ». Elle n’écarte désormais plus de faire les démarches. Le racisme ? « Ici, pour l’instant, j’en suis préservée ». Mais elle déplore les résultats du RN (en tête au premier tour dans la circonscription) et s’angoisse plus « pour le climat dans lequel grandissent ses enfants ».
J’ai hésité avec le Japon et les États-Unis. Je ne serai pas venu faire ma spécialité de médecine esthétique en France si je n’avais pas été aussi bien accueilli par l’hôpital public, lorsque je suis arrivé de Chine, il y a 34 ans.
« Aberrant » pour ce médecin
Chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du CHRU de Brest, Le Pr Weiguo Hu, 62 ans rappelle, quant à lui, qu’il ne serait jamais venu s’installer en France si le pays ne l’avait si bien accueilli il y a 34 ans. « J’ai hésité avec le Japon et les États-Unis. J’ai dû renoncer à ma nationalité chinoise pour devenir titulaire en 1995 mais je suis resté ici. Avec ou sans la double nationalité, les binationaux aiment la France. Les priver d’une partie de leurs droits me paraîtrait aberrant », dit ce membre de l’Académie nationale de chirurgie, devenu référent dans son domaine.
Le Finistérien d’adoption pense évidemment aussi « à tous ces praticiens hospitaliers binationaux qui, vu leur nombre, ne peuvent être ignorés », et rappelle qu’en matière de recherche, d’enseignement ou de soins, « les pays qui avancent le mieux sont ceux qui restent les plus ouverts ».
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