« L’ennemi est dans notre propre pays » (IO.fr-3/04/25)

A propos d’un article du 23 mars de Mediapart qui, sur la question du réarmement et de la guerre, notamment en Ukraine, oppose Jérôme Legavre, député LFI et militant du POI, à « une majorité du spectre politique » comprenant entre autres le NPA.

Par Lucien GAUTHIER.

Sous le titre « En France les gauches anticapitalistes changent leur fusil d’épaule », Mediapart oppose Jérôme Legavre, député LFI et militant du POI qui se prononce contre le réarmement, à « une majorité du spectre politique » qui serait « acquis à cet effort en France. (…) Les gauches se sont ralliées à un principe de réalité, face aux menaces impérialiste et guerrières que font peser Trump et Poutine. A quelques expressions près. » Et de nouveau  Jérôme Legavre est  cité, lui qui est contre l’effort de guerre et soutient les déserteurs.

L’article donne la parole à Christian Varquat, un responsable du NPA, qui explique : « Cette théorie date de l’avant-fascisme, elle ne correspond plus à la réalité d’une société civile devant résister aux crimes poutiniens ». D’ailleurs, le NPA n’a cessé de multiplier les critiques contre LFI, notamment pour son refus d’intégrer dans le programme électoral du NFP la revendication d’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne, mais aussi pour son refus de voter le budget militaire.

Le principal danger : le fascisme impérialiste poutinien ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous n’avons cessé de défendre le mot d’ordre : ni Poutine, ni Otan, ni Zelensky, ni Macron ! Nous nous sommes prononcés également pour un cessez-le-feu pour éviter à des millions d’Ukrainiens et de Russes de mourir dans cette guerre barbare.

Un article de L’Anticapitaliste (le journal du NPA) critique cette position : « Il existe des différences très concrètes entre le néolibéralisme de Zelensky et le fascisme du régime russe. (…) Il y a urgence à la défaite militaire de Poutine. Nier cela, c’est gommer les différences entre la démocratie bourgeoise libérale et les régimes autoritaires fascistes. »

Pour le NPA, la marque de la situation mondiale est donc la montée d’un fascisme poutinien, face aux démocraties bourgeoises que sont les pays de l’Union européenne et les Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle, il ne met pas en cause l’Otan qui, à son corps défendant, serait malgré lui du bon côté de la barricade.

D’ailleurs, dans L’Anticapitaliste du 27 février, on peut lire : « Au cours des trois années écoulées, l’aide provenant des Etats-Unis et de l’Union européenne a permis de bloquer l’offensive du Kremlin mais a été insuffisante pour faire reculer l’armée russe. » La seule critique consiste dans le fait que l’Otan, les gouvernements de l’UE et les Etats-Unis ne se seraient pas suffisamment investis dans la guerre contre la Russie.

Le NPA refuse de voir la réalité en face, ce qui le conduit aujourd’hui à être pris au dépourvu – voire déçu – par la réorientation politique décidée par Trump. Or, Trump, tout comme l’ont fait les gouvernements précédents, défend en priorité l’impérialisme américain qui pendant un temps a utilisé la guerre en Ukraine pour affaiblir la Russie, et qui maintenant veut se débarrasser de cette question pour passer au « problème » de la Chine.

Le NPA en vient même à dénoncer le partage du monde entre Poutine et Trump, oubliant que l’impérialisme dominant sont les Etats-Unis. Ridicule  !

Le 30 mars, Trump a déclaré être « furieux » contre Poutine qui « traînait des pieds » et qu’il était mécontent du fait que Zelensky ne signe pas d’accord au sujet des terres rares. Pour l’administration américaine, qu’elle soit démocrate ou républicaine, c’est toujours la défense des intérêts américains qui prévaut.

Pour une bonne économie d’armement !

Sa position qui consiste en l’accompagnement de la politique impérialiste conduit le NPA sur un chemin périlleux. Alors que l’an passé, Macron annonçait un budget militaire de 413 milliards d’euros (entre 2024 et 2030), le NPA écrivait : « Combattre la hausse des budgets militaires et la militarisation de la société est nécessaire et va avec la résistance ukrainienne. Exigeons de la France qu’au lieu de vendre des armes aux dictatures, elle aide sérieusement à la résistance ukrainienne sans augmenter ses propres dépenses militaires. » Ainsi pour le NPA, il faut maintenir le budget sans l’augmenter, donc l’accepter.

Mais comme ils sont « révolutionnaires », ils ne peuvent pas en rester là. L’Anticapitaliste  du 6 mars estime que « la gauche se doit d’intervenir sur les enjeux liés aux armes, de la socialisation de la production au placement sous le contrôle démocratique des décisions militaires ». Donc le NPA se prononce pour une économie d’armement socialisée. « Bon Dieu, mais c’est bien sûr !  »

Et ce qu’on croit être le pire ne l’est pas forcément. En juillet 2023, dans L’Anticapitaliste, l’auteur écrivait à propos de l’utilisation d’armes à sous-munitions par l’Ukraine et la Russie que certes depuis 2008, ces armes étaient interdites, mais que face au nombre de morts et de blessés et face au « minage exponentiel de la ligne de front opéré par la Russie. Cette situation a obligé l’état-major ukrainien à réorienter sa tactique offensive vers un travail de neutralisation, sur l’arrière-front de l’ennemi, de sa logistique, ce qui nécessite de disposer d’un surplus de munitions conventionnelles. Mais ce travail en profondeur n’a de sens militairement et politiquement que si ledit déminage massif du front est concomitamment mené afin que des percées de fantassins et de moyens mécanisés bonifient les effets du travail mené en profondeur. En l’état, ce déminage massif incontournable pour que l’offensive ukrainienne puisse se relancer et faire imploser l’ensemble du système défensif russe ne peut, selon les UkrainienEs, se faire que par l’usage des armes à sous-munitions dont des spécialistes rappellent que le pouvoir de neutralisation des mines russes est sans commune mesure avec ce qu’elles-mêmes disséminent comme explosifs ». Est-il besoin de commenter, quand on sait que pour des générations et des générations, il y aura des centaines de milliers de mutilés et de tués par ces « sous-munitions » enfouies dans le sol.

C’est alors que L’Anticapitaliste du 20 février, donne la parole à un de leurs amis ukrainiens qui explique : « La force de la défense militaire dépend de la participation et de la disposition populaire. (…) Il suffit de se souvenir de l’histoire de la brigade Anne de Kiev, entraînée par les Français ». Lorsque cette brigade a quitté la France, l’an passé, pour rejoindre le front, 80 % de son effectif a rapidement déserté. De leur côté, 600 000 Ukrainiens ont quitté leur pays pour éviter la mobilisation et 1 million de Russes ont fait de même. 100 000 soldats ukrainiens auraient par ailleurs déserté, selon l’état-major ukrainien. Sont-ils des traîtres ? Non ! ils sont des héros qui prennent des risques énormes pour refuser d’aller à la guerre.

Du soutien à Zelensky…

Le 20 février toujours, on lisait dans L’Anticapitaliste, à propos des exigences de Trump : « Le président ukrainien a annoncé en marge de la conférence sur la sécurité à Munich, qu’il n’a pas à ce stade autorisé les ministres à signer cet accord. » Zelensky résiste !

Et le 6 mars, on peut lire à propos de la visite de Zelensky à la Maison Blanche : « La dignité et le courage dont a fait preuve Zelensky sont remarquables (…) car Zelensky n’était pas venu chercher du respect mais du soutien militaire indispensable à la survie d’une Ukraine libre et indépendante », comme si Zelensky, mis au pouvoir par un des oligarques les plus riches d’Ukraine, qui dirige au compte de l’oligarchie, qui a privatisé les terres agricoles, qui a privatisés les usines, qui a interdit 11 partis d’oppositions, qui a suspendu le code du travail et qui s’attaque aux syndicats, avait quelque chose à voir avec une quelconque souveraineté ou liberté.

… au soutien à Macron

Le NPA a reproché au groupe parlementaire LFI d’avoir été absent en juin 2024, lors de la réception de Zelensky à l’Assemblée nationale. Le NPA, qui naguère dénonçait le parlementarisme bourgeois et une Assemblée nationale au service des patrons, reproche donc à LFI d’avoir refusé de siéger avec le RN, LR, les macronistes et quelques autres qui communiaient à l’Assemblée nationale au profit de Zelensky et de Macron !

En février 2023, une manifestation « unitaire » était organisée à Paris pour le soutien à Zelensky et à l’Ukraine. Le président de l’Union des Ukrainiens en France (un regroupement nationaliste) appelait à cette manifestation, alors que « des représentants de différents partis (PS, EELV, NPA, Renaissance) ont annoncé leur présence » (AFP, le 20 février). Et effectivement, ce jour-là, le NPA composait un cortège conséquent, aux côtés des macronistes, en pleine lutte contre la réforme des retraites !

En février 2025, Catherine Samary, une « historique » de ce courant politique, commentait les échanges entre Trump et Poutine : « Pendant ce temps, face à la fragmentation de l’UE, Macron a du mal à faire avancer son agenda européen ». Jusqu’où iront-ils ? Ainsi, alors que Macron multiplie les sommets pour que l’UE se substitue aux Etat-Unis et aide l’Ukraine, qu’il envisage d’envoyer des soldats en Ukraine, qu’il annonce la nécessité de l’économie de guerre, le NPA ne trouve rien à y redire.

En France, une puissante campagne belliciste est menée par Macron avec l’appui de toutes les forces politiques sauf LFI pour préparer l’opinion à un « effort de guerre », c’est-à-dire accepter les sacrifices au profit de l’économie de guerre. En pleine campagne réactionnaire et militariste, on peut lire dans L’Anticapitaliste  une dénonciation de LFI : « ce sont les réponses nationalistes, marquées par le mépris pour les Ukrainiennes et les Ukrainiens qui prédominent dans la gauche dite radicale. La défense de “l’agriculture française”, “des intérêts des Français” est un crachat aux principes cardinaux de l’internationalisme ouvrier ». Quel mépris pour les revendications des travailleurs et agriculteurs français.

Pour le NPA, l’internationalisme, c’est l’alliance avec Macron et les impérialistes pour poursuivre une guerre qui a déjà fait un million de victimes. Pour notre part, ce sont les intérêts des travailleurs et des paysans ukrainiens et russes qui sont notre point de départ.

Ils ont oublié leur histoire

En 1970, l’ancêtre du NPA, la Ligue communiste (LC), publiait deux brochures : une première, intitulée Crosse en l’air , la seconde, L’Ennemi est dans notre propre pays. Dans la préface de la première, certaines questions étaient posées : « Acceptation de l’alternative guerre offensive, guerre défensive ? Ne faut-il pas se défendre quand on est attaqué ? Rêve d’une milice qui permettra de remplacer le militarisme et la caserne par l’armement général du peuple pour la défense de la terre natale et du foyer  ». La LC exprimait en répondant à ces questions par les textes publiés son refus radical d’une politique d’accompagnement de l’impérialisme.

Dans la seconde brochure, au sujet de la social-démocratie, il était indiqué : « Ils protestent énergiquement, d’une manière chauvine contre le militarisme mais ne disent rien contre le militarisme de leur propre pays capitaliste. (…) Ce n’est pas seulement l’armée permanente actuelle, mais aussi la milice de nos jours qui constituent un armement de la bourgeoisie contre le prolétariat. C’est pourquoi nous devons dire : pas un sou, pas un homme ! Non seulement pour l’armée permanente mais aussi pour la milice bourgeoise. Voilà comment le prolétariat combat les formes concrètes de la militarisation des masses. »

Ils ont bien changé…

Pas nous !

Nous, nous sommes restés sur la ligne historique du mouvement ouvrier révolutionnaire contre l’impérialisme, la guerre et le militarisme. Avec Lénine, nous sommes toujours pour le défaitisme révolutionnaire, c’est-à-dire pour la défaite de notre propre impérialisme, comme au moment de la guerre d’Algérie.

Contrairement à Christian Varquat qui prétend que la situation n’est plus la même, nous réaffirmons que dans les conditions actuelles, certes nouvelles, l’impérialisme demeure l’impérialisme. Il demeure responsable des guerres et de la marche à la barbarie. Et il ne s’agit pas seulement de l’Ukraine. Il y a la guerre en RDC, au Soudan, au Yémen, au Sahel, mais aussi en Birmanie… et il y a l’horrible offensive génocidaire contre les Palestiniens.

Ce sont les mêmes, à l’UE, aux Etats-Unis qui soutiennent ces massacres. Alors pourquoi faire de l’Ukraine une exception dans la situation mondiale ?

Lorsque la social-démocratie allemande – le plus grand parti révolutionnaire de l’époque, fondé par Engels – a voté les crédits militaire en 1914, un seul député s’est levé contre, il s’appelait Karl Liebknecht. Il fut jeté en prison, calomnié par ses propres ex-compagnons politiques qui lui reprochaient de faire le jeu de l’ennemi. Dans un tract, Liebknecht répondit : « L’ennemi est dans notre propre pays ». L’ennemi, ce ne sont  pas les Russes enrôlés dans l’armée de Poutine, mais ce sont les va-t-en-guerre français avec à leur tête Macron.

Jules Guesde – qui fut le fondateur du premier parti se réclamant du marxisme en France – dénonçait Jaurès comme réformiste, se déclarant révolutionnaire, anti-impérialiste et antimilitariste. Quand la social-démocratie française – comme en Allemagne – vota les crédits de guerre, Guesde les vota également. Il finit même par entrer dans le gouvernement d’union sacrée.

En 1916, c’est son gouvernement qui expulsa Léon Trotsky, réfugié en France. Dans une lettre ouverte, Léon Trotsky lui écrit : «  Descendez, Jules Guesde, de votre automobile militaire (…) et regardez un peu autour de vous. Peut-être (…) pourrez-vous percevoir le bruit sourd des événements qui s’approchent. Nous les attendons. Nous les appelons. Nous les préparons. (…) Expulsé par vous, je quitte la France avec une foi profonde dans notre triomphe. Par-dessus votre tête, j’envoie un salut fraternel au prolétariat français qui s’éveille aux grandes destinées. Sans vous et contre vous : Vive la France socialiste !  »

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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/04/03/lennemi-est-dans-notre-propre-pays/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/lennemi-est-dans-notre-propre-pays-io-fr-3-04-25/

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