
Saisis lors des débats sur la loi Duplomb, des chercheurs de l’Inrae ont publié un rapport sur les alternatives aux néonicotinoïdes. Conclusion : elles existent mais doivent être davantage développées.
Par Lorène LAVOCAT
C’est un rapport qui va faire débat. Mardi 28 octobre, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a remis à la ministre de l’Agriculture une évaluation très attendue sur « les alternatives existantes à l’usage des néonicotinoïdes pour protéger les cultures ». Principale conclusion des seize experts : les solutions fourmillent, mais elles ne sont pas encore suffisamment développées.
Un travail d’équilibriste, commandé en mai dernier par Annie Gennevard, en plein débat sur la loi Duplomb et la réintroduction de l’acétamipride, un insecticide tueur d’abeilles. Objectif, selon la ministre : « Identifier les situations dans lesquelles les alternatives [aux néonicotinoïdes] pourraient être considérées comme absentes ou manifestement insuffisantes. » Avec une autre question, en filigrane : faut-il réautoriser la substance chimique pour certaines filières qui sont « sans solution », comme le prônent les défenseurs de la loi ?
« Ça fait dix ans que les pouvoirs publics et les instituts de recherche auraient pu et dû diffuser les alternatives »
Après avoir analysé six productions — betterave, pomme, cerise, noisette notamment — les experts ont constaté que ces filières « sont fragilisées par le manque de solutions opérationnelles et disponibles pour la protection contre certains ravageurs ». Sans se prononcer sur l’acétamipride, l’Inrae plaide ainsi pour maintenir sur le marché certains pesticides disponibles, en attendant l’arrivée de solutions de substitution efficaces.
Pour l’institut, il s’agit ainsi de « laisser un temps nécessaire à la montée en puissance des stratégies alternatives » déjà existantes. Un constat qui fait bondit Jacques Caplat, chargé des dossiers agricoles au sein d’Agir pour l’environnement : « Je trouve cette position un peu hypocrite, explique-t-il à Reporterre, car ça fait presque dix ans que l’interdiction des néonicotinoïdes a été actée, et ça fait dix ans que les pouvoirs publics et les instituts de recherche auraient pu et dû diffuser les alternatives. »
Des interdictions essentielles pour « l’émergence de nouvelles solutions »
Pour lui, la ligne esquissée par le rapport de l’Inrae relève donc de la stratégie de l’autruche. « C’est un peu trop facile de dire à chaque fois “on n’est pas encore prêts, laissez-nous un peu de temps”, fustige-t-il. Souvent, c’est quand on a le couteau sous la gorge qu’on agit enfin. »
Autrement dit, tant que des pesticides seront massivement autorisés, la transition agroécologique n’aura pas lieu. Un avis partagé d’ailleurs par les chercheurs, qui affirment que « le retrait des produits les plus problématiques est une condition majeure pour l’émergence de nouvelles solutions ».
« Ce travail scientifique confirme l’existence de leviers efficaces pour réduire la dépendance aux pesticides de synthèse »
Du côté de Générations futures, on a choisi de voir le verre à moitié plein : « Ce travail scientifique confirme l’existence de leviers efficaces pour réduire la dépendance aux pesticides de synthèse et accompagner la transition agroécologique des filières concernées », estime l’ONG dans un communiqué.
De fait, le rapport identifie une série de pistes prometteuses : les approches préventives — aussi appelées de prophylaxie — pour diminuer la présence des ravageurs en amont, le biocontrôle, l’épidémiosurveillance pour anticiper les potentielles crises, le tout dans une démarche dite combinatoire, qui associe tous les leviers disponibles.
Une stratégie connue depuis longtemps, mais peu mise en œuvre. « Beaucoup de producteurs attendent qu’on remplace les néonicotinoïdes par un autre produit, pas plus cher et aussi efficace, alors que ça n’arrivera pas, dit François Veillerette, porte-parole de l’ONG, auprès de Reporterre. Ce que nous disons, et que dit le rapport, c’est que l’alternative passera pas une combinaison de solutions. »
Le casse-tête de la noisette
Malgré sa présentation nuancée, ce rapport pourrait bien être instrumentalisé par les défenseurs de l’acétamipride, craint également François Veillerette. Car si les seize experts concluent que la filière betterave, principale consommatrice de l’insecticide décrié, peut se débrouiller sans la substance, ils pointent en revanche la « pré-faillite » de la filière noisette, « touchée en pleine croissance par la coïncidence de l’arrêt des néonicotinoïdes et de l’arrivée de la punaise diabolique ».
Interrogé par la presse, le directeur de l’Inrae, Philippe Mauguin, glissait ainsi : « Si vous êtes observateur, professionnel, parlementaire, vous pouvez déduire que de toutes les filières qui ont été étudiées, [la noisette] est celle qui aurait probablement le plus d’arguments pour demander une dérogation [sur l’acétamipride », a-t-il indiqué, tout en précisant qu’il s’agissait là d’un « débat politique ».
Lire aussi : Pesticides : la fuite en avant des cultivateurs de noisettes
Un casus belli pour François Veillerette : « La filière noisette, qui représente à peine 8 000 hectares en France, ne doit pas servir de cheval de Troie pour d’autres filières, notamment la betterave, qui couvre, elle, près de 400 000 ha », insiste-t-il.
De fait, la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), liée à la FNSEA a immédiatement salué la sortie du rapport, qui serait « sans ambiguïté sur l’absence de solution opérationnelle efficace et économiquement viable ». Et de réclamer au gouvernement un projet de loi pour réautoriser l’acétamipride.
« La solution n’est pas dans la chimie »
Pour Générations futures, « la sécurisation des filières ne peut se faire au détriment de la santé humaine et de l’environnement ». En clair, le problème des betteraviers comme des cultivateurs de noisettes serait avant tout économique, lié à la concurrence intra et extra-européenne, à la mainmise des industries agroalimentaires sur les filières…
« Plutôt que de chercher des rendements toujours plus élevés en détruisant l’environnement, il faudrait obtenir des prix plus rémunérateurs, souligne François Veillerette. La solution n’est pas dans la chimie, mais dans une réponse politique. »
Ce rapport ne devrait donc pas permettre d’apaiser les discussions à venir, bien au contraire. Début novembre, la loi Duplomb fera l’objet d’un débat dans l’hémicycle, suite à la pétition record en faveur de sa suppression. De leur côté, les coauteurs de la loi, Franck Menonville et Laurent Duplomb, ont annoncé vouloir rédiger un nouveau texte centré sur l’acétamipride, pour tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel, en août dernier. La bataille est donc loin d’être terminée.
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