
Militante communiste et résistante, l’Arrageoise a participé activement à la libération de sa ville. De la solidarité avec les républicains espagnols à la justice pour les mineurs du Nord-Pas-de-Calais, elle aura été de tous les combats de son siècle pour le progrès et l’émancipation.
Par Marion d’ALLARD.
La date reste imprécise mais une chose est certaine : Eugénie Camphin fut l’une des toutes premières militantes du Parti communiste français (PCF), adhérente, sans doute, dès les premières années de la décennie 1920. C’est dans le Nord-Pas-de-Calais qui l’a vu naître à l’automne 1893 qu’Eugénie Camphin affûte son militantisme. De toutes les épithètes qui la qualifient, le Maitron retiendra ceux-ci : « Énergique et grande lectrice, fidèle et d’une rigueur extrême au Parti, digne et courageuse dans les malheurs les plus douloureux. » C’est que, des malheurs, Eugénie Camphin en a croisé sur le chemin cabossé d’une vie percutée par les tumultes de son siècle.
Mariée à Maurice Camphin, lui aussi militant communiste, fils de cordonnier, mécanicien à la Compagnie du chemin de fer du Nord et syndicaliste à la CGTU, Eugénie donne naissance à leur premier fils le 1er décembre 1911. Il s’appellera Maurice, comme son père. Suivront René, né en 1913, et Paul, qui voit le jour en avril 1922.
Établie dans la cité des cheminots d’Arras, la famille vit au métronome du militantisme, de réunions du Parti en manifestations des Jeunesses communistes auprès desquelles les trois garçons sont fermement – et très tôt – engagés. Cheville ouvrière de la section d’Arras, Eugénie met toute son énergie dans la bataille politique. Au mitan de la décennie 1930, l’histoire s’accélère.
De l’autre côté des Pyrénées, l’Espagne vit sous un ciel de plomb. Franco et les généraux félons ont renversé la République, jetant des centaines de milliers d’exilés sur les routes. À Arras, la maison de Camphin deviendra, dès 1937, un refuge pour les enfants des familles de républicains espagnols.
Ses deux fils fusillés
L’été 1939 touche à sa fin. Le 30 août, deux jours avant que les troupes nazies n’envahissent la Pologne et que le monde bascule dans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, Maurice Camphin et son fils aîné son arrêtés pour une distribution de tracts, avec une vingtaine d’autres militants communistes. La même année, le fils cadet d’Eugénie Camphin, René, est arrêté pour avoir soutenu le pacte germano-soviétique, condamné à trois mois de prison par le conseil de guerre. L’armistice du 22 juin 1940 fait naître, à Arras, les premières poches de résistance.
Aux actes de sabotage isolés se substituent bientôt des réseaux organisés, auxquels les Camphin participent activement. Les trois garçons s’engagent dans la Résistance communiste, auprès des Francs-Tireurs et Partisans, que Maurice rejoint dès 1941. En 1942, ses deux frères intègrent eux aussi l’organisation militaire clandestine créée par le PCF.
Année funeste que 1943 où, coup sur coup, Maurice, le 14 mai, et Paul, le 1er novembre, tombent sous les balles allemandes, fusillés dans les fossés de la citadelle d’Arras. Le 17 octobre, quelques jours avant sa mort, Paul signe une lettre, témoignage poignant de l’atrocité des tortures subies en détention : « Malgré tout, écrit-il, je continuais de rire et de chanter. Je reste communiste français jusqu’au bout, je ne regrette rien, sauf de ne pas en avoir fait assez ; si je devais recommencer ma vie, je la recommencerais pareille à la première. »
Eugénie vient de perdre deux fils ; la Résistance, deux militants acharnés. Elle qui avait hébergé Jacques Duclos à son retour de Belgique trouve en ses camarades la force de rester debout. Au printemps 1944, les installations ferroviaires de la cité du Nord-Pas-de-Calais sont pilonnées par l’aviation alliée. Objectif : couper les voies de communication allemandes. Les bombardiers américains lâchent sans répit un déluge de munitions, les victimes civiles se comptent par dizaines.
Au tribunal populaire de Lens en 1970
Entre le 27 avril et le 13 juin 1944, la ville est bombardée à 15 reprises. Les dégâts sont immenses, particulièrement dans le quartier de la gare. Eugénie Camphin, elle, a intégré le comité de libération d’Arras « au titre de l’Union des femmes françaises (UFF) dont elle préside alors l’importante section arrageoise », note le Maitron.
Le 1er septembre 1944, la ville est libérée et, le 22 novembre, Eugénie Camphin prépare le premier meeting de l’UFF, organisation non mixte créée par le PCF et héritière du Comité mondial des femmes contre le fascisme et la guerre et de l’Union des jeunes filles de France. La militante deviendra, en 1945, conseillère municipale d’Achicourt, au sud-ouest d’Arras.
Elle poursuivra son militantisme au sein du Secours rouge – dont elle dirigera le journal, Liberté vaincra – dans les années 1970, aux côtés de ses camarades résistants et siégera au sein du tribunal populaire de Lens, créé à la suite du dramatique coup de grisou de Fouquières-lès-Lens, le 4 février 1970, qui coûta la vie à 16 mineurs. Soutien de l’opération représailles, coordonnée par les maoïstes contre les bureaux des Houillères à Hénin-Liétard, Eugénie Camphin rompt avec le Parti communiste. Presque centenaire, elle s’éteint en 1987, dans sa chère ville d’Arras.
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Source: https://www.humanite.fr/histoire/liberation/eugenie-camphin-arras-a-coeur-et-a-cri
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