
© Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
Trop recherchés et exposés, les plus fameux époux du combat libérateur quittent la France métropolitaine en 1943. Elle depuis Londres, lui d’Alger, ils vont continuer à lutter avec leurs armes et participer aux premières heures du nouveau gouvernement français.
Par Camille BAUER.
C’est séparés, et en grande partie loin de l’Hexagone, que le plus célèbre couple de la Résistance va assister aux premières heures de la Libération. Au printemps 1944, alors que les troupes américano-anglaises s’apprêtent à débarquer en Normandie, Lucie Aubrac, qui a accouché en février dans la capitale britannique de son deuxième enfant, est de nouveau dans la lutte, mais depuis Londres.
Elle n’a pu rejoindre l’Assemblée consultative qui siège à Alger où, à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote, elle a été désignée pour représenter Libération Sud, le mouvement de résistance qu’elle et son mari Raymond ont contribué à fonder. Qu’à cela ne tienne, elle continue à agir depuis Londres.
Membre du comité exécutif de la propagande en direction de la France, elle prête son talent oratoire, et l’aura de ses exploits guerriers, à la radio de la France libre. Avant, pendant et après le débarquement, elle prend le micro pour exalter le rôle des femmes au combat et relater son incroyable parcours de résistante.
Raymond est écarté car « il y a déjà trop d’israélites »…
Raymond, lui, va siéger à Alger à la place de sa femme. Les débats à l’Assemblée consultative lui semblent loin des enjeux du pays où ses camarades risquent leur vie. Le résistant voit d’un œil critique le retour des politiciens d’avant-guerre et leur tentative de réhabilitation. « J’ai toujours regretté de n’avoir pas vécu auprès de mes camarades cette période extraordinaire qui vit lever le grain que nous avions obstinément semé pendant plus de trois ans », analysait-il dans ses mémoires.
Quand il apprend que certains ont refusé sa nomination au bureau des affaires politiques du commissariat de l’Intérieur au motif « qu’il y a déjà trop d’israélites » dans cette instance, la coupe est pleine. Raymond Samuel, de son vrai nom, dont les parents ont été arrêtés fin 1943 et déportés vers les camps de la mort, claque la porte et s’engage comme parachutiste.
Si les époux Aubrac vivent ces premières heures de la Libération depuis l’étranger, c’est parce qu’ils ont dû être exfiltrés de France. En février 1944, un avion est venu de Londres les chercher dans le village du Jura où ils s’étaient réfugiés. Pendant des mois, Lucie, enceinte, Raymond et leur premier fils ont navigué de planque en planque à travers la France, mesurant à la fois la force et le coût de la solidarité de ceux qui les accueillent. « Nous nous sentons encombrants chez ces braves gens qui nous regardent un peu comme des Martiens », a raconté dans ses mémoires Lucie Aubrac.
Quand Lucie fait libérer Raymond en attaquant le camion de la Gestapo
Il faut dire qu’après leur dernier coup, le couple est recherché par toutes les polices de France. Le 21 octobre 1943, Lucie, qui a toujours été la tête brûlée du couple, a réussi à libérer son mari retenu dans la célèbre prison de Montluc, à Lyon, en attaquant avec un groupe de résistants le camion allemand qui le transporte avec 14 de ses camarades. « Le coup est un succès, les hommes sont libérés. Mais il fait grand bruit à Lyon. Pour la première fois, la Gestapo y avait été attaquée et vaincue », s’est souvenu Raymond.
Ce coup d’éclat, troisième libération de Raymond par Lucie depuis le début de la guerre, s’inscrit dans un long chemin d’engagement. Mariés en 1939, proches du Parti communiste, les Aubrac se sont joints dès 1940 à Emmanuel d’Astierde La Vigerie et Jean Cavaillès pour fonder Libération Sud, un des principaux mouvements de Résistance.
Au fil des ans, leur importance dans le réseau a grandi, au point qu’en 1942, Raymond fait partie des instances dirigeantes de l’Armée secrète, chargée, sous la houlette de Jean Moulin, d’unifier et de coordonner les branches armées des différents mouvements de Résistance. Il devait même en devenir le chef pour la zone Nord, quand il fut la cible, avec Jean Moulin et d’autres dirigeants, en juin 1943, de la fameuse arrestation de Caluire.
Il réquisitionne les entreprises dont les patrons ont collaboré
À l’été 1944, le couple revient sur le sol de France. Lucie rejoint enfin l’Assemblée consultative, entre-temps installée à Paris, où elle siège dans les commissions de l’Éducation nationale, de la Justice, de l’Épuration, du Travail et des Affaires sociales. Elle milite aussi en faveur des droits des femmes. Dans la foulée du débarquement de Provence, en août 1944, Raymond, lui, est nommé commissaire de la République pour la zone, où il a pour mission de restaurer l’État avant que les Alliés soient tentés de le faire. Épuration, ravitaillement, sécurité : il est sur tous les fronts.
Mais son choix de réquisitionner les entreprises dont les patrons ont collaboré lui vaudra bien des inimitiés dans les sphères dirigeantes et finalement son poste. Après la guerre, Lucie reprend son emploi d’institutrice, Raymond devient grand commis de l’État. Anticolonialistes, engagés pour la paix et l’égalité sociale, les Aubrac ne cesseront jamais d’être des combattants et de faire vivre « l’esprit de résistance ».
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