
Entrée dès son plus jeune âge en résistance, elle a abattu un soldat allemand sur le pont de Solférino. Les armes à la main, elle prend part à la libération de Paris. La femme de lettres, anticolonialiste, deviendra journaliste, grande reporter à l’Humanité.
Par Margot BONNERY .
Tout débute par le « coup de pied au cul » d’un officier allemand. C’est cette humiliation qui décide Madeleine Riffaud, 16 ans, à entrer dans la Résistance avec un horizon : libérer la France de l’occupant. Devant les nazis, comme face à la maladie, la jeune femme n’a pas le choix : sa posture, c’est la lutte. Atteinte d’une primo-infection tuberculeuse, Madeleine Riffaud, de son vrai prénom Marie-Madeleine, quitte sa famille en 1941 pour rejoindre le sanatorium des étudiants à Saint-Hilaire-du-Touvet, dans l’Isère.
Au cours de son séjour dans l’établissement – où, elle l’apprendra plus tard, les infirmiers cachaient et soignaient des blessés juifs ainsi que des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) –, Madeleine n’a qu’une obsession : guérir, prendre part à l’action pour libérer son pays. Au sanatorium, elle rencontre Marcel, son premier amour ; c’est lui qui l’aide à entrer dans la Résistance. En 1942, elle se relève de la maladie, rejoint à Paris les rangs de cette armée de l’ombre.
Une affaire de femmes
Comme près d’un million et demi de soldats français sont prisonniers en Allemagne, « la Résistance est aussi une affaire de femmes », témoigne la militante dans la bande dessinée de Jean-David Morvan 1. Le jour, Madeleine est étudiante à l’école des sages-femmes. La nuit, elle devient « Rainer », un pseudonyme qu’elle emprunte au poète allemand Rainer Maria Rilke. « Je n’ai jamais détesté les Allemands. Seulement les nazis », confie-t-elle à Télérama en 2021.
Après avoir débuté comme passeuse de colis (une clé de tire-fond remise à un cheminot pour faire dérailler les trains), Madeleine prend des responsabilités jusqu’au triangle de direction d’un groupe d’étudiants résistants. Au fil des missions, la tâche se fait plus difficile : ravitaillement de clandestins, recrutement de nouveaux arrivants, vol de nourriture, de machines à écrire ou de tickets de rationnement, organisation de planques, attaques de dépôts d’armes… « Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que j’ai fait », élude pourtant dans un documentaire de Jorge Amat2 la résistante, qui se considère encore aujourd’hui comme une anti-héroïne.
C’est en mars 1944 qu’elle rejoint les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), mouvement de résistance armée fondé en 1942 par les communistes. Dans les tourments de la guerre, la jeune femme garde le goût de la littérature et de la poésie. Elle en tire des forces pour le combat. D’une craie blanche, elle recouvre les murs de la capitale de ses vers : « Vaincre et vivre », « Croix de fer, croix de bois, ils ont remis l’amour en croix », « La France n’est pas vaincue ».
Des sévices inoubliables
Comme bien des étudiants qui s’engagent de plus en plus nombreux dans la Résistance, au risque des rafles et des rafales, Madeleine prend la parole en public, distribue des tracts dans les universités pour appeler la jeunesse à la révolte.
La mort d’un ami tué d’une balle dans le dos attise sa colère contre le régime nazi. Madeleine brûle de rage. Le 23 juillet 1944, elle se porte volontaire pour une mission : abattre un soldat allemand. Elle en repère un, seul, sur le pont de Solférino. Deux balles dans la tempe. Ce moment-là, la résistante ne l’oubliera jamais : tuer un homme, même un nazi, est une épreuve. Elle prend la fuite à bicyclette, est aussitôt renversée par la voiture du chef de la milice de Versailles qui se promenait avec son épouse.
Celle que l’occupant qualifie de « terroriste » est conduite au siège de la Gestapo, rue des Saussaies, où elle est torturée. Aujourd’hui encore, Madeleine peine à dire la douleur et la souffrance de ces sévices. Elle est rouée de coups, sa mâchoire et son nez sont brisés et, pour la faire craquer, ses bourreaux torturent sous ses yeux d’autres détenus. Son calvaire dure trois semaines. Mais elle tient bon et garde le silence. Madeleine manque d’être fusillée ; elle échappe in extremis à la déportation grâce à un échange de prisonniers.
Le 19 août 1944, à l’appel de la Résistance dirigée par le colonel Henri Rol-Tanguy, l’insurrection du peuple parisien est générale. À seulement 20 ans, Madeleine est élevée au grade de lieutenant FFI et dirige aussitôt la capture d’un train allemand aux Buttes-Chaumont. Le IIIe Reich s’écroule, ses yeux se tournent déjà vers d’autres guerres : celles qui mettront à bas le régime colonial en Indochine, puis en Algérie. Correspondante de guerre pour l’Humanité, poétesse toujours, cette héroïne a traversé le XXe siècle avec, au cœur, la même aversion contre toutes les formes d’oppression.
- Madeleine, résistant, de Jean-David Morvan, Bertail, Riffaud, éditions Dupuis. ↩︎
- Les 7 Vies de Madeleine Riffaud, de Jorge Amat, Doriane Films. ↩︎
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