
Une étude révèle la présence de « polluants éternels » dans les filtres d’aération d’écoles à côté de l’incinérateur de déchets d’Ivry-sur-Seine, près de Paris. Les rejets toxiques de la structure sont dénoncés depuis des années.
Par Jeanne CASSARD.
Les enfants de cinq écoles primaires d’Ivry-sur-Seine et Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) respirent-ils des PFAS dans leur salle de classe ? C’est la question qui se pose après la publication d’une étude effectuée par le collectif de riverains 3R et les ONG Zero Waste France et Zero Waste Europe, le 24 septembre.
Pour la première fois, des analyses révèlent la présence de ces « polluants éternels » — omniprésents dans nos produits de consommation et toxiques pour l’humain — dans les filtres d’aération de cinq écoles situées à moins de 1 500 m de l’incinérateur de déchets d’Ivry-Paris XIII, où 700 000 tonnes de déchets sont brûlées chaque année. Les relevés, menés entre 2024 et 2025, sont sans appel : tous les filtres d’aération étudiés contiennent des PFAS.
L’étude confirme ainsi un élément essentiel : « Ces polluants éternels sont présents dans l’air extérieur et sont donc au contact des enfants lorsqu’ils jouent dehors pendant la récréation », dit Noémie Brouillard, chargée de projets chez Zero Waste France. En revanche, « l’étude ne prouve pas la présence des PFAS à l’intérieur des salles de classe, car on ne sait pas si les systèmes d’aération sont efficaces pour les filtrer », ajoute-t-elle.
Pour parvenir à ces résultats, l’organisme indépendant de recherche Toxicowatch a mené des analyses sur les filtres d’aération en utilisant la technologie Calux, bien plus sensible que les analyses classiques de référence.
« Ce qui nous inquiète,
c’est ce que l’on ne sait pas »
Certains filtres contenaient beaucoup plus de PFAS que d’autres, mais ces prélèvements ne sont pas comparables entre eux. « Ils n’ont pas été posés au même moment, ni pour les mêmes durées, dit Amélie Boespflug, coprésidente du Collectif 3R, qui alerte depuis des années sur les nuisances liées à l’incinérateur d’Ivry. Certains ont été changés de manière trimestrielle, alors que celui d’une école à Ivry-sur-Seine n’avait pas été changé depuis trois ans. Par ailleurs, dans deux écoles, les résultats ont été sous-estimés pour des raisons techniques qui n’ont pas permis de séparer la poussière du filtre lui-même. »
Pour les riverains, cette étude pilote n’est qu’une première étape, qui soulève beaucoup de questions. « Il faut maintenant mener des études complémentaires pour savoir si des PFAS sont présents dans les salles de classe et si les systèmes de ventilation sont efficaces ou non, résume Amélie Boespflug. Ce qui nous inquiète, ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce que l’on ne sait pas. »
Pollutions multiples autour de l’incinérateur
Au-delà des PFAS, l’étude a montré que les concentrations en dioxines — une famille de molécules classées cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer — des des poussières dans un appartement situé à 700 m de l’incinérateur d’Ivry dépassaient celles retrouvées dans les résidus de l’incinération des déchets d’un incinérateur aux Pays-Bas.
Cette étude s’inscrit dans une série de travaux menés depuis 2021 par le collectif 3R, Zero Waste Europe et le bureau d’études de Toxicowatch pour évaluer la pollution autour de l’incinérateur d’Ivry. Tout a commencé avec l’analyse d’œufs de poules élevées dans les jardins autour de l’incinérateur, fortement contaminés aux dioxines.
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Des recherches sur les données de surveillance de l’incinérateur ont ensuite révélé près de 7 000 heures sur deux ans sans contrôle des émissions de dioxines, en raison de dysfonctionnements. Une troisième étude a été menée en 2024, révélant que des mousses — représentatives de la pollution de l’air récente — collectées à proximité de l’incinérateur contenaient de fortes concentrations de dioxines et de métaux lourds.
« La France a fait le choix de l’incinération »
« On a mis trente ans à se rendre compte que les dioxines émises par les incinérateurs d’ordures ménagères étaient problématiques. Avec les PFAS, on se retrouve confrontés au même problème avec des années de retard », regrette Noémie Brouillard, de Zero Waste France.
Bien qu’un arrêté ministériel publié en octobre 2024 prévoie de mesurer 49 PFAS émis par les incinérateurs de déchets à partir du 31 octobre, pour elle, « cela ne résout pas le problème de la pollution, car l’arrêté ne prévoit plus aucun seuil de quantification ». Autrement dit, même si les concentrations de PFAS sont connues, il n’y aura aucune limite réglementaire, ni sanction en cas de dépassement.
Régler le problème à la source
C’est pourquoi, pour le collectif 3R et Zero Waste France, le seul moyen de se protéger des polluants émis par les incinérateurs de déchets est d’appliquer le principe de précaution. Concrètement, cela signifierait un moratoire sur la construction de nouveaux incinérateurs et la réduction au maximum de la production de déchets à la source.
« L’incinérateur d’Ivry-sur-Seine est en fin de vie, sa construction remonte à 1969. Notre collectif s’est mobilisé contre sa reconstruction, mais on a perdu cette lutte, car une nouvelle usine est en train d’être progressivement mise en service », retrace Amélie Boespflug. Sa capacité a été réduite à 350 000 tonnes de déchets brûlés par an, soit environ 50 % de la capacité actuelle. Sauf que le problème a seulement été déplacé, le reste des déchets devant être acheminé vers les incinérateurs de Créteil (Val-de-Marne) et du Havre (Seine-Maritime).
« On investit pour traiter des conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes »
Selon la coprésidente du Collectif 3R, ce cas n’est pas isolé. « La France a fait le choix de l’incinération : 30 % des incinérateurs européens sont sur le territoire. Cette politique industrielle est influencée par les deux géants du secteur, Suez et Veolia. » Puisque des investissements massifs sont réalisés pour construire ou rénover des incinérateurs, il faut ensuite les rentabiliser, ce qui crée une dépendance à l’incinération.
Résultat, les milliards d’euros investis dans les incinérateurs ne sont pas disponibles pour faire de la sensibilisation à la réduction des déchets, ni pour développer des solutions alternatives comme la collecte séparée des biodéchets, la consigne, la réparation, la lutte contre l’obsolescence programmée et le réemploi.
« On est typiquement dans un cas de maladaptation. On continue d’investir dans des solutions qui traitent des conséquences plutôt que de s’attaquer aux causes, déplore Amélie Boespflug. Même avec les meilleurs filtres du monde, les enfants vont continuer à respirer l’air pollué de la cour de récréation. »
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