Les guerres ont un contenu de classe : l’exemple de la Révolution française (LI.fr-26/03/25)

Crédits photo : « Revolution Francaise, 13 Vendemiaire An IV (5 Octobre 1795). Rebellion Royaliste », Musée Carnavalet, Public Domain Dedication.

Par JM SCHIAPPA.

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La guerre est un phénomène que l’on ne peut considérer avec des critères généraux ou abstraits. Toutes les guerres ne se valent pas. Les guerres ont, comme tout phénomène social, un contenu de classe et c’est ce contenu de classe que nous considérons. Entre 1792 et 1801 – les guerres de l’Empire napoléonien sont assez différentes – la Révolution française a été confrontée à la question de la guerre et y a répondu de manière différenciée. Un article de l’historien Jean-Marc Schiappa.

La guerre fut imposée à la Révolution

Et ce, par une alliance assez étonnante, pour ne pas dire contre-nature. Inaugurant la tradition des pouvoirs détournant une colère populaire à l’intérieur vers un problème fantasmé à l’extérieur, Louis XVI menace les monarchies européennes, notamment en leur reprochant en décembre 1791 d’accueillir les rassemblements d’émigrés qu’il avait voulu rejoindre lors de la fuite de Varennes (juin 1791). Incohérence propre aux pouvoirs vacillants et qui n’est en rien la spécificité de la présidence Macron. Mais il ne s’agit pas que d’une incohérence réelle, il s’agit surtout d’attirer la Révolution sur un terrain où elle ne peut combattre.

La guerre, dans l’Ancien Régime, étant le fait des nobles, seuls à pouvoir avoir une arme, et des mercenaires, et le peuple n’étant ni noble ni mercenaire, la défaite de ce dernier est alors assurée. Louis XVI confie que son armée ne pourrait tenir une demi-campagne. La défaite de la Révolution provoquerait immanquablement la pleine restauration de la monarchie absolue.

Mais pour d’autres, à commencer par les ressortissants des monarchies, persécutés dans leurs pays et réfugiés en France, ce n’est pas le même sentiment qu’ils ressentent. Vivant dans un pays de liberté, ils supportent difficilement que leur patrie soit sous le joug. C’est l’époque où, aux frontières de la France, dirigés vers l’étranger, on pouvait lire sur des panneaux « Bienvenue au pays de la Liberté ».

Évidemment, Retailleau et Darmanin seraient bien en peine de comprendre un tel langage. La tentation pour les réfugiés d’aller au secours de leurs frères et sœurs et d’exporter la Révolution est grande. Mais dangereuse. Robespierre s’exclame : « les peuples n’aiment pas les missionnaires armés ». Ce qui est un principe peut être encore plus valable de nos jours qu’à l’époque. Troisième catégorie de bellicistes : la bourgeoisie commerçante qui a besoin d’exporter, notamment en direction des ports de l’Escaut, comme Anvers. Ce sont donc trois objectifs contradictoires que poursuit la coalition momentanée des partisans de la guerre fin 1791.

Contre cette poussée belliciste, Robespierre est seul ou presque. Il perçoit les manœuvres de la Cour et de Louis XVI qui veut dériver les problèmes en cours, il se méfie de certains va-t-en-guerre comme le Girondin Isnard, il s’inquiète de la place que prendrait inévitablement un général vainqueur (Bonaparte lui donnera raison rétrospectivement). Donc Robespierre inaugure la tradition révolutionnaire. Non qu’il soit contre toute guerre par principe. Son principe, en temps de guerre comme en temps de paix, est simple « le peuple, le peuple seul » répond-il.

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Avec la guerre, la Révolution est directement menacée

Une fois la guerre déclenchée, de fait, celle-ci change de nature. La Révolution est directement menacée. Les opérations militaires tournent au désastre. Les généraux nobles passent les uns après les autres à l’ennemi (en fait, les nobles français se rallient aux nobles étrangers). Les régiments se débandent.

« Guerre aux palais, paix aux chaumières »

D’une guerre hypothétique et théorique, on passe à une guerre réelle qui risque d’emporter la Révolution. Les monarchies coalisées multiplient les déclarations menaçantes et prennent les villes sur la route de Paris comme on enfile des perles. Louis XVI et les Girondins passent leur temps à changer de ministres. On compte cinq ministres de la Guerre en trois mois dans un pays en guerre. Cela est du sabotage, de la trahison.

Il ne s’agit pas ici d’écrire, même lapidairement, l’histoire de la Révolution. En un mot, dans un même mouvement, le peuple s’engage dans l’armée qu’il transforme radicalement (200 000 volontaires en quelques semaines), chasse la monarchie par l’insurrection du 10 août 1792 qui voit la fusion des « fédérés » (volontaires de province) et des sans-culottes parisiens, insurrection proprement nationale et unique en son genre, et, enfin, cette armée de tailleurs et de savetiers (disaient avec mépris les nobles émigrés) à Valmy tient en échec les meilleures armées du monde (20 septembre 1792). Le lendemain, la Convention abolit la monarchie.

Révolution et guerre sont du même mouvement : le peuple protège le peuple. Et cela est valable dans l’attitude de la Révolution envers les différents peuples. Il s’agit de faire la guerre aux monarchies et à elles seules. Pendant longtemps, le mot d’ordre des armées révolutionnaires est « Guerre aux palais, paix aux chaumières ».

Mais, contrairement aux lectures simplistes, la Révolution française n’est pas un phénomène tranquille et uni. Avec la chute de Robespierre, les fournisseurs aux armées et les spéculateurs peuvent enfin s’en donner à cœur joie, débarrassés d’une politique contraignante. La guerre est le moyen de s’enrichir et de piller les pays conquis. Elle est aussi le moyen (et c’est complémentaire) d’en finir dans ces pays avec la féodalité et d’imposer de nouveaux rapports sociaux. La guerre, notamment en Italie, donne à la France épuisée d’énormes richesses en numéraire, mais aussi en œuvres d’art.

La guerre n’est pas un phénomène abstrait

Ce que nous voyons au Louvre, par exemple, est essentiellement le produit des razzias et des taxations sur les provinces italiennes. Il est même demandé aux artistes français de venir évaluer ce qui doit être saisi (le peintre David refusa de se laisser prendre au jeu). Les généraux vainqueurs ont de plus en plus un rôle politique à jouer. Ils nourrissent le gouvernement, ils aident le gouvernement contre ses opposants. En brumaire an VIII, un général vainqueur, Bonaparte, se débarrasse du gouvernement. La déclaration qu’il fait afficher dans Paris est sans ambigüité, elle salue la propriété !

Succinctement résumés, les rapports de la Révolution français et de la guerre, avec ses trois moments schématiquement définis, illustrent qu’on ne peut traiter de la question de la guerre sans poser la question fondamentale : la guerre de qui, contre qui, de quelle classe contre quelle classe, au compte de quelle politique ? La guerre n’est pas un phénomène abstrait.

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Source: https://linsoumission.fr/2025/03/26/revolution-francaise-contenu-classe/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/les-guerres-ont-un-contenu-de-classe-lexemple-de-la-revolution-francaise-li-fr-26-03-25/↗

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