Les mégabassines du Poitou sont au point mort, révèle un document interne (Reporterre-29/08/25)

Manifestation contre la construction de mégabassines, près de Migné-Auxances (Vienne), le 19 juillet 2024. – © Jérôme Gilles / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Dans une lettre envoyée à des agriculteurs des Deux-Sèvres et de la Vienne, que Reporterre s’est procurée, le maître d’œuvre du projet de mégabassines égraine de nombreux blocages semblant menacer la viabilité même du projet.

Par Sylvain LAPOIX .

C’est un mail un peu spécial qu’ont reçu, le 25 août, les agriculteurs de la région où sont en construction les mégabassines du Poitou. Illustrée de l’horizon bleu-vert de ces réserves massives d’eau destinée à l’irrigation, la « Lettre d’information de la Coopérative de l’eau 79 » (Coop de l’eau 79, maître d’œuvre du projet) décrit un projet au point mort : la plus grande mégabassine construite est inutilisable, des chantiers sont à l’arrêt faute d’argent, des négociations politiques traînent…

Autant de difficultés qui apparaissent entre les lignes et jettent le doute sur la viabilité de ce projet au centre du débat sur la gestion de l’eau agricole. Ce document, que Reporterre s’est procuré et reproduit ci-dessous, interroge sur la survie des mégabassines du Poitou.

La «  Lettre d’information de la Coopérative de l’eau 79  » envoyée aux agriculteurs.

Sainte-Soline à sec et pour longtemps

Le premier enseignement de ce document concerne la mégabassine de Sainte-Soline, la plus grande réserve du projet construite à ce jour et point de fixation de la contestation depuis la manifestation de mars 2023. Cette mégabassine, avec trois autres non sorties de terre, s’est vue retirer son autorisation environnementale après un arrêt de la cour d’appel administrative de Bordeaux. Dans sa lettre, la Coop de l’eau prévoit de déposer en 2026, sans préciser la date, la demande de dérogation d’espèce protégée demandée par les juges. Au premier regard, une simple démarche administrative.

Si la loi Duplomb — réautorisant notamment des pesticides interdits — simplifie un peu l’affaire en définissant ces réserves d’eau d’« intérêt public majeur », l’arrêt de la cour d’appel administrative exige de remplir deux autres conditions qui portent sur une espèce menacée, l’outarde canepetière, en produisant études et propositions pour réduire et compenser les dégâts des travaux.

D’après Marie Bomare, juriste pour Nature Environnement 17, il faudra plus qu’un formulaire administratif du type Cerfa pour répondre à cette exigence : « L’outarde étant dans une situation critique, il apparaît difficile de la maintenir dans un état de conservation favorable comme le demande la loi alors que les bassines s’implantent en plein dans leur habitat. »

« Un symbole fort »

Or, pas de dérogation, pas de remplissage. Et, suivant le principe de « substitution » d’une mégabassine, le remplissage ne peut avoir lieu qu’en « haute eau », c’est-à-dire quand il est possible de pomper dans les nappes phréatiques remplies par les précipitations d’automne et d’hiver. Faute de dérogation avant le printemps, la bassine pourrait rester à sec durant la saison d’arrosage. Un gros manque à gagner pour les onze agriculteurs raccordés qui comptent sur cette eau, notamment pour leurs céréales. Mais aussi un énorme trou dans la caisse de la Coop de l’eau 79, qui facture cette eau « sécurisée » au prix fort.

Des chantiers à l’arrêt

Second point de blocage : voilà plus d’un an que devaient débuter les travaux d’une nouvelle bassine à Saint-Sauvant (Vienne). Or, rien n’a été fait. « Des prochains chantiers de construction sont à l’étude, l’engagement du département est un enjeu majeur pour la suite du programme », explique poliment la Coop de l’eau 79 dans son communiqué.

Sous cette formule évasive se cachent deux problèmes liés au financement du projet. Comme l’expliquait récemment Reporterre, l’explosion des coûts (notamment de sécurisation et d’électricité) a privé la Coop de l’eau de l’argent nécessaire à de nouveaux chantiers.

Parmi les pistes de financement, les dirigeants négocient depuis plusieurs mois avec la présidente du conseil départemental des Deux-Sèvres, Coralie Dénoues, qui confirmait dans un article du Parisien « [bien travailler] avec la Coop de l’eau 79 pour assurer la continuité du projet et pour le soutenir ».

Par « soutien », la Coop de l’eau 79 espère ici récupérer des financements publics pour couvrir les frais des travaux. En pratique, les promesses de la présidente semblent difficiles à tenir : « Ce projet n’apparaît pas dans le plan pluriannuel d’investissement du conseil départemental et notre budget ne permettrait pas de financer une structure déficitaire sans couper ailleurs, analyse un conseiller d’opposition sous couvert d’anonymat. De plus, cela ne relève pas de nos compétences : il faudrait le soutien de la région ou de l’État pour s’engager. »

Contacté par Reporterre, le conseil départemental des Deux-Sèvres n’a pas donné suite.

Des irrigants abandonnés en rase campagne

Avec 4 mégabassines construites sur les 6 attendues avant 2025 et les 16 prévues au total, beaucoup d’irrigants autrefois favorables à ces infrastructures s’impatientent d’avoir un jour « leur bassine », pour laquelle ils paient l’eau bien plus cher qu’ailleurs, comme l’expliquait Reporterre.

Dans le nord des Deux-Sèvres, sur le bassin du fleuve Thouet, certains agriculteurs n’ont même pas vu le moindre projet d’ouvrage. Dans des termes choisis, la Coop clarifie la situation dans son communiqué : un plan d’action est à l’étude, et « peut prendre plusieurs formes dont la clôture temporaire de la section du Thouet ». Pour le sud des Deux-Sèvres, sur la rivière Boutonne, la situation bloquée depuis un an est suspendue aux résultats de « travaux ». Laissant d’autres agriculteurs dans l’attente de savoir si oui, ou non, ils auront leur bassine.

Mauvais signal pour les autres projets

« En 2025, l’activité de la Coopérative de l’eau 79 est largement orientée vers la communication », conclut la Coop comme un aveu, avant d’encourager les agriculteurs à « [montrer leurs] pratiques, [leurs] avancées technologiques ou en matière d’assolement ». Comme une injonction à envoyer les signaux nécessaires pour recevoir le soutien attendu des pouvoirs publics. Malgré cette priorité donnée à la communication, la Coop de l’eau 79 n’a pas donné suite à nos sollicitations.

« Le bulletin le dit avec beaucoup de langue de bois, mais le constat est là : le bateau prend l’eau de toute part », affirme Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. Sans aller jusqu’à crier victoire, il perçoit l’accumulation de signes de fragilité révélateurs : « Le statu quo sur Sainte-Soline, c’est un symbole fort. L’arrêt des chantiers offre une année de répit aux outardes. Une victoire écologiste, cela peut parfois être juste de freiner un projet. »

Au moment où la loi Duplomb semblait ouvrir grand la porte à la généralisation du modèle, les difficultés rencontrées par ce projet phare pourraient bien rafraîchir les irrigants qui rêvent de leurs propres réserves.

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Source: https://reporterre.net/Les-megabassines-du-Poitou-sont-au-point-mort-revele-un-document-interne

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