Les mégalithes du Morbihan témoignent de « la démesure » d’un royaume richissime (OF.fr-16/04/23)

À l’extrémité de la presqu’île de Rhuys (à Arzon), le site mégalithique du Petit Mont domine l’océan et le golfe du Morbihan

Les sites mégalithiques du sud du Morbihan sont exceptionnels, notamment par leur concentration sur un territoire restreint, marqueurs d’une société néolithique puissante, riche et voyageuse. Serge Cassen, archéologue et directeur de recherche au CNRS, en dévoile la riche histoire.

 Il faut finalement rendre compte d’une démesure , résume, dans Carnac, Récit pour un imagier*, Serge Cassen, directeur de recherches au CNRS et au sein du Lara (Laboratoire de recherche archéologie et architecture) de l’université de Nantes, spécialiste des sites mégalithiques du sud du Morbihan.

552 monuments identifiés

C’est lui, avec Christine Boujot, archéologue ingénieure de recherche au sein de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) de Bretagne, qui a notamment contribué à définir les attributs (caractéristiques interdépendantes dont la combinaison donne sa particularité unique au territoire) de ce patrimoine exceptionnel dans le dossier Unesco et a proposé les limites du territoire qui y figure. Il intègre quatre aires centrales et une  zone tampon , comptant au total 552 monuments dont 397 dans ces quatre périmètres essentiels recouvrant 171 km2.

Ces monuments sont distingués en deux attributs (parmi les cinq du dossier.) Le premier est composé des ouvrages de stèles. Ce sont les menhirs.  La stèle, objet radical, lorsqu’il est reproduit donne un ouvrage de stèles, explique Serge Cassen. Quand ces ouvrages sont doublés ou triplés, on parvient à cet ensemble extraordinaire, que sont les alignements de Carnac.  Les cromlechs ou enceintes sont également des ouvrages de stèles, souvent en relation avec les alignements ou les menhirs isolés. On compte environ 150 ouvrages sur le territoire de plus d’une dizaine de milliers de stèles dressées, ce qui constitue un patrimoine unique au monde.

Pour l’archéologue Serge Cassen, ici au cœur des alignements de Carnac, les mégalithes de ce territoire sont les marqueurs d’une société contrôlée par « des rois magiques ou divins ».

Des tombeaux à l’art pariétal

Le deuxième attribut regroupe les tombeaux, dont les trois tumulus carnacéens (à Carnac, Locmariaquer et Arzon), aux proportions hors du commun.  Il s’agit d’abord des tombes individuelles, sous des tertres, précise l’archéologue. On a constaté des correspondances entre ces tertres et les ouvrages de stèles. Mais on s’est rendu compte aussi que ces tertres se prolongeaient dès la fin du V e millénaire (av J.-C.) par la grande famille des tombes à couloirs, des dolmens. 

En lien avec les stèles et les tombes, le troisième attribut est l’art pariétal rupestre. On trouve en effet sur le territoire 158 dalles gravées.  C’est une représentation du monde, indique le spécialiste. Avec des gravures très spécifiques de ce territoire où l’on trouve plus de 50 % des gravures de tout l’ouest de la France. C’est extraordinaire. 

Le quatrième attribut rassemble les dépositions, accumulation unique au monde d’objets polis dans des matériaux rares d’origines lointaines.  C’est le plus petit attribut, mais il est indispensable pour comprendre cette société. C’est ce qui fait aussi la réputation des lieux : les haches en jade et les parures en turquoise variscite font partie intégrante des sites. 

Ces quatre attributs, avec un cinquième qui est le paysage maritime du territoire, montrent, dans ce dossier Unesco, le caractère exceptionnel de cet ensemble. Et permettent de comprendre cette société néolithique. Si ces sites du sud du Morbihan ont été  actifs  durant l’ensemble du Néolithique, les plus spectaculaires ont été bâtis entre 4 600 et 4 300 ans av. J.-C.  C’est l’époque des grands tumulus carnacéens, avec les dépôts de jade et de turquoise, celle des grandes stèles , résume Serge Cassen.

Les alignements mégalithiques de Kermario, à Carnac.

Une société néolithique riche

C’est aussi l’époque des agriculteurs-éleveurs avec des nouveautés fondatrices :  des animaux extraordinaires qu’on n’avait jamais vus, comme les bovins, les caprins, les espèces végétales qu’on pouvait domestiquer, reproduire, qui participaient à la fabrication d’aliments qu’on n’avait aussi jamais vus. Et des outils nouveaux, des armes nouvelles comme la hache polie. Il se produit probablement là un déclic et certaines personnes vont pouvoir capturer une partie de cette richesse et la développer. Il nous manque les étapes formatives de ce processus mais à un moment donné on voit bien qu’en plein milieu du V e millénaire (av. J.-C.), on construit des tombes gigantesques et que des personnes se distinguent absolument du reste de la population au même titre que des rois magiques ou divins d’autres sociétés par le monde. J’ai pensé au terme de royauté pour qualifier cette société parce que c’est ce qui me semble le plus légitime. 

Elle était notamment prospère grâce au sel.  Ils ont dû trouver la technique pour laver les sables pour récupérer une saumure qui, une fois chauffée, va cristalliser des pains de sel. Ce sel marin très prisé, qui n’a rien à voir avec le sel terrestre, a dû être une des sources de la richesse de cette société. On voit à l’échelle de la planète l’importance des pains de sel dans les transferts, dans les moyens de paiement, le prix du sang, de la fiancée… 

L’autre vecteur de richesse de cette société néolithique était le contrôle des voies maritimes. Ainsi naviguaient-ils par bateau sur la mer, les rivières et les fleuves, avec des bateaux plus importants que des pirogues et échangeaient notamment avec des peuples d’Italie et d’Espagne.  On a même trouvé des haches qui viennent du versant italien des Alpes, qui arrivent ici, sont mises en forme aux  normes morbihannaises  , avec une morphologie bien précise, et qui repartent jusque dans le Sud de l’Italie. Il faut se rendre compte du voyage qu’elles ont fait !  Et l’on comprend ainsi l’influence considérable que ce royaume pouvait exercer.

*Carnac, Récit pour un imagier, Série Lithogénie, Diffusion Les Vaisseaux de pierre, Carnac

À retrouver chaque semaine sur Ouest-France.fr

Retrouvez, chaque semaine jusqu’à la fin de l’été, dans votre édition morbihannaise de Dimanche Ouest-France et sur Ouest-France.fr, un des vingt volets de la passionnante histoire des mégalithes de Bretagne Sud, qui concourent pour intégrer la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Les textes de Grégoire Laville et photos d’Yvon Boëlle sont tirés d’un livre à paraître aux éditions Ouest-France, en octobre 2023. Terre de Mégalithes, Carnac et les rives du Morbihan. Beau livre cartonné 22×26, 144 pages. Prix public TTC : 30 €.

Grégoire LAVILLE

Source: https://www.ouest-france.fr/culture/patrimoine/les-megalithes-du-morbihan-temoignent-de-la-demesure-dun-royaume-richissime-4fb3522e-dac1-11ed-8915-951d49175b81

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/les-megalithes-du-morbihan-temoignent-de-la-demesure-dun-royaume-richissime-of-fr-16-04-23/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *