Les yeux mouillés (RougeMidi-17/07/25)

Par Charles HOAREAU

Comment écrire ce matin ?
Même mes doigts ne savent plus taper…
Que doit-il se passer dans sa tête ?
Je l’imagine dans sa cellule où José et Daniel, les infatigables depuis tant d’années, vont le rejoindre pour me rappeler plus tard.
« La décision est irrévocable. »
Il a fallu que José me le confirme de vive voix. Pourtant je connais bien la procédure et ses méandres mais il a fallu que je l’entende sans pouvoir répondre, à peine bredouiller un merci…
Il est libéré le 25 juillet.
Il est déjà dans l’Histoire, depuis 41 ans un peu plus chaque jour.
Il est tellement présent dans nos espoirs, nos craintes, nos colères et nos doutes.
Cela se bouscule derrière mes yeux brouillés.
On pense évidemment à Suzanne, elle qui a tant fait et a été à l’origine de la mobilisation grandissante pour sa libération.
Je revois nos bulletins de vote aux dernières européennes qui ont failli être rejetés parce qu’ils portaient son nom : comme je suis heureux que nous n’ayons pas lâché au risque que toute la liste soit invalidée…
Depuis hier soir ça montait dans les messages, jusqu’à celui de 9h moins 5 : « tu crois que cette fois-ci c’est la bonne ?
 Je n’ai plus d’avis je n’ai que des insomnies »…

Et puis le message de José…
J’avais à peine diffusé la nouvelle que le 1er appel fut celui de Jean Paul Delescaut… Il voulait être sûr lui aussi…
Et lui aussi il lui manquait les mots…
Et depuis les appels, les sms, les messages dans des groupes, tout se bouscule.
« Ce soir pour une fois le rassemblement pour Georges sera festif » ai-je écrit en vitesse. Soraya ou quelqu’un d’autre va faire une affiche que l’on relaiera.
La vie fait que je ne pourrai pas être là ce soir mais toute ma journée mes pensées seront entre Lannemezan et mes camarades de Marseille et d’ailleurs, toujours plus nombreuses et nombreux à prendre en plein cœur le combat pour Georges, étendard de la Palestine. « Ensemble ce n’est qu’ensemble » comme il l’a toujours dit, que nous avons tenu.
Avec Lui, nous avions bien plus qu’un exemple, un repère, une boussole, un appui. Oui du fond de sa prison c’était lui l’appui, le solide qui en était même parfois à remonter le moral de celle ou celui qui se désespérait devant l’éternisation de sa si injuste peine…
Il nous avait fixé le cap : ce sera la victoire ou la victoire.
La multiplication des manœuvres, les menaces, les chantages, les coups tordus de toute sorte n’y auront rien fait : le roc a tenu.
Je n’irai pas à mon prochain parloir, j’irai au Liban.
Au début je ne voulais pas aller le voir en prison, je voulais l’accompagner au Liban pour sa libération. Suzanne m’avait dit : « le jour où il est libéré on fait un charter pour Beyrouth ».
Puis il y a eu le coup tordu de Valls [1] et Suzanne m’a convaincu de faire ma demande…
Chaque visite a été un moment d’émotion réciproque. Un moment d’échange politique fort aussi : les guerres, la Chine, le mouvement communiste en France et dans le monde, les lambeaux du PCF et puis bien sûr à chaque fois, omniprésente, la Palestine, les camps, le Liban, la Syrie et les « chiens de garde sionistes ». Et planant au-dessus de tout ça, une fraternité immense.
On ne sortait pas indemne d’une rencontre avec Georges.
Je ne sors pas indemne non plus de cette annonce de libération, après tant de demandes que même l’avocat en perd le compte.
Parmi les messages qui circulent, beaucoup parlent de la nécessité d’assurer sa sécurité. Ils disent ainsi la tendresse qui entoure celui qui est maintenant rentré dans nos familles, notre vie, notre cœur.
Il nous appartient disent ces mots.
Depuis le Liban il sera avec nous. La lutte pour la Palestine, contre la colonisation, contre toutes les colonisations et tous les impérialismes continuera de plus belle. Celle contre le capitalisme aussi. Bien sûr c’est un long, très long combat. Il arrive qu’on perde des batailles, qu’on titube sous les coups, qu’on chancelle ou se trompe mais nous continuerons jusqu’à « la victoire ou la victoire ».
Il continue à nous y appeler.
Au bout de 41 ans les portes de la prison s’ouvrent pour lui.
Il a toujours été libre.

[1] en 2014, Manuel Valls alors ministre empêcha la libération que le conseil d’état avait ordonnée

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Source: https://www.rougemidi.org/spip.php?article10353

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/les-yeux-mouilles-rougemidi-17-07-25/

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