L’État français musèle les écologistes, dénonce Amnesty International (Reporterre-3/07/25)

Février 2024, des gendarmes mobiles encerclent des militants perchés dans des arbres contre l’A69. – © Antoine Berlioz / Hans Lucas via AFP

Nouvelles lois, amendes, éléments de langage médiatiques… Dans un rapport, Amnesty International analyse la stratégie méthodique des autorités françaises pour réprimer les militants écologistes.

Par Emmanuel CLEVENOT.

« Une attaque ciblée et intentionnelle. » Le 3 juillet, Amnesty International a dévoilé un grand panorama des multiples répressions que subissent les défenseuses et défenseurs de l’environnement. Orchestrées par l’État, celles-ci sont de plus en plus nombreuses, assurent les auteurs du rapport. Toute une stratégie aurait même été établie pour mieux réduire au silence toutes les voix exigeant une réponse politique à la hauteur de l’urgence climatique.

Instrumentalisation du droit pénal, utilisation d’une rhétorique stigmatisante, maintien de l’ordre brutal… Les autorités s’appuient sur un panel de leviers pour dissuader les militants et collectifs écologistes d’exercer leurs droits. En d’autres termes : elles les effraient pour limiter l’activisme et bâillonner l’espace civique.

En se débarrassant des défenseurs de l’environnement, le gouvernement sort la question climatique du débat public et peut ainsi persévérer dans l’inaction et même poursuivre ses politiques néfastes. Une stratégie bénéfique pour certaines entreprises, qui peuvent poursuivre leurs activités néfastes en toute impunité. « Ce n’est pas seulement un sujet de débat qui nous est retiré, s’alarme Margot Jaymond, chargée de plaidoyer à Amnesty International. C’est notre futur. »

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Dès février 2024, face à la montée de l’autoritarisme, l’ONU sonnait l’alerte sur cette tendance « généralisée et croissante » à réprimer et criminaliser la lutte contre le changement climatique. Avec en première ligne, les États-Unis de Donald Trump ainsi que les pays européens gangrenés par l’extrême droite. Avec ces nouveaux travaux, Amnesty International accuse l’État français d’avoir basculé dans pareille logique.

Le droit instrumentalisé

Premier ressort de cette stratégie : la judiciarisation du maintien de l’ordre. Avec l’adoption d’une multitude de dispositifs législatifs et judiciaires, le droit de manifester s’est terriblement durci. Le délit dit d’attroupement offre aujourd’hui aux forces de l’ordre la possibilité de disperser des militants dès lors qu’elles ont « l’impression » qu’il y a là une intention de troubler l’ordre public. Une définition alambiquée laissant place à l’arbitraire et l’abus.

De la même façon, organiser ou participer un rassemblement préalablement interdit par la préfecture est passible d’une peine pouvant grimper jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. Exemple d’actualité : quiconque se joindra à la grande mobilisation anti-A69 baptisée « Turboteuf » — censée se tenir les 5 et 6 juillet — tombera sous le coup de cette pénalisation, des arrêtés préfectoraux ayant interdit l’événement.

Cette instrumentalisation du droit pénal a le bras long. La loi « anticasseurs » a, elle, conduit à transformer la dissimulation du visage en un délit. Le droit international la considère pourtant légitime pour les manifestants, notamment pour éviter des représailles à l’heure où les forces de police ont « une utilisation abusive des technologies de surveillance ». Citons encore le délit « d’outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique », appliqué à outrance alors même que la critique est « un acte relevant de l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression », précisent les autrices et auteurs.

Le 9 novembre 2023, l’ambiance était à la fête devant le Conseil d’État, après que les juges ont prononcé l’annulation de la dissolution des Soulèvements de la Terre. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Introduit au Code pénal en 2010 pour lutter contre les bandes organisées, le motif de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences » est lui aussi détourné pour mieux criminaliser la désobéissance civile. En mai 2024, 201 militants ont été placés en garde à vue à la suite d’un rassemblement devant les locaux d’Amundi, l’un des principaux actionnaires de TotalEnergies. Ils avaient subi des violences policières et avaient été privés d’eau et d’accès aux toilettes, d’après une enquête de Reporterre.

Terrorisme et criminalité organisée

Conséquences de cette instrumentalisation du droit, souvent contraire au droit international ? Des chiffres invraisemblables. Prenons le cas de la lutte contre l’A69 : des centaines de gardes à vue, 130 individus poursuivis, 60 procès passés et à venir, 7 personnes placées en détention, 44 autres sous contrôle judiciaire et 27 privées de territoire ont été recensés entre février 2023 et août 2024. La plupart de militants concernés avait pourtant pacifiquement exprimé leur opposition au chantier, en se perchant notamment dans des arbres menacés d’abattage à l’image des dits « écureuils ».

Tous les prétextes semblent bons aux yeux des autorités pour sanctionner. Quitte, parfois, à frôler l’absurdité. Des « décrocheurs » de portraits officiels d’Emmanuel Macron affichés dans les mairies ont ainsi été accusés de « vol en réunion » pour ces actions symboliques et non-violentes visant à dénoncer l’inaction climatique du président.

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Parfois, un cap est même franchi avec la saisine de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire. « [Cette] application d’accusations liées au terrorisme et à la criminalité organisée à l’encontre de militant·e·s impliqué·e·s dans des actes pacifiques de désobéissance civile soulèvent des préoccupations quant au respect du principe de proportionnalité auquel doit se conformer toute réponse d’un État », détaille le rapport.

Les répercussions de cette stratégie sont immédiates sur les activistes et collectifs écologistes. Même sans condamnation, cette judiciarisation dissuade, intimide et fait peser sur eux une charge financière, mentale et chronophage. Autant de ressources perdues pour la lutte contre la crise climatique.

Et pourtant, l’État assume : en novembre 2022, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti avait adressé aux procureurs une circulaire appelant à « un traitement judiciaire spécifique » et une « réponse pénale systématique et réactive » à l’encontre des personnes interpellées en marge d’une mobilisation contre les mégabassines. Il réclamait aussi de requérir des interdictions de paraître ou de participer aux manifestations. Un recul de plus pour la liberté d’expression.

« Khmers verts »

« Djihadisme écolo », « despotisme à la chlorophylle », « guerre civile », « khmers verts », « ultraviolents » : certains médias — CNews en tête — participent d’une autre façon à délégitimer les défenseurs de l’environnement, en usant d’une rhétorique stigmatisante à leur encontre. Et ce ne sont pas les seuls. Alors ministre de l’Intérieur et de l’Agriculture, Gérald Darmanin et Marc Fesneau avaient déjà employé les termes « terrorisme » et « menace ». À la veille de la grande mobilisation de Sainte-Soline en mars 2023, le premier avait même déclaré que certains militants voulaient « peut-être tuer des gendarmes ».

S’il n’existe aucune mention dans le Code pénal d’« écoterrorisme », ces qualificatifs créent un imaginaire violent et concentrent l’attention sur ce soi-disant ennemi de l’intérieur pour éviter d’évoquer le fond du sujet. « Cette rhétorique offre aussi une couverture politique à des réponses restrictives, et prépare le terrain pour la répression policière », dit à Reporterre Margot Jaymond.

À Sainte-Soline, lors de la manifestation contre les mégabassines de mars 2023, 200 blessés ont été dénombrés par la Ligue des droits de l’Homme. © Les Soulèvements de la Terre

Cette fois-ci, à Sainte-Soline, 200 blessés — dont 40 grièvement — ont été dénombrés par la Ligue des droits de l’Homme. Deux hommes, Serge Duteuil-Graziani et Mickaël Boulay, ont même été plongés dans le coma. À l’origine de cette hécatombe, plus de 5 000 grenades balancées par les forces de l’ordre en seulement deux heures. Sans compter les tirs de LBD. « [Ces armes] ont d’ailleurs déjà tué, notamment Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans décédé en 2014 suite à l’explosion d’une grenade offensive OF-F1 tirée par un gendarme lors d’une manifestation contre le chantier du barrage de Sivens dans le Tarn », précise le rapport.

Les témoignages des personnes victimes de ces violents ont traversé les collectifs de lutte, jusqu’à pousser certains militants à renoncer à la mobilisation. « Cet obstacle est particulièrement fort pour les personnes racisées et issues de quartiers populaires et de territoires dits “d’Outre-mer”, qui font déjà face quotidiennement à des pratiques policières humiliantes et brutales souvent basées sur un racisme systémique et un sentiment d’impunité dans le maintien de l’ordre », ajoute Amnesty International.

À Toulouse, de nombreux amis et camarades de Serge s’étaient réunis fin mars 2023 pour lui témoigner leur solidarité durant son hospitalisation. © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Dans un entretien accordé à Reporterre en mai 2024, le rapporteur spécial de l’ONU, Michel Forst déclarait d’ailleurs que « la France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants écologiques ».

Couper les vivres

Parmi les nombreux autres ressorts mentionnés dans l’étude figurent les attaques répétées de ministres et de parlementaires à l’encontre de l’Ademe, de l’Agence Bio, de l’Office français de la biodiversité (OFB) et de la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce, sous couvert de « simplification ».

Parfois aussi, l’État vise directement le portefeuille. « La loi confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme, adoptée en août 2021 permet de faciliter le retrait de subventions publiques », ajoutent les auteurs. Celles-ci sont conditionnées au respect de maints principes, dont celui de la sauvegarde de l’ordre public. Le mouvement Alternatiba a ainsi été victime d’une tentative de sanctions pour avoir organisé des ateliers sur la désobéissance civile.

« La lutte climatique est bel et bien la cible d’une stratégie délibérée pour porter atteinte à sa capacité d’action », dit à Reporterre Margot Jaymond, la chargée de plaidoyer. Ces mobilisations, directement orientées contre des projets et politiques incompatibles avec l’urgence climatique, sont pourtant légitimes. De la marche du sel en Inde contre le régime colonial britannique en 1930, au mouvement Black lives matter (les vies noires comptent) à l’aube des années 2020, en passant par les marches des fiertés nées au lendemain des émeutes de Stonewall aux États-Unis en 1969… Elles ont été, et continueront d’être, « des outils essentiels » dans la bataille contre l’inaction politique.

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Source: https://reporterre.net/L-Etat-francais-musele-les-ecologistes-denonce-Amnesty-International

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