
« L’euphorie. Forcément », décrit Janine Troel, 80 ans après la libération de Landerneau. Depuis le salon de coiffure de la rue Saint-Thomas, elle a aussi vécu les terribles années d’occupation.
Par Yann LE GALL.
« On a entendu quelques tirs lointains. Les Allemands ont disparu d’un coup pour se cacher dans les bois avant de se replier sur Brest. Puis j’ai vu les Américains ». Janine Troel, fille Le Bricon à l’époque, avait 16 ans quand les libérateurs de Landerneau ont fait leur apparition, le 10 août 1944. « J’ai bricolé un drapeau bleu-blanc-rouge en teignant des bouts de tissu ». Les restes de lotions du salon de coiffure pour dames de la rue Saint-Thomas ont fait l’affaire.
« Il régnait une euphorie générale en ville. Il y a eu quelques fêtes. Au Family je crois. Mais je n’y ai pas participé. J’avais du travail au salon. Je ne quittais pas beaucoup le quartier. Et maman me surveillait. De peur qu’il m’arrive quelque chose ». On ne bascule pas d’un claquement de doigts dans la totale insouciance après quatre années d’actions entravées par le recours vital à l’extrême prudence.
Du côté de la Résistance
Autant que l’arrivée des fantassins de l’US Army, Janine se souvient de celle des soldats de la Wehrmacht, en 1940. Du haut de ses 12 ans, elle a vite compris qu’il fallait s’en méfier comme de la peste. De tous ces « salauds » de collabos aussi. « Je savais qui étaient certains. Dont le pire de tous, que j’ai vu porter l’uniforme allemand ». Responsable de tant d’exécutions de Résistants landernéens – « je connaissais ceux des Gars-d’Arvor » –, l’impitoyable Kommando Schaad et ses dénonciateurs affidés n’ont cependant pas anéanti tout le réseau.
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La famille Le Bricon a survécu. « J’en ai vu des résistants sortir de la cour de la scierie de mes grands-parents, rue Lafayette. Ils me disaient : tu n’as rien vu », se souvient Janine. Pas plus dupe de ce que sa mère lui dissimulait quand elle lui ordonnait d’aller dans la cuisine à l’arrivée de certains visiteurs.
Gare aux clientes
« Elle avait noué contact avec Andrée Virot, coiffeuse brestoise qui avait trouvé refuge à La Roche-Maurice. Elle était devenue responsable d’opérations d’évasions d’aviateurs anglais. Ma mère a dû servir de boîtes aux lettres. Une nuit, elle m’a même emmenée assister à un largage de colis d’un avion pour la Résistance, dans un champ de Saint-Thonan ». Au salon, en revanche, pas de tapage. On s’exprimait le moins possible. Surtout lorsque la cliente avait la réputation de fricoter avec l’occupant.
Toutefois, si l’ado tenait sa langue dans le commerce pour dames, quand on a entre 12 et 16 ans, le cœur et la spontanéité ne se maîtrisent pas toujours. Janine a servi du café aux malheureux juifs de Brest, parqués place Saint-Thomas, dans une halte sur la route de leur déportation. Sous les regards médusés des escortes allemandes.
Quatre ans de privations
Elle a vécu « la peur de (sa) vie » quand elle a envoyé promener un soldat qui lui imposait une énième fouille : « Il m’a demandé si je transportais quelque chose, comme du beurre. Je lui ai dit que je n’avais rien. Il a pointé son arme vers moi et ouvert mon sac. Heureusement, je n’avais que du lait écrémé ! »
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Une précieuse marchandise par les temps qui couraient. « À force d’aller tenter y trouver de la farine, à vélo, je connaissais tous les moulins du coin par cœur. Il nous en fallait pour faire des crêpes. Qu’est-ce qu’on a pu être privés de nourriture ! Quatre ans d’occupation, c’est long ». Quatre ans qui lui auront volé une grande partie de sa jeunesse.
« Il est temps que je parle de tout ça »
Certains de ses arrière-petits-enfants traversent une adolescence tout autre que fut la sienne. À eux aussi, elle essaye de transmettre son inestimable témoignage : « Ils se rendent compte que mamie en sait des choses sur Landerneau », sourit la nonagénaire à la mémoire intacte et même ravivée par les célébrations des 80 ans de la Libération. « J’étais alors la plus jeune de la bande d’amis de Saint-Thomas. Aujourd’hui, je suis la dernière. Ou presque. Je pense qu’il est temps que je parle de tout ça ».
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