Libération : presse bourgeoise et art de la disqualification ciblée (IO.fr-1/06/25)

(AFP)

Il y a des jours où la presse dite « de gauche » tombe le masque. Libération, naguère fleuron de l’insolence post-68, n’est plus qu’un rouage docile de la machine à broyer toute contestation authentique de l’ordre établi.

Par Edouard RICHARD.

Libération, naguère fleuron de l’insolence post-68, n’est plus qu’un rouage docile de la machine à broyer toute contestation authentique de l’ordre établi. L’entretien infligé à Mathilde Panot le 20 mars 2025 en est une démonstration éclatante, un cas d’école de la violence symbolique exercée par la presse bourgeoise contre celles et ceux qui osent remettre en cause les fondements du pouvoir économique et social. Dans le même temps, François Ruffin, lui, bénéficie d’un traitement de faveur, d’une bienveillance suspecte, qui en dit long sur la volonté de la rédaction de Libération de façonner ses « opposants acceptables ».

Mathilde Panot : l’interrogatoire inquisitorial

Dès la première question, le ton est donné : « La polémique sur votre visuel caricaturant Cyril Hanouna a-t-elle gâché la manifestation ? » Voilà comment on réduit, avant même qu’elle ait lieu, une manifestation qui sera finalement une réussite, en regroupant des centaines de milliers de manifestants, à une polémique montée en épingle, instrumentalisée pour accuser la France insoumise d’antisémitisme. Peu importe que l’affiche ait été retirée dans l’heure, peu importe que la mobilisation ait rassemblé d’abord les organisations de jeunesse et bien au-delà des rangs insoumis : la journaliste de Libération préfère attiser les braises de la polémique politicienne plutôt que de s’intéresser aux causes profondes du racisme et de la montée de l’extrême droite.

Mais l’acharnement ne s’arrête pas là. On exige de Mathilde Panot qu’elle se justifie sans cesse, qu’elle s’excuse, qu’elle se désolidarise, qu’elle se renie. « Vous avez plus de mal à dénoncer l’antisémitisme quand il n’émane pas de l’extrême droite », assène la journaliste, insinuant sans la moindre preuve une complaisance imaginaire. Où sont les faits ? Où sont les chiffres ? Où est la rigueur journalistique ? Disparus, dissous dans l’obsession de criminaliser les insoumis, leurs représentants, leurs militants.

Pire encore, la rhétorique de Libération vise à assimiler LFI à des pages sombres de l’histoire, à opérer un glissement sémantique qui n’a d’autre but que d’avilir et de discréditer : « Vous dressez un parallèle entre l’arrivée au pouvoir des nazis et la période actuelle. Mais n’êtes-vous pas aussi en train de reproduire la stratégie du Parti communiste allemand de l’époque… ? » Voilà comment on tente de transformer la vigilance antifasciste en complicité avec la montée des périls. Ce n’est pas qu’historiquement inexact (les travaux de Chapoutot sont à cet effet assez éclairants) : c’est ignoble, indigne ; c’est surtout la marque d’une presse qui a choisi son camp.

Ruffin : la fabrication du « bon gars de gauche »

A l’opposé, quand vient le tour de François Ruffin, la même journaliste se mue en confidente compatissante. Les questions deviennent ouvertes, consensuelles, presque déférentes : « La droite s’organise. Et la gauche ? », « Qui doit organiser la primaire ? », « Pourquoi y aurait-il besoin d’une candidature Ruffin ? » On déroule le tapis rouge au « bon élève », au « rassembleur raisonnable », à celui qui ne menace pas vraiment l’ordre bourgeois.

On l’invite à s’exprimer, à se projeter, à incarner une alternative « acceptable » à la radicalité insoumise. On ne lui demande pas de se justifier, on ne le somme pas de s’excuser. On lui offre une tribune.

Ce traitement différencié n’a rien d’anodin. Il s’agit d’une opération politique délibérée : isoler les figures qui dérangent, qui contestent, qui refusent de plier, et promouvoir celles qui acceptent les règles du jeu. François Ruffin, qu’on connut plus offensif sur cette question, est devenu, par ses positions, son utilisation de l’écosystème médiatique, la caution d’une gauche domestiquée, inoffensive, digeste pour les salons parisiens et les conseils d’administration.

Mais qu’à cela ne tienne : ce n’est pas une question de personnes. Les plus attentifs ici auront remarqué qu’à chaque saison, il est de bonnes raisons pour les vendeurs de papier de vendre du papier, et pour diverses personnalités, parfois de talent, d’aller dans le sens du vent pour exister à coups de une.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce double standard journalistique n’est pas le fruit du hasard ni d’une quelconque maladresse rédactionnelle. Il est l’expression d’un projet de classe. La presse bourgeoise, qu’elle s’affiche de gauche ou de droite, n’a qu’un seul objectif : maintenir l’ordre social, empêcher l’émergence d’une alternative anticapitaliste crédible, fragmenter la gauche, neutraliser la contestation. Elle criminalise la radicalité, elle valorise la modération, elle façonne – à sa manière – le débat public. Pour que rien ne change jamais vraiment.

Face à cette offensive, il ne suffit plus de dénoncer. Il nous faut refuser la hiérarchie de respectabilité imposée par les éditorialistes et les propriétaires de presse. Il faut défendre celles et ceux qui subissent la violence symbolique de la bourgeoisie médiatique, parce qu’ils portent la voix des sans-voix. Face à une meute déchaînée, qui n’aura jamais d’autre projet que de perpétuer la domination de sa classe, les insoumis·es, eux, continuent de tenir bon.

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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/06/01/liberation-presse-bourgeoise-et-art-de-la-disqualification-ciblee/

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