
La loi qui réintroduit des pesticides dangereux sera envoyée en commission mixte paritaire, sans débat, à la suite de la motion de rejet votée par les députés du centre à l’extrême droite. Écologistes et Insoumis dénoncent un déni de démocratie.
Par Fanny MARLIER, Jeanne CASSARD et Nnoman CADORET (photographies).
Paris, reportage
L’adoption d’une loi aux effets dangereux pour la santé et la biodiversité se fera sans débat. L’examen du texte visant à « lever les contraintes et l’exercice du métier d’agricultrice » aussi appelée « loi Duplomb », qui devait démarrer lundi 26 mai à l’Assemblée nationale, n’aura pas lieu.
À la place, les partisans de ce texte ont adopté une motion de rejet visant à contourner les amendements déposés par les Écologistes et les Insoumis. L’examen de cette loi écocidaire passera donc directement en commission mixte paritaire (CMP), où la droite est majoritaire. Celle-ci réunira sept députés et sept sénateurs pour travailler sur la version du Sénat avant de faire l’objet d’un vote des deux chambres, sans possibilité d’amender quoi que ce soit.

Au motif que la gauche a déposé les deux tiers des 3 500 amendements, et qu’il serait impossible de les examiner en trois jours, le rapporteur du texte, le député Les Républicains (LR) de l’Aisne Julien Dive avait annoncé ce weekend le dépôt de cette motion de rejet. Fulminant une « obstruction parlementaire », les partisans du texte ont choisi de contourner les règles du jeu démocratique afin d’entériner son passage en force. C’est aussi une façon d’éviter les discussions au sein même du bloc central, divisé sur ce texte.
Guerre déclarée à la biodiversité
Dans le détail, le texte pourrait réintroduire des pesticides dangereux, encourager l’épandage par drones, favoriser la construction de mégabassines, détruire les zones humides et affaiblir l’indépendance de l’Anses, l’agence nationale chargée d’évaluer et d’autoriser la mise sur le marché des pesticides.

Devant l’Assemblée nationale, les huit tracteurs des agriculteurs syndiqués à la FNSEA ont klaxonné à l’annonce du résultat du vote. « Écolo + LFI = tueurs d’agri », ou encore « Pas +, pas – : juste les mêmes normes que nos voisins européens », pouvait-on lire sur leurs pancartes.
Arrivés au petit matin, ils étaient une cinquantaine arborant casquettes, gilets et drapeaux floqués du syndicat qui défend une agriculture productiviste intensive avide de produits phytosanitaires. Un moyen de faire pression sur les députés pour qu’ils votent le texte coûte que coûte. La loi Duplomb découle directement des revendications de la FNSEA, le sénateur LR Laurent Duplomb est d’ailleurs lui-même un ancien représentant du syndicat.

Visiblement mal à l’aise de voir les débats de l’Assemblée nationale piétinés, la présidente du Palais Bourbon, Yaël Braun-Pivet, a tenté quelques heures avant le vote de trouver une forme de compromis. Vers 15 heures, elle a mis tous les présidents de groupe autour de la table afin de leur proposer une procédure de temps législatif programmé, qui aurait permis de fixer à l’avance la durée des débats d’un texte.
Centre, droite et extrême droite refusent tout compromis
Seule condition : que les députés de gauche acceptent de retirer un nombre conséquent d’amendements. Les Écologistes et les Insoumis ont accepté de revoir leur copie. En face, ils se sont heurtés à une opposition ferme de la droite, du bloc central et de l’extrême droite.
« Nous étions prêts à discuter des conditions pour que ce débat ait lieu, mais nous sommes face à une situation absurde dans laquelle le rapporteur de la loi porte une motion de rejet contre son propre texte, a déclaré la présidente du groupe écologiste et social, Cyrielle Chatelain. Les partisans de cette proposition de loi préfèrent annuler les débats plutôt que de voir le mot cancer être prononcé dans l’hémicycle. C’est pourtant ce qui est en jeu ici. »

Cette motion de rejet vient jeter à la poubelle les travaux de la commission des affaires économiques, qui a préparé et amendé le texte avant son examen par l’ensemble des députés. Les membres de la commission avaient pourtant réussi à trouver quelques compromis.
Ils s’étaient, par exemple, mis d’accord pour supprimer l’article 5 de la proposition de loi visant à reconnaître les bassines comme d’intérêt général et à redéfinir les zones humides ainsi que pour circonscrire à trois ans la dérogation permettant l’utilisation de l’acétamipride, un néonicotinoïde banni depuis 2020.
« Des solutions alternatives aux pesticides existent »
Surtout, la loi Duplomb ne répond pas aux demandes issues du monde agricole, insistent d’autres agriculteurs que ceux qui font pression devant l’Assemblée. « Des solutions alternatives aux pesticides existent, a insisté le député écolo et paysan bio Benoît Biteau. Il est urgent de mettre fin à l’idée selon laquelle seule l’agriculture dépendante aux produits phytosanitaires serait productive et rentable. »
Dans l’hémicycle, le débat a aussi été bruyant. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a affirmé que « nous sommes prêts à avoir ce débat ensemble », avant de se reprendre et de corriger : « Nous aurions été prêts » à l’avoir. Chahut dans la salle. À l’instar des députés du camp présidentiel, de la droite et de l’extrême droite, la ministre a défendu un texte « équilibré qui apporte des réponses concrètes aux attentes de terrain des agriculteurs ».
Son rapporteur, le député (LR) Julien Dive, a fustigé « une stratégie d’obstruction délibérée, massive, assumée et méthodique ». C’est le seul et unique argument brandi par les défenseurs de la proposition de loi. Sauf que, si l’on fait le calcul, sur les 3 500 amendements, les Écologistes en ont déposé 1 500 et les Insoumis 800. Reste donc plus d’un millier d’amendements déposés par les autres groupes parlementaires.
Lymphomes, cancers, et le soutien du RN
Les partisans de la proposition de loi Duplomb ont aussi pu compter sur les députés du Rassemblement national. Sébastien Chenu, élu du Nord, a prétendu que les députés Insoumis ont « pourri le débat, car ils détestent la ruralité et les agriculteurs ». Ce à quoi Aurélie Trouvé, présidente (La France insoumise – LFI) de la commission des Affaires économiques, a répondu qu’au contraire « combattre la loi Duplomb c’est tenter d’empêcher les agriculteurs d’attraper des cancers à cause des pesticides ».
Quelques minutes après, une dizaine de députés LFI ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire les prénoms d’un agriculteur, un technicien agricole, une riveraine d’une exploitation ou le salarié d’une entreprise de semence accompagnés de la mention de leur maladie (lymphome, cancer, Parkinson), toutes liées à l’utilisation de pesticides. Rapidement rappelés à l’ordre, les députés ont vu leurs pancartes confisquées.

Juste avant, Mathilde Panot (LFI) avait dénoncé un « coup de force antidémocratique organisé par la Macronie aidée par l’extrême droite. Le rapporteur du texte, fait inédit jamais vu à l’Assemblée nationale, dépose lui-même une motion de rejet qui en gagnant permettrait que l’Assemblée ne discute jamais ». Face à « un 49.3 déguisé », la députée a annoncé que son groupe allait déposer une motion de censure contre le gouvernement. La menace n’a pas suffi, la motion de rejet a été adoptée dans la foulée : 274 députés ont voté pour, 121 contre.
Et déjà, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs exigent de fixer « immédiatement » une date pour que la commission mixte paritaire se réunisse « au plus vite » afin que la loi Duplomb soit adoptée « avant la fin des travaux parlementaires de l’été ». Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a annoncé mardi 27 mai, sur RMC, la suspension de la mobilisation après le rejet de la proposition de loi Duplomb.
« On suspend la mobilisation. […] Les tracteurs rentrent à la ferme alors que nous avions prévu d’être encore là ce mardi et mercredi », a-t-il déclaré, assurant que la FNSEA restera tout de même « vigilante » pour la suite de l’étude du texte et de son application concrète pour les agriculteurs.
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Source: https://reporterre.net/Loi-Duplomb-recit-d-un-hold-up-democratique
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