
Examinée le 26 mai par les députés, la loi Duplomb constitue un concentré de régressions environnementales, inspirées par l’agro-business. Le gouvernement compte sur les voix du RN pour éviter le débat.
Par Lisa DAMIANO et Sophie CHAPELLE.
La nouvelle loi sur l’agriculture, la proposition de loi Duplomb – du nom de Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, ancien représentant du syndicat agricole FNSEA et de groupes de l’agrobusiness – vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». De fait, elle est fortement inspirée des mesures portées par le syndicat agricole majoritaire et constitue une grave régression en matière de protection de l’environnement et de la santé humaine.
Nous avons ainsi comparé la série de mesures portées par la FNSEA et la proposition de loi adoptée au Sénat. Les copiés-collés sont nombreux. Le patron de la FNSEA lui-même, Arnaud Rousseau, se disait début mai pleinement satisfait par le texte qui, selon lui, « corrige ce qui grippe la machine agricole française ». Au menu de la loi : la réintroduction de pesticides interdits, la possibilité d’épandre ces produits toxiques par drone, l’allègement des normes pour faciliter l’élevage industriel, ou bien encore davantage de facilités pour construire des mégabassines, projets de retenues d’eau faits spécialement pour les gros agriculteurs et très controversés. https://www.youtube.com/embed/EENMB2hHAHE
Les associations environnementales, des scientifiques et une partie du monde agricole comme la Confédération paysanne dénoncent, à l’inverse, une loi de dérégulation brutale. Elle affaiblirait les normes environnementales sous couvert de compétitivité. « Cette proposition de loi menace notre souveraineté alimentaire, notre environnement et notre santé », estime le Collectif Nourrir, qui rassemble une cinquantaine d’organisations. Plus de 130 000 personnes ont, via la plateforme Shake ton politique, interpellé les parlementaires pour qu’ils et elles rejettent la loi. Les aspects les plus problématiques du texte ont pour le moment été édulcorés lors de son passage devant la commission développement durable de l’Assemblée nationale, provoquant l’ire de la FNSEA. Voici un décryptage des points les plus sensibles.
Réautoriser les pesticides interdits
La FNSEA réclame qu’on ne puisse plus interdire de pesticides « sans solutions apportées aux agriculteurs ». L’article 2 de la proposition de loi Duplomb prévoit précisément la réautorisation pour trois ans, sous condition, des néonicotinoïdes, ces pesticides particulièrement toxiques, et « tueurs d’abeilles ». Ils avaient été interdits par la loi en 2018, puis avaient fait l’objet de dérogations, avant que la Cour de justice européenne ne vienne rappeler la France à l’ordre en janvier 2023.
Sur le même sujetLeucémies des enfants : le traitement des vignes aux pesticides est bien un facteur aggravant
L’article 2 du texte prévoit aussi l’autorisation des épandages de pesticides par drone reprenant là encore une demande de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA). « Comment imaginer que l’agriculture française puisse être compétitive si nous sacrifions ces éléments fondamentaux que sont la santé des agriculteurs et la fertilité des sols ? » réagit Astrid Bouchedor, responsable du plaidoyer de Terre de liens, une association qui aide de futurs paysans à s’installer.
Le retour du très toxique acétamipride
Le sénateur Laurent Duplomb propose aussi de réautoriser le très toxique acétamipride, un néonicotinoïde encore autorisé en Turquie, en Italie ou en Espagne, notamment dans la production de noisettes. Le chercheur Philippe Grandcolas témoigne de son inquiétude auprès du média Reporterre : « L’acétamipride est tellement toxique qu’il tue également des insectes très utiles à la biodiversité. » Pour ce spécialiste des insectes, c’est un cercle vicieux pour l’agriculture : « Si on tue des pollinisateurs dans nos vergers de noisettes, les cultures de colza qui sont à proximité, par exemple, ne seront pas pollinisées et on sait que, dans le cas du colza, on aura 30 % de rendement en moins, ce qui va engendrer d’autres problèmes. Il faut avoir un regard global sur notre agriculture. » Le scientifique préconise d’autres voies comme la polyculture afin de favoriser la présence d’autres insectes qui limitent la présence des ravageurs, ou des pièges à phéromones en vue d’attirer et contenir les punaises hors des vergers.
Si l’Assemblée nationale autorise de nouveau l’acétamipride, ce sera « une décision politique totalement infondée scientifiquement », estime Pauline Cervan, toxicologue chez Générations futures, à l’initiative d’un rapport sur l’évaluation « défaillante » de cette substance.
Alléger les normes pour les élevages industriels
Faciliter l’installation en élevage… et leur agrandissement, parfois démesuré. C’est tout l’objet de l’article 3 de la loi Duplomb. Les plus grandes fermes d’élevage sont actuellement soumises à des normes – installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) – qui impliquent études d’impact et autorisations administratives. Pour élever des volailles par exemple, il fallait jusqu’ici demander une autorisation à partir de 40 000 poulets. Avec la loi Duplomb, ce seuil est relevé à 85 000, soit plus du double. Même cas de figure pour l’élevage de porcs dont le seuil passerait de 2000 à 3000 emplacements. Les élevages bovins se voient même exonérés de toute procédure, comme le demandaient la FNSEA et les JA. Les mégafermes controversées auront le champ libre.
Sur le même sujetMéga-ferme de 2000 bovins dans le Limousin : quand l’agro-industrie profite du déclin des paysans
Ces dispositions « ouvrent les vannes aux élevages industriels » déplorent plusieurs associations dont Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH), Quatre Pattes ou le Réseau Action Climat. Actuellement, moins de 2 % des exploitations d’élevage relèvent du régime d’autorisation, selon la Cour des comptes. Ce dispositif aiderait donc surtout les plus grandes exploitations à devenir plus grandes encore. Il compromet aussi la transmission des exploitations en raison des investissements considérables qu’elle implique.
La FNSEA demandait aussi « d’en finir avec l’obligation de réunions publiques ». Or, l’article 3 affaiblit les procédures de consultation publique pour les ICPE d’élevage (bovins, porcs, volailles). « Si l’article est adopté, cette consultation sera remplacée par une simple permanence en mairie, explique Sandy Olivar Calvo de Greenpeace. Cela réduit la démocratie environnementale et ne répond en rien à la problématique des conflits locaux. »
Faciliter la construction des retenues d’eau, mégabassines comprises
Les gros projets de stockage d’eau constituent également une revendication de l’agrobusiness, pour qu’ils soient reconnus d’intérêt public majeur. La proposition de loi Duplomb initiale le prévoyait, faisant craindre aux opposants la généralisation des mégabassines. L’article 5 de la loi entendait aussi lever certains aspects réglementaires sur les zones humides pour faciliter les prélèvements d’eau. « L’article a été supprimé en commission du développement durable, rappelle Léo Tyburce de WWF France, mais les risques sont réels qu’il soit réintroduit en séance publique. »
Sur le même sujetMégabassines : « Ce type de retenue va favoriser la persistance de pratiques agricoles très demandeuses en eau »
La Coopération agricole – qui regroupe les grandes entreprises du secteur – pousse à la réintroduction de cet article 5. « Il ne s’agit pas d’accaparer la ressource en eau, mais d’organiser les conditions du partage en considérant les activités agricoles à leur juste place : essentielle », assure l’organisation. En commission développement durable, les groupes insoumis et écologiste ont aussi fait adopter un moratoire de dix ans sur la délivrance des autorisations pour la construction de mégabassines. Le gouvernement a préparé des amendements pour supprimer ces moratoires, lors de l’examen en séance publique. Et a également déposé un amendement qui vise à lever l’objectif « zéro phyto » – ne pas épandre de pesticides – autour des points sensibles de captage d’eau…
Les défenseurs de l’environnement mobilisés face à un monde agricole divisé
La FNSEA et les JA annoncent une mobilisation massive à compter du 26 mai « afin de faire retrouver le bon sens aux députés » qui, lors de la commission qui a examiné le projet de loi, ont censuré « une grande partie du texte adopté au Sénat », et tenté de limiter les reculs. Ces derniers jours, plusieurs députés opposés à ces régressions environnementales ont vu leurs permanences ciblées. C’est le cas du député insoumis Sylvain Carrière, à Frontignan, dans l’Hérault, dont le local a été tagué le 16 mai : « Loi Duplomb sinon… boom ». La Coordination rurale,qui soutient également le texte initial, a également visé la permanence du député Sacha Houlié (non inscrit) à Poitiers le 21 mai, considérant qu’une « partie des députés ont massacré le texte en commission développement durable de l’Assemblée nationale ».
« Il est faux de dire que cette proposition de loi répond aux attentes du ’’monde agricole’’, estime de son côté la Confédération paysanne. Il est au service d’un système agro-industriel qui est déjà responsable de la disparition de centaines de milliers de paysan·nes et de fermes en France. Si elle est adoptée, elle constituera une atteinte très grave à l’agriculture paysanne, celle qui relocalise, installe, respecte les sols et préserve la ressource en eau et rend possible la souveraineté alimentaire. Pour lever réellement les ’’entraves’’ au métier, il faut enfin mettre en place les outils qui permettent de garantir un revenu agricole et de stopper l’accaparement du foncier agricole. »
Des mobilisations citoyennes sont aussi prévues. « Il est incompréhensible de voir aujourdʼhui les députés débattre dʼun texte qui met en péril notre capacité à produire demain et à assurer un environnement et une alimentation saine pour tout le monde. Alors que les agriculteurs et les citoyens appellent de leurs vœux à une transition de notre système agricole et alimentaire, cette loi est à contre-courant de lʼhistoire, des réalités scientifiques et des attentes de la société », souligne Mathieu Courgeau, éleveur et co-président du Collectif Nourrir.
Le vote d’une motion de rejet pour court-circuiter l’Assemblée nationale ?
Les députés écologistes et insoumis ont déposé plusieurs centaines d’amendements en vue de l’examen en séance publique. Craignant un enlisement des débats, les partisans de ce texte s’apprêtent à défendre une motion de rejet préalable, qui coupe court aux discussions dans l’hémicycle. Portée par le député LR Julien Dive, la motion est soutenue par le MoDem et Ensemble pour la République (macroniste). Elle pourrait aussi recueillir les voix du Rassemblement national, parti favorable aux pesticides. « Si les syndicats le demandent et font un peu de pédagogie dans les circonscriptions, on pourra voter cette motion de rejet », confirme un cadre du groupe RN auprès du journal Le Monde.
Sur le même sujetPesticides, bétonisation, agriculture bio : l’inconsistance du RN et de Bardella sur l’écologie
« C’est un texte d’inspiration trumpiste auquel s’ajoutent maintenant des méthodes trumpistes contraires à la démocratie. Cette motion, c’est un détournement de la procédure. Si le gouvernement veut couper court au débat et imposer sa décision à l’Assemblée, il a d’autres outils pour le faire, comme le 49.3 ou l’article 44 », dénonce auprès du HuffPost la députée Génération écologie, Delphine Batho, tout en défendant un nombre d’amendements « normal » pour ce type de texte.
Pour l’ONG Générations futures, « l’unique but de cette manœuvre est de faire passer en force, sans débat démocratique en séance, les dispositions ignobles de cette proposition de loi ». Cette stratégie permettrait en effet de renvoyer directement le texte, dans sa version issue du Sénat, en commission mixte paritaire (CMP). Dans le huis clos de cette commission, sept députés et sept sénateurs seraient chargés de trouver un consensus. Une option qui serait défavorable à l’opposition, vu la majorité sénatoriale à droite.
Le texte serait ensuite de nouveau soumis au vote des deux chambres, mais sans possibilité d’amendements sauf accord du gouvernement. Greenpeace alerte sur « le passage en force d’une loi rétrograde » quand Arnaud Rousseau, patron de la FNSEA, somme les parlementaires : « L’agriculture française a besoin de puissance, pas de prudence. »
Boîte noire
Mise à jour le 27 mai 2025 : Le rapporteur Les Républicains (LR) Julien Dive a déposé, le 26 mai, une motion de rejet préalable de la proposition de loi Duplomb, qui a été largement adoptée en séance publique (274 voix pour, 121 contre – le détail des votes ici), en vue de contourner les amendements écologistes et insoumis. Cosignée par les présidents des quatre principaux groupes du bloc central, Laurent Wauquiez (LR), Marc Fesneau (Modem), Gabriel Attal (Ensemble), et Paul Christophe (Horizons), la motion a reçu le soutien des députés Rassemblement national (RN), qui ont permis de dégager une majorité. Elle a été dénoncée par la gauche, y compris le Parti socialiste.
Le texte est considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale sans examen dans l’hémicycle. Il fera désormais l’objet d’une commission mixte paritaire (CMP), qui pourrait se réunir la semaine du 10 juin. Les sept députés et sénateurs négocieront un compromis à partir de la version du texte adoptée au Sénat en janvier dernier. La version issue de la CMP sera ensuite soumise au vote du Parlement, sans possibilité pour les élus de déposer de nouveaux amendements, sauf accord du gouvernement.
°°°
Source: https://basta.media/loi-duplomb-toujours-plus-de-pesticides-de-megabassines-et-d-elevages-intensifs
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/loi-duplomb-toujours-plus-de-pesticides-de-megabassines-et-delevages-intensifs-basta-27-05-25/