
Par Julie REUX (Presse Océan)
Certains ont gagné, d’autres ont perdu. militants anti-carrières de Puceul et Guémené (Loire-Atlantique) font le bilan de leur mobilisation. Avec une conclusion : leur combat n’est pas terminé.
Deux salles, deux ambiances. À Puceul, Grégory, porte-parole de Camil, est un militant heureux : la communauté de communes a décidé à l’unanimité, fin juin, de ne pas autoriser l’implantation de l’usine d’enrobage prévue sur la zone industrielle. Ils ont changé d’avis ! Sans nous, l’usine serait aujourd’hui en train de fonctionner et les élus n’auraient aucune porte de sortie.
Pour lui, c’est la preuve que la lutte et les recours, ce n’est pas inutile, ça fait évoluer les mentalités. Il faut juste ne rien lâcher ».
« À partir du moment où on a mis le doigt dedans, on devient pleinement citoyen. »
Pas très loin de là, à Guémené-Penfao, Jean-Luc, du collectif Carrière du Tahun, est à l’inverse complètement abattu : la préfecture a autorisé, le 6 juillet, la réouverture de la carrière du Tahun. On ne comprend pas la décision. On y a cru, mais le pire est autorisé, après trois ans de mobilisation, deux mille mails envoyés, trois cents personnes mobilisées, des naturalistes, des géographes… On est face à un rouleau compresseur et on n’est pas entendu.
Les deux ont participé, le 11 juin 2023, à la grande marche vers Nantes contre les carrières et le béton, avec les Soulèvements de la terre et d’autres collectifs de Loire-Atlantique. Cette convergence, et la campagne qui dit à la ville’’Ne nous oubliez pas’’, c’était émouvant
, se souvient Jean-Luc. Mais après l’annonce préfectorale l’élan est coupé
, confie-t-il. On avait initié plein de choses. Des projets artistiques, du militantisme très constructif… Peut-être cette décision va-t-elle galvaniser les équipes, au contraire
, veut-il encore croire.
Le combat pour sauver la carrière de Tahun n’est pas terminé en effet : ils ont quatre mois pour déposer un recours, deux mois pour un recours gracieux. « Mais c’est l’été, les avocats sont en vacances… C’est dur. Encore plus quand on pense aux camions qui vont bientôt débarquer sous nos fenêtres. Plusieurs d’entre nous envisagent de déménager.
À Puceul, Grégory est plus serein, évidemment, mais reste vigilant
. Des recours sont là aussi possibles. Mais quoiqu’il advienne, son rapport à la politique a de toute façon changé : À partir du moment où on a mis le doigt dedans, on devient pleinement citoyen. Je ne vois pas comment revenir en arrière… Le modèle avec des élus à qui on donne toutes les clés doit évoluer ».
Même constat pour Jean-Luc : même si le combat est perdu, il y aura un avant et un après pour son engagement citoyen. On peut avoir des grandes idées. Mais une expérience comme ça, ça amène à s’ancrer. Pour moi et d’autres, l’impact et la prise de conscience sont énormes.
L’info en plus
À Puceul comme à Guémené, les projets visés par les militants sont portés par le groupe Pigeon. Basée à Louvigné-de-Bais (35), cette entreprise familiale de BTP semble vouloir se développer en Loire-Atlantique, où elle possède déjà sept sites, dont trois carrières. Contactée, l’entreprise n’a pas répondu à nos sollicitations.
▶La maire de Guémené aux anti-carrière : « On ne construit pas avec des pâquerettes »
Isabelle Barathon, maire de Guémené-Penfao, est en colère
contre les voyous stupides et lâches
qui ont tagué et cassé le panneau d’information de la ville. On ne peut même pas le nettoyer, donc ça reste,’’Zad Tahun’’
, soupire-t-elle.
La mairie a porté plainte, mais au-delà de son indignation la maire met en avant sa détermination. Il faut qu’on parle de la carrière, et le dire avec courage : on ne construit pas avec des pâquerettes ! On a besoin de ces matériaux, c’est la conclusion de l’enquête publique et c’est pour ça que le préfet a autorisé le projet. Et oui, c’est un joli site, mais ça ne peut pas toujours être chez les autres.
Interrogés, les membres du collectif se dissocient de ces dégradations : Nous sommes vraiment déçus, parce que cela nous nuit et enrayer la situation nous demande beaucoup d’énergie ».
Mais, ajoute un des membres, lorsqu’un projet est sans bien-fondé, inévitablement il y a un retour dans le réel, le déraisonnable se manifeste autrement.
▶Méthaniseur de Corcoué : il va falloir attendre
Le rapport des commissaires enquêteurs était attendu vers le 15 juillet. Mais ils ont sollicité un délai supplémentaire de quinze jours, soit jusqu’à la fin du mois de juillet. Il faut dire que le dossier est particulièrement épais : près de 1 300 avis auraient été enregistrés, à large majorité défavorables au projet.
▶Pas d’avis de la Région
En plus de particuliers, dix-neuf communes du territoire (Loire-Atlantique et Vendée) ont rendu un avis : deux seulement sont favorables au projet (La Marne et Legé) et une favorable avec réserve (Saint-Étienne-de-Mer-Morte). Les départements de Vendée et de Loire-Atlantique se sont également positionnés contre, ainsi que les deux syndicats d’énergie. Des structures comme Air Pays de la Loire ou des commissions locales de l’eau ont également participé et posé leurs inquiétudes. Les commissaires enquêteurs ont également enregistré l’avis de trois sénateurs et d’un député.
Une seule collectivité n’a pas participé : la Région Pays de la Loire. Son avis était pourtant attendu sur ce dossier qui relève de sa compétence « transition énergétique ». Depuis plusieurs mois, la majorité cultive l’ambiguïté sur ce dossier : Christelle Morançais s’est dit publiquement et à plusieurs reprises favorable à la méthanisation XXL, notamment après avoir visité un site au Danemark en décembre 2022. Mais elle ne soutient pas le projet de Corcoué, plutôt mal engagé dès l’origine
, selon son cabinet. Sans pour autant se positionner dans l’enquête publique. Et si personne n’a compris la subtilité de ce positionnement, ce serait par fainéantise intellectuelle
.
Une fois le rapport rendu, le préfet aura ensuite trois mois pour rendre son avis.
▶La Tête dans le sable : un nouveau recours
À Saint-Colomban, les opposants à l’extension de carrières se préparent à l’enquête publique, prévue à l’automne 2023. En parallèle, le collectif et la LPO (Ligue de protection des oiseaux) ont aussi déposé un nouveau recours contre la construction de serres maraîchères (en cours) à Saint-Colomban. Le dernier recours en référé suspensif, en mai, n’a pas abouti. Mais nous considérons que l’ordonnance rendue par le tribunal nous pousse à renforcer nos arguments dans le cadre du recours sur le fond.
▶« On ne regrette rien »
Dimanche 11 juin, 1 500 personnes avaient convergé vers Nantes, sous l’étendard de cinq collectifs soutenus par les Soulèvements de la terre. Mais l’attention s’était concentrée sur le saccage, par des militants, de serres maraîchères à Pont-Saint-Martin, avec à la clé des « dizaines de milliers d’euros » de dégâts, une salve de réactions outrées et in fine, la dissolution des Soulèvements. Bilan ? On ne regrette rien », assure Bertille, de la Tête dans le sable
. Pour moi, la vraie violence est dans le modèle agro-industriel.
Je préfère les actions plus symboliques, admet Jean-Luc (Guémené, Carrière du Tahun). Mais avec les camions qui vont débarquer sous mes fenêtres, la question de savoir jusqu’où on doit aller pour s’opposer m’empêche de dormir la nuit.
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