
Originaire du pays de Pontivy (Morbihan), cette femme de 33 ans est l’une des 299 victimes de l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec. Elle a appris en janvier 2019 qu’il l’avait violée. Une annonce qui a eu l’effet d’une déflagration sur toute sa vie.
Par Melanie BÉCOGNÉE.
Elle attend ce procès autant qu’elle le redoute. Depuis le 4 janvier 2019, la vie de M., Morbihannaise de 33 ans, est à l’arrêt. Depuis qu’un gendarme lui a lu l’extrait la concernant des sordides carnets noirs de l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec. « J’ai l’impression que ma vie est sur pause depuis que je sais. » Elle y a entendu son nom, son prénom, sa date de naissance et une longue description de ce qu’elle a subi. Une agression sexuelle et un viol à 11 ans. Début mai 2025, cette jeune femme du pays de Pontivy témoignera face à la cour criminelle du Morbihan à Vannes. Elle se confrontera enfin à l’ancien chirurgien jugé pour viols et agressions sexuelles sur 299 victimes. Une épreuve de plus après des années d’angoisse et de relations perturbées.
Encaisser l’annonce
Ce jour-là, sa grande sœur H. sera à ses côtés. Son aînée de trois ans la soutient depuis le début et voit bien la pression monter au fil des jours. « La veille de l’ouverture du procès, j’étais en boucle, reconnaît M. C’était très compliqué. ». Elle suit les audiences avec attention et prévoit de s’y rendre uniquement pour son audition. « Je suis dans un groupe Messenger de victimes. Certains sont tous les jours sur place et nous relatent ce qu’il s’y passe. C’est un espace très bienveillant et puis, je ne me voyais pas me mettre en arrêt pendant quatre mois. » Elle marque une pause. « Cela aurait accentué mes crises d’angoisse », confie-t-elle avec certitude.
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Ses six dernières années n’ont pas été de tout repos. Il a d’abord fallu encaisser l’annonce. « Un gendarme est venu au domicile de mes parents. Il m’a dit que mon nom apparaissait dans les carnets et m’a posé des questions. » Ce n’est que le lendemain, à la brigade de Pontivy, que le contenu lui est lu. « Ce fut très dur et je suis sortie de là en ayant presque tout oublié. Ma sœur avait dû rester dans la salle d’attente. J’aurais préféré qu’elle soit avec moi. » M. fait partie de ces victimes qui n’ont pas de souvenirs. Qu’importe, les descriptions sont insoutenables. « C’était mi-juin 2003. J’étais dans un box aux urgences de l’hôpital de Pontivy avec mon père pour une péritonite et il lui a demandé de sortir. » C’est à ce moment-là que le médecin décrit son passage à l’acte.
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« J’ai perdu beaucoup de proches »
Elle a 27 ans quand elle entend tout ça. Un cataclysme qu’elle confie à ses proches. Son compagnon de l’époque la quitte subitement après trois ans et demi de relation. « Toute ma vie a été impactée par une sexualité difficile. Au point d’en vomir. Lui a juste été soulagé de ne pas en être à l’origine. » Elle passe son diplôme, cette année-là, avec le soutien de deux amies de promo et sa sœur H.. Le reste de ses relations se délitent peu à peu. « J’ai perdu beaucoup d’amis proches. » Même dans son cercle familial est bouleversé. « Mes parents attribuent le mal-être dont j’ai souffert après l’agression à mon inscription dans un collège différent de ma meilleure amie, explique-t-elle. Parfois, j’ai envie de leur crier à quel point c’est grave. »
M. choisit de serrer les dents et d’avancer. « J’ai mis un gros pansement sur mon histoire et me suis accrochée à mon travail. » Mais les crises d’angoisse se multiplient. Jusqu’à un « gros craquage », il y a un an. « Une vraie descente aux enfers. J’ai cru que ce serait mieux si je n’étais plus là. » C’est sa sœur aînée qui l’accueille chez elle pour l’aider à remonter la pente. « J’ai tout maintenu quand elle était au plus mal, pour le jour où cela irait mieux, assure cette dernière. Et j’ai eu raison. » Les deux femmes échangent un sourire. « C’est toi qui m’as le plus soutenue et jamais lâchée. »
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« Une déflagration »
Mais aborder le sujet est encore source de conflit avec leurs parents. L’incompréhension entache leur relation. « Notre famille est très terre à terre. Pour eux, ce n’est pas concret vu qu’elle n’en a pas de souvenirs, estime H.. Ils sont là, mais pas comme ma sœur le souhaiterait. C’est compliqué d’avoir la bonne réaction. » La trentenaire remonte doucement la pente avec l’aide d’une psychothérapie. Elle peut aussi compter sur le soutien de son nouveau compagnon. « Mais cet événement a impacté toute ma vie et mes relations. C’est une déflagration. »
Elle sera au tribunal pour dire à Joël Le Scouarnec à quel point elle est abîmée. « Mais je suis là et je vais vivre. » Ces mots, elle les dira devant ses parents, ses deux sœurs et son compagnon qui seront présents. « Me voir témoigner et le voir lui, ça va devenir concret. J’ai besoin de ça pour enfin construire ma vie. »
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