Depuis sa réélection, le président de la République est plus isolé que jamais. Cristallisant les colères contre lui et ignorant toutes les alertes qui lui sont adressées, il reste persuadé qu’il peut encore maîtriser le tempo du pays. Même ses plus fidèles soutiens commencent à déchanter.
EtEt vous, vous savez quelque chose ? Non. Personne ne sait rien. Depuis six ans, à chaque moment de crise politique, les député·es, les ministres et l’entourage plus ou moins proche d’Emmanuel Macron formulent les mêmes réponses aux journalistes qui les interrogent sur ce qui se trame au sein de l’exécutif. Souvent, ils concluent ces échanges palpitants de la façon suivante : « Eux-mêmes ne le savent pas… »
Eux, ce sont les quelques personnes – de moins en moins nombreuses – avec qui le chef de l’État échange. Tous les autres ne font que supputer. Ils ont supputé pendant l’affaire Benalla, ils ont supputé face au mouvement des « gilets jaunes », ils ont supputé durant la crise sanitaire… Aujourd’hui, ils ne font même plus d’efforts d’imagination. « Les gens sont tellement habitués à ce que ça ne se passe pas comme ils l’imaginent qu’ils ont lâché l’affaire », glisse une conseillère ministérielle.
Comme à l’accoutumée, ces mêmes personnes devront attendre l’interview que le président de la République a finalement décidé d’accorder, mercredi 22 mars, aux 13 heures de TF1 et de France 2, pour savoir ce qu’il a en tête. « Si tant est qu’il ait quelque chose », ajoute un membre de la majorité, aussi résigné que fatigué à l’idée d’être constamment suspendu au bon vouloir d’un homme qui semble privilégier les discussions avec son reflet dans le miroir plutôt qu’avec ses soutiens.
Le rendez-vous prévu mardi soir avec les élu·es macronistes est déjà envisagé par beaucoup comme une énième « séance de câlinothérapie » qui ne résoudra pas grand-chose. De l’aveu de plusieurs figures de la majorité, cette dernière est en lambeaux depuis que le chef de l’État a choisi de recourir au 49-3 pour faire passer sa réforme des retraites en force. Beaucoup plaidaient en faveur du vote. Une fois de plus, une fois de trop, ils n’ont pas été écoutés.
Celles et ceux qui ont pu s’entretenir avec la première ministre au cours des dernières 24 heures sont sortis de Matignon aussi déboussolés qu’ils l’étaient en franchissant le perron de la Rue de Varenne. D’autres rappellent que la situation n’est pas nouvelle et que le pouvoir tout entier navigue à vue depuis dix mois. « Il n’y a plus de narratif, plus de sens, plus rien », indique la conseillère ministérielle citée un peu plus haut.
L’isolement du pouvoir
L’Élysée est devenu un grand château triste que tous les vents traversent. Les journalistes sont prié·es de se contenter de quelques éléments de langage mal ficelés. Les ministres ne s’entretiennent avec le chef de l’État qu’en de rares occasions. Les conseillers élyséens eux-mêmes ne comprennent pas toujours ce qu’ils font là. Tout ce petit monde observe, impuissant, l’enfermement présidentiel.
Aucune des explications de texte fournies par les attaché·es de presse du Palais ne vient démentir ce sentiment de déconnexion complète. La dernière en date, citée dans La Dépêche du Midi, vaut le détour : Emmanuel Macron aurait décidé de s’exprimer au 13 heures par « choix des territoires » car « en province, le retour au domicile pour la pause méridienne est une tradition, tout comme est une habitude le déjeuner devant le journal télévisé », a-t-on sérieusement indiqué au quotidien.
La tendance n’est certes pas nouvelle, comme Mediapart l’a raconté à maintes reprises, mais elle s’est aggravée sous le deuxième quinquennat. Les personnes capables de parler franchement au président de la République se comptaient déjà sur les doigts d’une main avant sa réélection : désormais, elles n’occupent même pas une phalange. D’autant que le principal intéressé, agacé par les ambitions des un·es et des autres, se méfie à présent de tout et de tout le monde.
Le chef de l’État dînera avec le roi Charles III au château de Versailles, la semaine prochaine. « Un symbole dévastateur », craint un conseiller de l’exécutif.
Autour de lui, le chef de l’État ne peut guère compter que sur son secrétaire général de l’Élysée, le tout-puissant Alexis Kohler, et une poignée de « stratèges » qui n’en portent que le nom. Dans la majorité comme au sein du gouvernement, beaucoup se disent atterrés par le comportement et les réactions de ces quelques hommes qui arbitrent in fine. « Ils ne comprennent rien à ce qu’il se passe », se désespère une figure macroniste, en pointant le court-termisme de ses interlocuteurs.
À chaque nouvelle difficulté, le sommet de l’État attend de voir comment les choses tournent. Plutôt que de prendre les devants pour éviter les problèmes, il laisse les situations s’envenimer, répondant invariablement que « dans trois jours, les gens seront passés à autre chose ». Emmanuel Macron continue de penser qu’il peut maîtriser le tempo du pays. Aujourd’hui encore, alors que la mobilisation s’amplifie, il reste persuadé qu’il décidera seul du calendrier.
Si l’on en croit les premiers échos ayant fuité de l’Élysée, le président de la République veut encore se donner du temps et ne fera aucune annonce mercredi. Hors de question de montrer qu’il cède sous une quelconque pression. À court terme, il n’envisagerait ni remaniement ni référendum ni dissolution. Un autre événement occupe son esprit : la réception du roi britannique Charles III au château de Versailles, la semaine prochaine. « Un symbole dévastateur », craint un conseiller de l’exécutif.
Macron n’a qu’un seul défaut : lui-même
D’ici là, raille un ancien soutien du chef de l’État, celui-ci « va faire comme d’habitude… rien ». De toute façon, rappelle à juste titre la même source, la colère qui s’exprime dans la rue dépasse le seul sujet de la réforme des retraites. Elle se cristallise autour de la personne d’Emmanuel Macron et de sa façon d’exercer le pouvoir : brutale, méprisante et solitaire. Soit le contraire de la fameuse « méthode refondée » qu’il avait promise au soir de sa victoire, le 24 avril 2022.
Élu face à l’extrême droite pour la deuxième fois consécutive, sans majorité à l’Assemblée nationale, le président de la République n’a visiblement pas compris – ou voulu comprendre – les messages et les alertes qui lui avaient été adressés. Sa vision de lui-même est une image d’Épinal, son approche des événements un déni de réalité, qui lui permet de dire, toute honte bue, que le rejet, à 9 voix près, de la motion de censure est une forme de victoire.
19 mars 2023
Pour mener à bout ses politiques libérales – sans quoi, tout s’effondrerait – et ses stratégies politiciennes – la liquidation du parti Les Républicains (LR) –, le chef de l’État est prêt à laisser le pays s’embraser, quitte à enterrer définitivement ce qu’il restait de cohésion sociale. Dans un tel contexte, toutes les solutions imaginées par le pouvoir paraissent dérisoires. Car le problème ne peut être réglé par celui qui en est la cause principale.
Le constat est amer parmi celles et ceux qui ont soutenu le président de la République depuis 2017. Ses petites phrases, ses humiliations, son mutisme et ses changements de pied ont fini par épuiser les plus convaincus d’entre eux. L’image de perfection qu’ils dépeignaient il y a encore quelques années s’est passablement ternie. Beaucoup commencent à comprendre qu’Emmanuel Macron n’a qu’un seul défaut : lui-même.
Source: https://www.mediapart.fr/journal/politique/210323/macron-la-verticale-du-vide