
En 2020, le policier Amar Benmohamed révélait des centaines de cas de maltraitances policières. Il a été harcelé par sa hiérarchie et a porté plainte. Alors qu’elle risque d’être classée, son avocat Arié Alimi demande l’audition des responsables.
Par Christophe CECIL-GARNIER & Mathieu MOLARD.
Depuis des années, le brigadier-chef lanceur d’alerte Amar Benmohamed tient. Voilà cinq ans presque jour pour jour qu’il a dénoncé auprès de StreetPress des maltraitances dans les geôles du tribunal judiciaire de Paris. Dans les cellules du dépôt, plus d’un millier de personnes avaient alors subi de la part de policiers depuis 2017 : humiliations, insultes souvent racistes ou homophobes, privations de nourriture ou d’eau, refus de soins médicaux, vols… Une seconde enquête de StreetPress racontait comment une partie de la hiérarchie avait tenté d’étouffer l’affaire, qui était remontée jusqu’au cabinet de l’ancien préfet de police de Paris, Didier Lallement. Des révélations qui ont entraîné l’ouverture d’une enquête administrative ensuite discrètement enterrée par le parquet de Paris en octobre 2022, malgré les témoignages concordants.
Dans la foulée, sa hiérarchie a ouvert trois procédures contre lui. Des sanctions qui ont été annulées par la justice administrative, qui a reconnu le statut de lanceur d’alerte pour Amar Benmohamed, encore en poste au dépôt du tribunal de Paris. Devant tous ces procédés orchestrés par ses supérieurs ou ses collègues, le fonctionnaire de police a déposé une plainte en juillet 2021 pour harcèlement moral et entrave à l’exercice du droit d’alerte.
Alors que le dossier était à l’instruction depuis presque quatre ans, un avis de fin d’information a finalement été rendu le 22 avril 2025. Une action qui inquiète Amar Benmohamed et son avocat, maître Arié Alimi. « Les juges d’instruction successifs n’ont pas réalisé les actes d’instruction nécessaires à la manifestation de la vérité sur le harcèlement moral. Et à mon sens, ils l’ont fait volontairement pour protéger les potentiels mis en cause. C’est d’une indignité absolue s’agissant d’Amar Benmohamed, qui a eu le courage nécessaire de mettre en jeu sa carrière et son honneur », indique le ténor du barreau. Ce dernier demande de poursuivre l’instruction et requiert l’audition de nombreux responsables. Dont l’ex-préfet de police Didier Lallement et son successeur Laurent Nunez, mais aussi Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, ministre de l’Intérieur au moment des révélations d’Amar Benmohamed. « Ainsi que l’administration policière qui a mis en œuvre le harcèlement », pose maître Alimi.
Selon la législation, la juge d’instruction en charge du dossier a l’obligation de lire ces observations et demandes. Elle peut ensuite y donner suite ou non. Les demandes sont en tout cas soutenues par l’association la Maison des lanceurs d’alerte qui a appelé dans un article à « une enquête approfondie afin de faire toute la lumière sur des années de harcèlement ». Et ce, afin de soutenir Amar Benmohamed et « tous les lanceurs et lanceuses d’alerte qui défendent l’intérêt général ». Selon Manon Yzermans, responsable juridique à la Maison des lanceurs d’alerte :
« Sans responsabilité pénale des auteurs de représailles, l’impunité continuera de faire peser un risque grave sur l’intégrité physique et mentale des lanceurs d’alerte. Or, protéger les lanceurs d’alerte qui dénoncent les abus de l’usage de la force publique, c’est protéger l’État de droit. »
Des mesures de représailles
L’avocat et le policier demandent également d’étudier de nouvelles infractions : faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique, dénonciation calomnieuse et subornation de témoins. Il faut dire que le fonctionnaire en a soupé. Entre ses premières dénonciations des faits auprès de sa hiérarchie, avant de témoigner dans StreetPress, et sa plainte pour harcèlement moral, le désormais quinqua a subi une dizaine de représailles. Tout d’abord, sa hiérarchie lui a interdit de participer aux transferts de retenus en avril 2019 – et donc de faire son travail – ou a demandé une évaluation psychologique le mois suivant – qui n’a finalement pas eu lieu. Après ses révélations fracassantes, on lui a également refusé la protection fonctionnelle, un dispositif où l’État prend en charge les frais juridiques des agents poursuivis dans le cadre de leurs fonctions – dont ont par exemple bénéficié le policier qui a tué Nahel Merzouk ou les agents qui ont tabassé Michel Zecler. Le lendemain de la publication des enquêtes de StreetPress, Gérald Darmanin himself a annoncé une sanction envers Amar Benmohamed au cours d’une audition de la Commission des lois. Il a reçu une sanction disciplinaire en janvier 2021 et a subi une enquête administrative après son témoignage comme lanceur d’alerte à l’Assemblée nationale, alors qu’il était invité par des députés en février 2021.
À LIRE, L’ENQUÊTE DE 2020 : Un policier révèle des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris
Il a également été placé en garde à vue en avril 2021 par l’IGPN. Une histoire qui s’est opérée dans le cadre d’une procédure administrative pour des faits de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle envers deux collègues du dépôt. L’enquête ayant été lancée après ses premières protestations contre les actes de maltraitance et de racisme, certaines des autres fonctionnaires l’ont qualifiée de « vengeance » durant les auditions, selon des éléments du dossier. Dans cette affaire, Amar Benmohamed a été relaxé en mars dernier de l’intégralité des faits reprochés par la Cour d’appel de Versailles, selon l’extrait de décision pénale consulté par StreetPress. Toujours en avril 2021, Amar Benmohamed s’est vu retirer son mandat de représentant du personnel. Il aurait également subi des « brimades et insultes constantes de la part de ses collègues » et une notation en baisse.
Pour toutes ces mesures contre le lanceur d’alerte, ce dernier et son avocat demandent l’audition de tous ses supérieurs hiérarchiques ainsi que des fonctionnaires coupables d’avoir participé au harcèlement moral. Ils souhaitent également que la justice entende le policier de l’IGPN qui a instruit son dossier. Et surtout, ils requièrent l’audition de l’ancien préfet de police Didier Lallement qui aurait « méconnu les dispositions de la loi protégeant les lanceurs d’alerte » après avoir pris un arrêté de sanction contre Amar Benmohamed. Tout comme Gérald Darmanin, qui en évoquant en juillet 2020 des futures sanctions contre le lanceur d’alerte « a participé publiquement au climat d’harcèlement et d’intimidation », note la Maison des lanceurs d’alerte.
Un cas « pas isolé »
Pour l’association, « il revient à la justice pénale de sanctionner le harcèlement moral et les discriminations » dont Amar Benmohamed « a été victime de manière continue depuis près de huit ans ». Comme le brigadier-chef et maître Arié Alimi, la structure demande au juge d’instruction de poursuivre l’enquête et auditionne les différents responsables. Afin de faire « toute la lumière sur des années de harcèlement visant à l’empêcher à dénoncer des faits graves de violences et de racisme commis par des agents de police ». La MLA argue d’ailleurs que le cas d’Amar Benmohamed « n’est pas isolé » :
« Ces dernières années, la Maison des lanceurs d’alerte est saisie par un nombre croissant de fonctionnaires de police qui dénoncent des abus de leurs collègues et de leur hiérarchie : maltraitances, violences sexistes et sexuelles, racisme. Tous ont subi de nombreuses mesures de représailles. »
L’asso appelle également dans son article au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau de prendre « toutes les mesures pour faire cesser le harcèlement institutionnel dont sont victimes les lanceurs d’alerte dans la police » :
« Des actions concrètes doivent être mises en place pour protéger celles et ceux qui osent dénoncer les maltraitances policières et briser la loi du silence. »
Contacté, le cabinet de Gérald Darmanin n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/maltraitances-policieres-au-tribunal-de-paris-le-lanceur-dalerte-demande-a-la-justice-dauditionner-darmanin-et-lallement-streetpress-22-07-25/