
Mélanie Rica-Henry, médecin généraliste à Guidel (56), est porte-parole du collectif « Médecins pour demain » au niveau régional. Cette passionnée de sciences et des relations humaines défilera à Paris, ce mardi, pour défendre le métier pour lequel elle a tant travaillé.
« En grève » est affiché en grosses lettres sur la porte de ce cabinet tout neuf de Guidel. Ouvert il y a un an, il compte six jeunes médecins généralistes dont Mélanie Rica-Henry. Cette docteure de 37 ans n’est pas issue du sérail. Aucun médecin dans sa famille et elle-même n’y avait jamais pensé jusqu’au lycée. Mais un exposé lui a donné envie d’aller plus loin. « J’aimais le côté scientifique du corps humain, découvrir comment il fonctionne et j’aimais les relations humaines, alors je me suis lancée. On m’a dit : « T’es sûre ? Ça va être dur ! » » Et ça l’a été. Une première année ratée, dix ans de sacrifice, sans amis, sans vie sociale – « On ne m’invitait même plus parce que je ne venais jamais » – et, enfin, la délivrance, en 2015. La Bretonne débute par des remplacements puis s’installe à Guidel, en 2018, en tant que généraliste pour être au plus proche des patients.
« Voie de garage »
Elle aime son métier et ses patients par-dessus tout. « Je n’ai jamais eu l’angoisse du dimanche soir, j’aime mon travail tel que je le fais aujourd’hui mais quand je vois ce que l’État veut en faire… On a les boules. On a donné dix ans de notre vie pour un métier dont on veut faire une voie de garage ». Les médecins généralistes multiplient en ce moment les jours de grève pour protester, entre autres, contre le transfert de compétence vers des infirmiers en pratique avancés. « En plus du suivi des maladies chroniques dites « stabilisées », ils prendraient également en charge les pathologies aiguës dites « bénignes ». Or, ces diagnostics de stabilité ou de bénignité relèvent d’une expertise médicale », s’insurgent-ils. Mélanie Rica-Henry va plus loin, craignant « un retard de diagnostics pouvant entraîner des difficultés pour les patients si l’infirmier ne sait pas comment réorienter le patient ».
Sur une consultation à 25 €, je ne me rétrocède que 9 €. Le tarif de consultation n’a pas été réévalué depuis sept ans
Elle met en avant le risque de déconventionnement des médecins et, donc, du non-remboursement pour les patients, synonyme d’une médecine à deux vitesses. « Ceux qui ont les moyens consulteront des médecins, les autres iront chez des paramédicaux ». Intolérable pour Mélanie Rica-Henry, devenue généraliste par appétence pour le suivi global des patients. Pourtant pas militante dans l’âme, elle est ainsi devenue porte-parole du collectif Médecins pour demain Bretagne. « Mon métier c’est ma vie, j’adore ce que je fais. Je ne peux pas ne rien faire. C’est viscéral. C’était soit ça, soit la dépression, alors j’ai choisi de me battre ».
Des visios jusqu’à minuit
Mariée à un chef de service des urgences et mère de deux enfants, âgés de huit et dix ans, elle fait des réunions en visio, « jusqu’à minuit », avec les autres médecins engagés dans la lutte, monte à Rennes battre le pavé, cherche des slogans, répond aux médias. Ce mardi, elle quitte même son lieu de vacances avec ses proches pour aller manifester, à Paris. « Je dis à mes enfants que je pars défendre mon travail, la santé en France ». La même explication qu’elle donne à ses patients qui, dès la salle d’attente, sont mis dans le bain. « Pourquoi votre médecin fait-il grève ? », « Non à la dégradation de la prise en charge médicale, tous unis pour sauver votre santé en péril » : des tracts s’affichent sur les murs du cabinet de la trentenaire. Les médecins demandent le passage de la consultation à 50 €, un message qui a pu choquer les Français. « Sur une consultation à 25 €, je ne me rétrocède que 9 €. Le tarif de consultation n’a pas été réévalué depuis sept ans. Et on demande, en parallèle, la suppression de nos indemnités forfaitaires », présente Mélanie Rica-Henry.
919 patients suivis
Alors qu’une consultation chez le médecin coûte parfois moins cher qu’une visite chez le coiffeur, elle estime que « moins un acte est cher, moins il a de valeur aux yeux des autres ». À Guidel, les six médecins du cabinet de l’Océan embauchent 1,4 temps plein, impossible de faire plus pour les praticiens sinon rogner sur ce qu’ils se rétribuent. La revalorisation de la consultation permettrait aux médecins d’embaucher des assistants médicaux, libérant ainsi du temps pour le soin, l’expertise médicale, à l’heure où ils sont vus par certains comme « des ordonnanciers ». La docteure guidéloise suit 919 patients et prend de nouveaux dossiers mais consacre 25 % de son temps à des tâches administratives. « Je rentre à 20 h chez moi et je mange à mon bureau en un quart d’heure. Ce n’est pas parce que l’on n’est pas devant les patients qu’on ne travaille pas. ?»
Céline LE STRAT