Mégabassines : la France recadrée par un rapporteur de l’ONU (Reporterre-5/09/25)

Des manifestants antibassines à La Rochelle, en Charente-Maritime, le 20 juillet 2024. – © Jerome Gilles / NurPhoto / NurPhoto via AFP.

Un rapporteur spécial de l’ONU pointe des mesures discriminatoires prises contre une petite association, l’Apieee. À cause de son engagement antibassines, celle-ci aurait subi des représailles de deux préfectures.

Par Sylvain LAPOIX.

Un rapporteur de l’ONU qui prend la plume pour défendre une petite association du Poitou, voilà un soutien que les adeptes de l’agro-industrie n’ont sûrement pas vu venir. L’Association de protection d’information et d’étude de l’eau et de son environnement (Apieee) pourrait ainsi être reconnue victime de discriminations en infraction avec le droit international. Et ce, grâce à une lettre (à lire en ligne ici) rédigée par Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU, envoyée aux autorités françaises.

Depuis 1990, la petite association fondée à l’ombre de la forêt de Chizé, à une demi-heure de route à l’ouest de Sainte-Soline, s’emploie à protéger rivières, étangs et nappes des Deux-Sèvres contre les excès de l’agriculture. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’elle se soit engagée contre la construction de dix-neuf réserves de substitution – les fameuses mégabassines – dès l’enquête publique, en février-mars 2017.

Cela lui a valu bien des inimitiés. Celle de deux préfectures notamment, qui ont sabré ses subventions et l’ont exclue de certaines instances de gouvernance locale. Une réaction qui a suscité les inquiétudes du rapporteur.

Coupe de subvention et exclusion

Dans sa lettre, Michel Forst fournit un détail exhaustif des faits et conclut, à l’adresse des pouvoirs publics : « Je vous demande instamment de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la persécution, à la pénalisation et aux mesures vexatoires. »

De quelle « persécution » s’agit-il ? Déjà, de la mise à l’écart de l’Apieee de moult organes de gestion des ressources en eau. Un exemple qui constitue le premier motif d’alarme du rapporteur : son exclusion du comité scientifique et technique du bassin Sèvre Niortaise-Mignon à la suite du refus de l’association de signer un protocole d’accord à la construction de mégabassines piloté par la préfecture des Deux-Sèvres. On peut citer aussi son exclusion de la commission locale de l’eau de la Boutonne, qu’elle a appris fin 2024 dans un arrêté du préfet de Charente-Maritime.

Deuxième représaille : la perte de 8 000 euros de subventions et donc l’obligation de mettre fin au contrat d’un animateur nature, en 2023. Le motif ? L’association aurait incité à la participation à une manifestation antibassines. Au lendemain de la grosse manifestation de Sainte-Soline de 2022, des gendarmes ont découvert dans un camion à proximité du site un devis perdu entre deux tables pliantes et un matelas : 6 tentes d’appoint, 4 blocs de 3 toilettes sèches… Pour un montant de 400 euros, ce devis est adressé à l’Apieee « pour la manifestation Bassines non merci ».

« La France est tenue de protéger le droit de manifester »

Un mois plus tard, le délégué régional académique de Nouvelle-Aquitaine stoppait la subvention perçue par l’Apieee pour ses actions de sensibilisation à l’environnement dans les écoles du fait de « la participation de l’association à l’organisation de la mobilisation contre les retenues de substitutions les 29 et 30 octobre 2022 ». « Nous avions refusé de participer à l’organisation précisément pour éviter ça, on n’a jamais vu ce devis ! s’indigne Joëlle Lallemand, porte-parole de l’Apieee jointe par Reporterre. J’ai transmis nos relevés de compte pour montrer que nous n’avions rien dépensé, on m’a répondu que j’avais pu payer en liquide… »

Michel Forst, le rapporteur, considère de toute manière que « [m]ême si elle avait été impliquée » dans la manifestation de Sainte-Soline, « la France est tenue de respecter et de protéger le droit de manifester pacifiquement pour l’environnement ».

En plus de la perte de la subvention, l’association a été exclue par la préfète des Deux-Sèvres des instances de gestion de l’eau de la région — comité ressource, commission locale de l’eau, etc. Un motif suffisant pour lancer une procédure auprès du tribunal administratif de Poitiers. Laquelle est toujours en cours.

« Protéger les associations de terrain est crucial »

Signée par la France en 2002, la Convention des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement oblige les États qui s’y rallient à s’assurer que les militants « ne soient en aucune façon pénalisés, persécutés, ou soumis à des mesures vexatoires en raison de leur action ».

Certes, le courrier rédigé par Michel Forst n’a aucune valeur contraignante. Mais, « les traités internationaux sont supérieurs aux lois : une telle lettre produite dans le cadre d’une procédure peut avoir un impact sur un juge administratif, s’enthousiasme Pia Savart, juriste pour France Nature Environnement, dont fait partie l’Apieee. Protéger les associations de terrain est crucial car ce sont elles qui font le travail de fond : s’en prendre à elles, c’est entraver la protection de l’environnement. »

Depuis que la lettre a été transmise au ministère des Affaires étrangères, dès avril, rien n’a pour l’instant bougé. Contactées par Reporterre, les deux préfectures mises en cause n’ont pas donné suite.

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Source: https://reporterre.net/Megabassines-la-France-recadree-par-un-rapporteur-de-l-ONU

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/megabassines-la-france-recadree-par-un-rapporteur-de-lonu-reporterre-5-09-25/

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